La panique s’empare de nouveau des dirigeants européens. Leur dernière recette, pour trouver de l’argent, consiste à privatiser à une échelle massive. Le gouvernement espagnol vend les bijoux de famille. Il veut privatiser la loterie nationale et des aéroports. La vente de la loterie nationale est censée rapporter entre 6,5 et 7,5 milliards d’euros. Mais l’Etat espagnol perdrait près de 3 milliards d’euros de recettes annuelles, qui tomberaient dans les poches d’un grand groupe privé. C’est un excellent exemple du pillage de l’Etat : on nationalise les pertes et on privatise les profits.
Mais leur souci principal vient de la Grèce. Les dirigeants européens ne se contentent plus de l’accord portant sur 50 milliards d’euros de privatisations. Et ils ne font pas confiance au gouvernement grec pour les mener à terme. Ils veulent qu’une « commission indépendante » fasse le sale boulot.
« Faire payer les Grecs ! »
Lorsque l’état des finances grecques a été rendu public, en 2010, le tabloïd allemand Bildtitrait : « Grecs ruinés, vendez vos îles – et l’Acropole ! ». Cela sonnait comme une exagération typique de la presse réactionnaire. Mais un an plus tard, les ministres de finances de l’UE adressent le même message aux Grecs. Et comme nous l’avions anticipé, le « plan de sauvetage » du Portugal n’a pas permis d’empêcher la crise de se propager à l’Espagne, à la Belgique et à l’Italie. Désormais, tout le monde parle de contagion.
La crise de l’Union Européenne entre dans une phase particulièrement dangereuse. Les « plans de sauvetage » ont échoué à relever l’économie grecque, qui poursuit sa chute. En Allemagne, l’ambiance se tend. Ce n’est pas seulement parce qu’Angela Merkel est soucieuse d’être réélue. Le problème est que les ressources de la Bundesbank ne sont pas illimitées – et ne peuvent pas servir à couvrir les dettes de toute l’Europe. La Bundesbank – qui tire les ficelles de l’UE – a prévenu que si les politiciens s’engagent dans une restructuration de la dette grecque, la BCE couperait ses apports en liquidités à la Grèce, quitte à plonger l’économie du pays dans le gouffre.
Les dirigeants européens pensent que des privatisations massives, en Grèce, permettraient de lever bien plus de fonds que l’objectif initial de 50 milliards d’euros. La valeur des biens publics grecs est estimée à plus de 250 milliards d’euros. Cela représente la quasi-totalité de la dette grecque. On a affaire à des bandits prêts à vendre la peau de leur victime pendant que celle-ci vit encore. Mais ils ont un petit problème. Ils ne font pas confiance au gouvernement grec, qui n’est pas allé assez vite et assez loin, selon eux.
Pragmatiques, les dirigeants Hollandais proposent une mesure radicale : la création d’une agence extérieure, dirigée par l’UE, qui aurait pour mission de vendre les avoirs grecs. C’est une violation flagrante de la souveraineté nationale grecque, qui provoquera une résistance féroce. On se demande ce que diraient les Français si une agence bruxelloise leur demandait de vendre la Tour Eiffel et le Louvre, pour éponger leur dette. Mais la Grèce est un petit pays. Personne ne se soucie de ménager sa susceptibilité.
Mais les Grecs ne peuvent pas payer…
Ces deux dernières années, nous avons régulièrement expliqué que la Grèce ne pourrait pas payer sa dette, qui s’élève désormais aux alentours de 150 % du PIB. A présent, un nombre croissant d’économistes bourgeois le reconnaît. Mais ils ne parviennent pas à se mettre d’accord sur ce qu’il faut faire. Certains sont favorables à une profonde « restructuration », ce qui signifie que des créditeurs perdraient beaucoup d’argent. Or, la plupart des créditeurs étant allemands, cette solution ne suscite pas l’enthousiasme du gouvernement allemand. Il préfère l’option d’un rééchelonnement plus « doux » de la dette grecque. Plus « doux » pour les banquiers allemands, bien sûr, mais pas pour le peuple grec.
George Papaconstantinou, le ministre des finances grec, a déclaré que les dirigeants européens ne sont pas si durs qu’on le prétend. Après tout, ils ont reconnu que la Grèce avait réduit son déficit budgétaire à 7 % du PIB, cette année. « En même temps », poursuit le ministre grec, « ils disent que nous devons faire davantage d’efforts. Nous sommes d’accord ». Papaconstantinou ressemble à un agneau qui, mené à l’abattoir, remercie le boucher pour son sourire accueillant.
