Les impérialistes ne voulaient pas capturer Kadhafi vivant et le juger devant une cour internationale. Ils ne voulaient pas risquer de lui offrir cette tribune, car il aurait pu rappeler que peu de temps avant de bombarder son régime, les impérialistes français, britanniques et américains le courtisaient. Dans son édition du 26 octobre, Le Canard Enchaîné cite plusieurs sources qui le confirment, dont un diplomate français qui résume bien la question : « Ce nouvel ami de l’Occident aurait pu rappeler ses excellentes relations avec la CIA ou les services français, l’aide qu’il apportait aux amis africains de la France, et les contrats qu’il offrait aux uns et aux autres. Voire plus grave, sait-on jamais ? » On ne sait jamais, en effet ! Mieux valait que le dictateur se taise pour toujours. L’hypocrisie des impérialistes n’a pas de limites.
L’intervention de l’OTAN en Libye n’avait rien à voir avec la « protection des civils » de Benghazi ou d’ailleurs. Elle était dictée par des calculs cyniques. La préoccupation « humanitaire » n’était qu’une couverture mensongère. Les impérialistes interviennent toujours et uniquement pour défendre leurs intérêts fondamentaux. Ils n’avaient pas pu intervenir en Egypte et en Tunisie. En Libye, par contre, le début de la guerre civile leur en a donné la possibilité. Sarkozy et Cameron espéraient au passage qu’une victoire militaire leur permettrait de regagner des points dans l’opinion, en France et en Grande-Bretagne. Sur ce plan, ils ont complètement échoué.
Les affaires, cependant, vont bon train. La France a envoyé en Libye son secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, Pierre Lellouche, pour conduire une délégation de 82 représentants d’entreprises françaises, dont Alcatel Lucent, Vinci et Sanofi. Les vautours impérialistes sont à pied d’œuvre. Le Conseil National de Transition (CNT) avait d’ailleurs annoncé qu’il donnerait à ses soutiens occidentaux des priorités pour « reconstruire le pays » et exploiter ses vastes ressources pétrolières.
Le CNT est censé former un gouvernement de transition. Composée d’ex-kadhafistes, de fondamentalistes et autres réactionnaires notoires, cette instance non élue a le soutien des puissances impérialistes. Elle représente et défend leurs intérêts. C’est ce qui explique que nombreux citoyens libyens la considèrent avec méfiance. Ses membres n’étaient pour rien dans le déclenchement de la révolution. Ils ont profité de la situation pour tenter de se hisser au pouvoir – ou de s’y maintenir. Le président du CNT, Moustafa Abdel Jalil, était le ministre de la Justice de Kadhafi. Autrement dit, c’était le bourreau en chef du régime.
La révolution libyenne a commencé sous la forme d’un soulèvement spontané de la masse des pauvres, des travailleurs et des couches inférieures de la petite bourgeoisie, à Benghazi. Le mouvement a gagné d’autres villes, mais il a été étouffé à Tripoli sous une vague de répression implacable. Par la suite, l’entrée en scène du CNT et l’intervention de l’OTAN ont radicalement transformé la situation, qui est désormais extrêmement confuse et contradictoire. Les éléments réactionnaires manœuvrent, de concert avec les impérialistes, pour prendre le contrôle du pays et asseoir un régime stable. L’une des tâches immédiates qu’ils se fixent est de désarmer le peuple. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire ! Les jeunes et les travailleurs qui ont engagé la révolution ont leurs propres revendications. Ils ne se satisferont pas indéfiniment d’une rhétorique creuse sur la « démocratie ». Ils ont des besoins matériels pressants. Ils ne se font pas d’illusions sur les intentions des impérialistes. Mais ils n’ont pas de direction organisée et reconnue. La classe ouvrière libyenne est numériquement faible et peu organisée. Les fondamentalistes et d’autres variétés de démagogues chercheront à manipuler les masses.
Il est difficile de dire quelle force l’emportera, à court et moyen terme. Une chose est claire : la chute de Kadhafi ouvre une nouvelle ère dans l’histoire du pays. La lutte des classes s’y développera à un rythme plus important que par le passé. Quant à la victoire de la révolution libyenne, elle dépendra en dernière analyse du sort des révolutions qui ont commencé en Egypte, en Tunisie et dans le reste du monde arabe. Les événements en Libye font partie intégrante de la révolution arabe, qui est loin d’être terminée.