Au Mexique, l’heure est à une confrontation majeure entre les classes. Devant plus de 500 000 personnes, le candidat du PRD à la présidence du pays, Andres Manuel Lopez Obrador, a formellement contesté le résultat des élections du 2 juillet, accusant ses adversaires de fraude massive.
Cette accusation est parfaitement fondée. La classe dirigeante mexicaine et les impérialistes américains étaient prêts à tout pour empêcher Lopez Obrador d’accéder au pouvoir. Ils cherchent désespérément à empêcher la vague révolutionnaire qui traverse l’Amérique latine de déferler sur le Mexique - à la frontière des Etats-Unis. Le Mexique est l’un des pays les plus importants du continent, et joue un rôle majeur dans la NAFTA. Les Etats-Unis craignaient qu’en cas de victoire de Lopez Obrador, ils se retrouvent avec un nouveau Chavez sur les bras. Peu importe si cette crainte est fondée ; le fait est que c’est ce qui les terrifiait.
Avant même les élections, il y a de cela un an, les classes dirigeantes américaine et mexicaine avaient monté un plan pour tenter d’empêcher Obrador de se présenter aux présidentielles. Elles l’ont accusé de corruption et ont engagé une procédure pour le priver de son immunité (desafuero), ce qui rendait sa candidature illégale. Cependant, une magnifique mobilisation des masses a fait échec au desafuero, ce qui n’a fait que renforcer la résolution de la droite à manœuvrer contre Obrador.
Toute la société bourgeoise s’est alignée contre Obrador et le PRD. Le bureau présidentiel et l’Institut Electoral Fédéral (IEF) ont été complices de la fraude. La plupart des médias, au Mexique comme ailleurs, se moquent des plaintes de fraude. Ils prétendent que la plainte du PRD est « faible » et qu’« aucune preuve substantielle ne vient appuyer cette hypothèse. »
George Bush, Tony Blair et d’autres leaders mondiaux ont déjà appelé Calderon pour le féliciter de sa « victoire ». Les observateurs officiels de l’Union Européenne ont déclaré qu’il n’y avait pas eu d’irrégularités et en appellent au calme. Calderon lui-même s’est déjà proclamé vainqueur et fait connaître son programme. Calderon et la presse internationale accusent hypocritement Obrador de « ne pas jouer le jeu » de la démocratie et l’avertissent qu’il joue avec le feu en mobilisant les masses.
La fraude
Les médias ont beau tourner en dérision les accusations de fraude et prétendre qu’un nouveau décompte des voix ne ferait que confirmer la victoire de Claderon, la fraude est largement étayée. Cependant, il doit être clair, en premier lieu, que la classe dirigeante n’aurait pas pû recourir à la fraude si Obrador lui-même n’avait pas tant vacillé.
Pour qu’il y ait possibilité de frauder, il fallait que les résultats soient serrés. Or il semble que, dans le meilleur des cas, Obrador ne l’aurait pas emporté de plus de 5 points. Si la victoire d’Obrador avait été plus large, il aurait été difficile de frauder. Tout au long de la campagne, Obrador a tenté d’émousser son programme pour rassurer la classe dirigeante sur le fait qu’il n’est pas comme Chavez, qu’il est responsable, etc. Il faut savoir que ces élections se sont tenues dans le contexte d’une intensification de la lutte des classes, comme l’a montré la lutte des mineurs et des travailleurs de l’acier. Une grève en soutien aux mineurs avait d’ailleurs été appelée pour le 28 juin, juste avant les élections. Mais Lopez Obrador a demandé aux syndicats de renoncer à la grève. A chaque étape, Lobrador a jeté des sceaux d’eau froide sur des masses en effervescence. Si, au lieu de cela, il s’était résolument appuyé sur cette vague militante, il aurait beaucoup plus largement remporté ces élections.
La première indication de la fraude est apparue dans les tendances des résultats qui étaient donnés au fur et à mesure. Ces résultats préliminaires, qui ont commencé mercredi, plaçaient systématiquement Calderon en tête, ce qui est étrange, étant donné que les chiffres étaient très serrés. Dans une élection aussi serrée, alors que les résultats sont donnés Etat par Etat, et que les Etats sont dominés par tel ou tel parti, on se serait attendu à ce que le PRD passe en tête à un moment donné.
Il y a par ailleurs la question des plus de 3 millions de votes qui n’ont pas été comptés, au début, parce que les résultats des bureaux de votes concernés étaient « confus ». Finalement, 2,5 millions de ces votes ont été inclus dans le décompte préliminaire. Quelques 700 000 suffrages n’ont toujours pas été comptés. Il y a également eu un nombre anormalement élevé de bulletins de votes blancs ou nuls, à savoir 900 000, ce qui fait plus de 200 000 de plus que lors des précédentes élections. Des urnes et des bulletins de votes ont été retrouvées dans des décharges de Mexico. Des résultats envoyés à l’IEF différaient des relevés attachés aux urnes. Dans un district de l’Etat de Veracruz, un vote voix par voix autorisé par l’IEF a augmenté les voix d’Obrador de plusieurs milliers. D’après El Universal, un nouveau décompte dans l’Etat d’Obrador, le Tabasco, lui a accordé 20 000 voix supplémentaires. Il y avait de nombreux décalages entre le vote pour le Congrès et les présidentielles. Dans de nombreux cas, les décomptes préliminaires étaient clairement faux. Dans un cas connu, le décompte était si mauvais pour la droite que le troisième candidat a bénéficié de 100 voix supplémentaires, et le PAN a vu ses 235 voix multipliées par deux.
