Le régime pakistanais est très fragile et instable. Musharraf tente de trouver un équilibre entre, d’un côté, l’impérialisme américain et, de l’autre, l’islamisme militant développé pendant des décennies par l’ISI et l’armée pakistanaise - avec la collaboration active de Washington. A présent que cela ne convient plus à l’impérialisme américain, ce dernier exige du Pakistan un soutien inconditionnel à la prétendue « guerre contre le terrorisme ». Mais ce faisant, il aggrave les contradictions explosives qui existent au Pakistan.
Musharraf a tenté de se tenir à distance du gouvernement américain, et a expliqué qu’il ne lui a fourni qu’une assistance minime, consistant en support logistique et en partage d’informations. Aucun soldat pakistanais n’est engagé dans des opérations à l’étranger. Le ministre de l’Intérieur, Sayed Faisal Saleh Hayat, et le ministre de l’Information, Sheikh Rashid Ahmed, ne cessent de nier le fait que les services secrets et militaires américains sont engagés dans des opérations au Pakistan contre des gens suspectés d’être liés à Al-Qaida ou aux Talibans. Mais tout le monde sait qu’ils mentent.
Il y a eu un certain nombre de « coups de filets » au cours desquels des militants suspectés ont été tués ou arrêtés. Malgré toutes les dénégations officielles, il est clair que les forces contre-insurrectionnelles américaines étaient impliquées dans ces rafles. On sait clairement qui est le maître des lieux. Ceci dit, autoriser les forces américaines à lancer des opérations de grande envergure sur le territoire pakistanais est une tout autre affaire. Cela anéantirait l’illusion de la soi-disant souveraineté pakistanaise et révèlerait, dans toute sa nudité, la dépendance du pays à l’égard de l’impérialisme américain. Les conséquences en seraient incalculables.
L’anti-américanisme des mollahs a une dimension réactionnaire, mais celui des masses pakistanaises est l’expression d’un profond sentiment anti-impérialiste. Si l’armée américaine passe la frontière nord-ouest, ce sentiment atteindra des sommets. La pression impitoyable qu’exercent les Américains sur leur marionnette Musharraf finira par le discréditer complètement aux yeux de la population. Il y aura des manifestations de masse contre l’impérialisme, qui pourraient rapidement se retourner contre la dictature elle-même. Musharraf a déjà échappé à trois attentats, et dans les circonstances actuelles, de nouvelles tentatives de l’assassiner sont inévitables. Le régime ne tient que par un fil - et Washington est sur le point de le couper.
Le sort de son « allié », à Islamabad, laisse l’administration Bush indifférente. Elle est obnubilée par la destruction d’Al-Qaida et la capture ou la mort de Ben Laden - et si cela passe par la chute du président pakistanais, ainsi soit-il. Du point de vue de Washington, les dollars achètent facilement de tels « alliés ». En fin de compte, qu’importe qu’il y ait un changement de régime à Islamabad ? Il y en a déjà eu de nombreux par le passé, et il y en aura beaucoup d’autres à l’avenir !
Musharraf ne se fait aucune illusion sur la valeur de l’amitié américaine. Par conséquent, il essaye désespérément de persuader ses compatriotes d’agir contre les « extrémistes » avant qu’il ne soit trop tard. Sous la pression de Washington, il a fait des concessions à l’Inde sur le Cachemire, et a même commencé à prendre des mesures pour fermer les bases de certains groupes djihadistes. Mais quoi qu’il fasse, ce sera trop peu et trop tard. L’Inde et les Etats-Unis auront tout le temps de nouvelles exigences. Et finalement, il ne pourra pas leur donner satisfaction.
Bush s’appuie sur Musharraf, et Musharraf s’appuie sur les autorités des territoires de la frontière nord-ouest. Les Jirgas (Conseils) des tribus de l’Utmanzai et du Waziristan du Nord ont décidé de créer des milices pour chasser les militants étrangers. Mais de tels engagements ne méritent aucune confiance. La sympathie des tribus ira aux Talibans, non au gouvernement d’Islamabad. Elles feront beaucoup de bruit - et rien de plus. Finalement, la patience de Washington s’épuisera et les Américains prendront eux-mêmes le problème en main.
