Luis Enrique Barrios, rédacteur du journal marxiste mexicain El Militante, nous explique quelle est la politique du gouvernement de Vicente Fox et fait le point sur le mouvement des paysans indigènes du Chiapas.
Vicente Fox a été élu en juillet 2000, marquant la fin de plus de 70 ans de règne sans partage du PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel) qui, malgré son nom, est un parti réactionnaire au service de la classe dirigeante. Fox avait mené une campagne électorale on ne peut plus démagogique. Il avait promis, par exemple, de créer 1,3 millions d’emplois par an ! Concernant la répression au Chiapas, il avait dit que l’armée recevrait l’ordre de se retirer de la région « dans les 15 minutes » suivant son élection. Naturellement, au début, la défaite du PRI a suscité beaucoup d’attentes et même un certain enthousiasme pour Fox et son parti, le PAN, et ce d’autant plus que les trois derniers gouvernements PRI ont appliqué une politique anti-sociale de privatisations et de restrictions budgétaires.
Aujourd’hui, plus de 3 ans plus tard, cet enthousiasme s’est totalement évaporé. Dans les faits, il n’y a pas eu de rupture avec la politique du PRI. Les privatisations et le démantèlement des services sociaux se sont poursuivis. L’arrivée au pouvoir du PAN a coïncidé avec une récession économique. La croissance était de 0 % en 2001, et la situation économique ne s’est guère améliorée depuis. Officiellement, le taux de chômage n’est que de 2,8 %, mais ce chiffre est totalement fantaisiste. Par exemple, quelqu’un qui a travaillé un seul jour dans les 12 derniers mois n’est pas, statistiquement, considéré comme chômeur ! »
A propos des paysans indigènes du Chiapas, Luis Enrique souligne la misère dans laquelle ils vivent et l’immense potentiel révolutionnaire de l’insurrection de 1994.
« Le soulèvement des paysans du Chiapas a déclenché un considérable mouvement de solidarité internationale. Au Mexique, leur lutte est devenue, dans les années 90, un point de référence pour la jeunesse et les travailleurs du pays. En se lançant dans un combat contre un gouvernement particulièrement implacable et puissamment armé, ces pauvres gens ont fait preuve d’un courage, voire d’un héroïsme, tout à fait impressionnant. Souvent, ils ont affronté l’ennemi armés de « fusils » en bois ou à mains nues. L’insurrection a été lancée le 1er janvier 1994. Le 12 janvier, des manifestations de masse dans les villes mexicaines ont contraint le gouvernement à arrêter - du moins temporairement - les bombardements et la répression des indigènes.
Dans quelques mois, nous fêterons le 10e anniversaire de ces grands événements. Ce sera aussi l’occasion de tirer les enseignements de cette lutte qui, malgré l’ampleur de la mobilisation sociale qui l’a accompagnée, n’a malheureusement pas pu réaliser ses objectifs essentiels.
Le point culminant du mouvement déclenché en 1994 était la marche sur Mexico, qui a eu lieu en février et mars 2001. Marcos et les chefs de l’EZLN - Ejercito Zapatista de Liberacion Nacional - sont passés de ville en ville, suscitant partout un énorme enthousiasme. L’ampleur des manifestations, qui impliquaient plus de 2 millions de personnes, a effrayé le gouvernement, qui a finalement accepté de permettre aux représentants du mouvement de s’adresser au parlement. A l’époque, des mots d’ordre précis invitant la population à engager une lutte générale contre le capitalisme auraient incontestablement rencontré une adhésion massive, notamment dans la jeunesse (70 % de la population mexicaine a moins de 35 ans). Cependant, en fin de compte, les revendications de Marcos et des chefs de l’EZLN étaient extrêmement limitées. Ils mettaient l’accent sur les aspects « culturels » de la vie des indigènes - leurs traditions, leur langue, etc. - et ne réclamaient concrètement que la reconnaissance par l’Etat de leur « spécificité culturelle » et de l’« autonomie » spécifique qui devait en découler. La question de la propriété de la terre et des conditions économiques et sociales de leur existence était reléguée au second plan. Il n’y avait aucune tentative, de la part de Marcos, de lier la lutte des paysans du Chiapas à celle des paysans du reste du pays, ni surtout aux préoccupations des jeunes et des travailleurs des villes. Après avoir dit le peu qu’il avait à dire, Marcos a tout simplement rebroussé chemin pour retourner dans sa forêt. Une loi a effectivement été votée par la suite, qui concède formellement un certain nombre de « droits culturels » aux indigènes, mais cette loi ne règle aucun des problèmes qui écrasent la population rurale du Chiapas.
Depuis, l’activité de l’EZLN s’est graduellement estompée. Les structures du « Front Zapatiste » qui, en zone urbaine, avaient acquis une base militante importante dans les lycées, les facultés et les quartiers, ont pratiquement cessé d’exister. Quant à Marcos lui-même, il semble se consacrer à des questions relatives à la « gestion rurale », en concertation avec diverses ONG. Les paysans du Chiapas vivent toujours dans une terrible pauvreté, et leurs conditions de vie continuent de se dégrader. Bien évidemment, face à la misère et la faim, c’est une piètre consolation que de pouvoir se dire plus « autonome » ou « culturellement respecté ». La leçon principale à retenir de cette lutte, c’est la nécessité de lier les mobilisations de la population rurale à celle des travailleurs et des jeunes des villes, et de mettre au point un programme révolutionnaire qui réponde réellement aux aspirations de tous face à l’ennemi commun, à savoir le système capitaliste et ses représentants. »