Compte tenu de la complexité de la situation sur le terrain, des affirmations et démentis qui se succèdent, et du brouillard de la désinformation inhérent à tous les conflits armés, beaucoup de travailleurs et de jeunes, en France, ont du mal à comprendre ce qui se passe en Côte d’Ivoire, notamment les événements de novembre.
La rébellion de 2002
Or, malgré tous ce qu’on a pu lire dans les journaux et voir à la télévision récemment, il est clair que le soutien principal du régime du président Gbagbo a été et est le gouvernement français et son armée. En effet, ce n’est que grâce à l’intervention de la France, sous la couverture de la soi-disant opération de « maintien de la paix » Licorne, que Gbagbo a pu résister à la rébellion nordiste déclenchée en septembre 2002. Ses gendarmes et soldats, trop habitués à racketter la population, n’étaient pas à l’hauteur de combattre les rebelles, et malgré l’échec de la rébellion à Abidjan, n’auraient pas pu empêcher une beaucoup plus grande partie du pays de tomber dans les mains des « forces nouvelles » si les soldats français ne s’étaient interposés.
Ainsi, même si nous avons aucune illusion dans les forces rebelles du nord, le fait est que la politique de Chirac a consisté à soutenir le régime réactionnaire de Laurent Gbagbo depuis plusieurs années. Ce dernier a perpétué la propagande sur « l’ivoirité » initiée par l’ancien président Bédié. Cette stratégie de division visait à attiser les frictions et violences entre les autochtones et les immigrés venus des pays voisins, et interdire par la même occasion la candidature présidentielle d’Alassane Ouattara. Ceci dit, Ouattara, le candidat à la présidence des nordistes, ne vaut pas mieux que Gbagbo. Il s’agit d’un ancien ministre sous la dictature de Félix Houphouët-Boigny, et d’un ancien représentant du Fonds Monétaire International !
La force de « maintien de la paix »
Les accords de Marcoussis signés en février 2003 et salués triomphalement par de Villepin n’avaient d’autre objectif que de faire gagner du temps à Gbagbo en lui permettant d’acheter une grande quantité d’armes sur les marchés internationaux (principalement en Europe de l’Est), de façon à préparer une offensive contre les rebelles. Certes, ce dernier s’est engagé à laisser Ouattara participer aux élections présidentielles prévues pour 2005, mais le fait que le parlement, largement dominé par le FPI (le parti de Gbagbo) ait rejeté cette concession en dit long sur ses intentions réelles ! La diplomatie française prétend ne pas avoir été au courant des achats d’armes de Gbagbo. Les services de renseignement français et l’armée sur place n’ont apparemment rien vu. Si cela était vrai, ce serait un bien triste commentaire sur l’efficacité du dispositif de renseignement militaire français. Mais c’est un mensonge. Non seulement la France a dû être au courant de ces achats, mais il y a même fort à parier que, compte tenu de sa position importante sur le marché international de l’armement, elle les aurait grandement facilités. En outre, il paraît que, selon le Nouvel Observeteur, il aurait suffit de stationner un camion sur l’aéroport de Yamoussoukro pour empêcher les bombardiers « sukhoi » de Gbagbo de décoller ! Il est évident que malgré les accords de Marcoussis, la France avait l’intention de tacitement laisser Gbabgo reconquérir le nord.
La complicité entre la France et Abidjan se voit dans le comportement de l’armée française sur place. Elle n’a rien fait tant que les forces gouvernementales se sont contentées d’attaquer les rebelles, et ne s’est rappelée de sa mission de « neutralité » que lorsque les missiles de Gbagbo ont commencé à pleuvoir sur les casernes françaises ! Avec la destruction des avions militaires gouvernementaux, en représailles à cette attaque, et l’imposition de l’embargo international sur la Côte d’Ivoire, c’est le retour à la case de départ. Ni le gouvernement ni les rebelles ne sont assez forts pour s’imposer sur l’ensemble du territoire national
Les émeutes « anti-français »
Les causes profondes des pillages et des violences à l’encontre des expatriés français, pendant les jours qui ont suivi les frappes de l’armée française, sont assez évidentes. La baisse régulière du niveau de vie de la population, le chômage de masse, la misère effrayante des bidonvilles, la chute des cours du cacao et la mainmise des entreprises françaises sur les ressources économiques du pays forment la toile de fond des événements qui se déroulent dans le pays. La Côte d’Ivoire est nominalement « indépendant », mais économiquement colonisée. On imagine aisément l’impact psychologique et politique, sur la jeunesse de la Côte d’Ivoire, des mitrailleuses et des hélicoptères de l’ancienne puissance coloniale tirant « dans le tas » des manifestants. Il n’en fallait pas davantage pour pousser une partie de la population, notamment la plus désespérée, à s’en prendre à ceux qui sont à ses yeux - à tort ou à raison - des privilégiés et des exploiteurs.
Manœuvres impérialistes en Afrique
L’échec de l’intervention militaire française en Côte d’Ivoire est une nouvelle preuve de l’affaiblissement du capitalisme français sur la scène internationale - au profit, notamment, des Etats-Unis. La France ne veut absolument pas perdre son influence en Côte d’Ivoire, qui sert de point de rayonnement vers toutes ses anciennes colonies de l’Afrique de l’ouest. Mais la situation lui échappe, et l’évolution prochaine du conflit dans le pays risque fort de la placer devant un choix semblable à celui des Américains en Irak, qui sont intervenus militairement pour sauvegarder leurs intérêts économiques et stratégiques. Soit l’impérialisme français abandonnera la partie, soit il pourrait être progressivement entraîné, par la logique même des événements, dans une guerre « coloniale » non déclarée, et se retrouverait complice de massacres ethniques - comme ce fut le cas au Rwanda dans les années 90.