Les accusations de fraudes ne reposent pas sur des témoignages hasardeux. Des journalistes et des militants du PRD les ont constatées, ont pris des photos des décomptes préliminaires, et ont réussi à prouver que les résultats communiqués à l’IEF étaient falsifiés.
Sous la pression du PRD, qui réclame un nouveau décompte bulletin par bulletin, l’IEF a ordonné le décompte de 2600 bureaux de votes sur les 130 000 existants. Or, les résultats de ce seul décompte partiel ont fait passer l’avance de Calderon de 400 000 à 244 000 voix. Lopez Obrador dit avoir gagné par 500 000 voix d’avance. Et pourtant, malgré toutes les preuves flagrantes d’une fraude massive, la presse et l’Etat mexicains continuent de prétendre que l’exigence d’un nouveau décompte ne repose sur rien.
La riposte des masses
Lopez Obrador a tout fait pour que sa riposte à la fraude reste dans le cadre de la légalité capitaliste - et ce alors quand ses adversaires eux-mêmes ont bafoué cette soi-disant légalité ! Cependant, les travailleurs mexicains n’ont pas attendu les résultats les bras croisés. Leur humeur n’a cessé d’être toujours plus militante et radicale. Au début, de petites manifestations, des rassemblements et réunions se sont tenues, spontanément, en soutien à Lopez Obrador contre la fraude. Et lorsque le PRD a convoqué un rassemblement pour le 8 juillet, qui ne se voulait qu’une « Assemblée d’information », 500 000 personnes ont envahi la place Zocalo. L’ambiance y était électrique.
Plutôt que d’agir d’en haut, Obrador a été obligé de tenir compte des masses mobilisées, d’entrer en dialogue avec elles - et elles se sont montrées prêtes à se battre. Obrador en a sans doute été affecté. Une marche nationale commence aujourd’hui dans chacun des 300 districts électoraux. Elle doit arriver samedi à Mexico. Obrador a demandé aux 500 000 manifestants du 8 juillet d’apporter 10 personnes de plus chacun, samedi. On se dirige donc vers une grande démonstration de force de la classe ouvrière.
L’actuelle riposte à la fraude électorale est très différente de celle de 1988. A l’époque, le candidat du PRD, Cardenas, avait accepté la fraude. Il avait expliqué à la population qu’il n’y avait rien à faire contre la fraude. Les gens pleuraient, place Zocalo. Cette fois-ci, Lopez Obrador a été poussé à mobiliser les masses et à entrer dans la bataille. Son appel à la lutte est très concret, bien que trop limité. Il a demandé que les manifestations soient pacifiques et respectent les « lois démocratiques » du pays, et qu’il n’y ait pas de blocages de routes ou autres « mesures extrêmes ». Pour l’instant, les gens acceptent ces recommandations, mais nombreux sont ceux qui en sont mécontents. Cela va à l’encontre l’expérience de la lutte contre la fraude dans l’Etat de Tabasco, en 1994, lorsqu’Obrador avait organisé une campagne de désobéissance civile qui comprenait des blocages de routes et l’occupation de champs de pétrole.
C’est précisément ces actions que redoutent Fox, Calderon, la classe dirigeante, les impérialistes - et Obrador lui-même. Ils sont terrifiés par l’idée que la mobilisation des masses puisse échapper au contrôle d’Obrador et du PRD.
Encore une fois, il faut tenir compte du fait que la lutte contre la fraude électorale se déroule dans le contexte d’une grève des mineurs et d’une lutte des enseignants d’Oaxaca. Elle fait également suite à la lutte victorieuse contre la « réforme » des retraites. Enfin, les gens se souviennent de la façon dont ils ont fait échec au desafuero : par l’action de masse dans la rue.
Tout cela explique que Calderon ait proposé de constituer un gouvernement d’union nationale. Il a même promis un poste ministériel à Obrador. Le but était de désamorcer la mobilisation des travailleurs et de la jeunesse. Ils craignent une explosion révolutionnaire, qui non seulement assurerait la victoire d’Obrador, mais menacerait les bases du capitalisme mexicain.
Il est impossible de dire comment le mouvement va se développer. Ce qui est clair, c’est que si les masses acceptent de limiter leur action au cadre de la légalité capitaliste, comme le demande Obrador, la droite risque fort de parvenir à ses fins.
Ceci dit, pour le moment, la classe ouvrière est en position de force. Elle n’a subi aucune grande défaite, ces dernières années. Elle a systématiquement fait obstacle à la politique du gouvernement de Fox. La victoire contre le desafuero est toute fraîche. Les travailleurs ont confiance dans leurs forces et leur capacité à balayer cette nouvelle manœuvre de la droite.
Exactement comme à Haïti, l’an passé, ces élections ne pourront être gagnées que par une mobilisation dans la rue. La jeunesse et les travailleurs doivent former des comités de lutte. Une grève générale doit être organisée contre la fraude. Tels sont les mots d’ordre de nos camarades d’El Militante, au Mexique. La classe ouvrière tient le véritable pouvoir, et elle ne peut vaincre qu’en faisant usage de ce pouvoir. Une lutte victorieuse contre la fraude électorale renforcerait sa confiance et serait une étape majeure dans l’ouverture d’un nouveau front révolutionnaire en Amérique latine.