Dans les prochains mois, l’exigence d’une intervention se fera toujours plus forte. Le retour d’un temps plus chaud créera de meilleures conditions pour le déploiement de forces américaines. L’ISAF prend en charge des tâches policières en Afghanistan, libérant ainsi des troupes américaines pour une offensive. Les jours de Musharraf sont comptés.
Il n’est pas possible de dire avec précision combien de temps Musharraf peut tenir au pouvoir. Mais une chose est claire : le régime actuel est très instable et ne peut pas perdurer. Quand son heure viendra, les impérialistes américains devront trouver une alternative - un « remplaçant », comme on dit en sport. Ils ont un tel remplaçant en la personne de Benazir Bhutto. Elle a exprimé son soutien ferme aux Etats-Unis - et ce bien qu’un tel soutien soit le « baiser de la mort » pour n’importe quel gouvernement pakistanais.
Lorsque Benazir Bhutto reviendra, ce sera dans une situation très différente de celle qu’elle a laissé. Les masses seront debout. Et il est inévitable que les masses, récemment réveillées à la vie politique, se tourneront vers le PPP. Les masses politiquement non organisées se tournent toujours vers les noms les plus connus, les grands partis et les bannières traditionnelles. C’est une loi. La mémoire des masses est courte, et elles pardonnent très vite leurs dirigeants pour leurs actions passées. Cela met à l’ordre du jour un gouvernement du PPP.
Mais le prochain gouvernement du PPP ne sera pas semblable aux deux précédents. Il sera immédiatement sous la pression des masses, qui voteront pour le PPP parce qu’elles veulent un changement de leurs conditions de vie. Elles seront disposées à attendre un peu, mais pas trop. Elles exigeront des résultats, et ne seront pas prêtes à accepter longtemps les excuses habituelles des dirigeants. Le gouvernement sera pris en tenaille entre la pression des masses et celles, acharnées, de l’impérialisme et de la classe dirigeante. Il sera comme pris entre deux meules.
Autrement dit il s’agira, d’entrée de jeu, d’un gouvernement de crise. Le PPP connaîtra des convulsions et des scissions. A un certain stade, une puissante aile gauche émergera qui, dans les conditions extrêmes prévalant au Pakistan, pourrait rapidement prendre un caractère centriste - c’est à dire une position politique oscillant entre le marxisme et le réformisme de gauche. En de telles circonstances, il est peu probable que le parti puisse maintenir son unité. Il y aura une opposition ouverte entre, d’un côté, les éléments féodaux et bourgeois de la direction et, de l’autre, la base ouvrière et paysanne. Cela constituera un contexte très favorable au développement de la tendance marxiste.
Lors de la période révolutionnaire de 1968-1969, les ouvriers et paysans pakistanais auraient pu prendre dix fois le pouvoir, mais furent paralysés par leur direction. Cependant, les traditions révolutionnaires de cette époque restent vivantes dans la mémoire des masses. Elles sont exprimées dans le programme originel du PPP, qui comporte l’expropriation des banques, de la terre et de l’industrie sous le contrôle des travailleurs et le remplacement de l’armée permanente par le peuple en armes. Quand les travailleurs et les paysans du Pakistan entreront à nouveau dans l’arène de la lutte, ils exigeront un retour à ces idées. La différence est que, cette fois-ci, ils auront une authentique tendance marxiste pour les diriger.
Il possible que la première percée de la révolution mondiale se réalise au Pakistan, où les conditions - aussi bien objectives que subjectives - mûrissent rapidement. La classe dirigeante est divisée et démoralisée. La petite-bourgeoisie est en pleine fermentation. La classe ouvrière s’est largement remise des défaites passées et se prépare au combat. Enfin, les marxistes pakistanais ont construit des bases solides dans les organisations de masse. Ils ont adopté une tactique et des méthodes de travail correctes, et sont bien placés pour diriger un mouvement de masse qui secouera l’ensemble du sous-continent indien.
Un élément déterminant de l’équation réside dans une politique internationaliste. Si les marxistes pakistanais arrivent au pouvoir, ils devront adresser un appel aux ouvriers et aux paysans indiens pour qu’ils les soutiennent, sans quoi la classe dirigeante indienne se joindra aux propriétaires terriens et aux capitalistes pakistanais pour écraser la révolution, comme elle l’a fait au Bangladesh par le passé.