Quelle que soit l’option choisie, les conséquences seront les mêmes : la Grèce connaîtra une de coupes budgétaires drastiques et période de chute du niveau de vie des masses – le tout accompagné d’une extrême instabilité politique et d’une intensification de la lutte des classes.
Protestations massives
Le peuple grec a commencé à répondre au chantage des dirigeants européens. Le week-end dernier, il y a eu la plus importante manifestation depuis le début de la crise de la dette grecque. Plus de 150 000 personnes sont descendues dans les rues d’Athènes. D’autres grandes villes du pays ont connu des mobilisations massives. Des milliers de Grecs – jeunes et vieux, en couple ou seuls, travailleurs ou chômeurs – ont investi la place Syntagma, à Athènes. Cette foule pacifique est constituée de gens ordinaires, dont certains sont même venus avec leurs enfants. Ils sont en colère contre les politiciens qui ne sont jamais punis pour leurs actes de corruption, contre les banquiers qui ont provoqué la crise et sont récompensés à coup de milliards, et contre les bureaucrates sans visages qui, de Bruxelles, leur imposent des plans d’austérité drastiques. Bref, ils sont en colère contre l’ensemble du système économique et politique.
La plupart ne sont pas des militants. Ils n’ont pas d’expérience de la politique et de la lutte des classes. La colonne vertébrale est constituée par des jeunes, souvent diplômés, qui ne trouvent pas d’emploi. Dans cette foule, certains brandissent le drapeau grec. Dans des groupes « de gauche », cela a été interprété comme la marque d’un nationalisme réactionnaire. Dans un mouvement aussi massif, il est inévitable qu’il y ait des éléments réactionnaires. Mais il serait complètement erroné de penser que le fait de brandir un drapeau grec est synonyme de réaction. Le spectacle écoeurant des bandits de Bruxelles qui prennent la Grèce en otage et bafouent le droit démocratique des Grecs à choisir leur propre avenir – ce spectacle est une insulte à la fierté du peuple grec, qui exprime son indignation en brandissant le drapeau grec. Mais derrière leur haine de Bruxelles, il y a surtout la haine des banquiers, des riches et des parasites de tous les pays – Grèce comprise.
Les manifestations à Syntagma et d’autres villes du pays sont l’expression d’un mécontentement généralisé contre les partis politiques existant, y compris les partis de gauche. Cela vaut également pour les syndicats. On a vu exactement le même phénomène en Espagne. Mais cela ne signifie pas que ces manifestants sont apolitiques ou anarchistes. Cela révèle un profond mécontentement à l’égard d’appareils bureaucratiques qui ont depuis longtemps cessé de représenter les idées et les aspirations des masses.
Face au programme d’austérité du gouvernement, les dirigeants syndicaux grecs ont organisé une série de grèves générales de 24 heures. Mais une grève de 24 heures n’est qu’une démonstration de force. Elle permet de faire sentir aux masses leur propre force collective. C’est très important, bien sûr, mais en soi cela ne peut pas suffire.
Dans certaines conditions, une grève de 24 heures peut faire reculer un gouvernement. Mais ce n’est pas le cas dans le contexte actuel. La crise du capitalisme grec est trop profonde pour que des grèves ponctuelles puissent avoir de sérieux effets. Le gouvernement attend simplement que la grève se termine – et poursuit sa politique. Pire : il arrive que les dirigeants syndicaux se servent des ces grèves de 24 heures comme de valves de sécurité pour relâcher un peu la pression qui s’accumule au sein du mouvement ouvrier – avant de signer un accord avec le gouvernement.
En Grèce, les appels à des grèves générales de 24 heures ont fini par mobiliser de moins en moins de monde. C’était inévitable, dans la mesure où le gouvernement ne cédait rien. Les travailleurs se disent : « on a fait ce qu’on a pu pour faire reculer le pouvoir, mais ça n’a servi à rien ». Ils finissent par considérer les grèves de 24 heures comme une perte de temps (et de salaire) inutile. Ils ne répondent plus aux appels. Alors, le gouvernement et les patrons reprennent l’offensive.
Grève générale
La pression doit s’exercer sur les syndicats pour qu’ils mobilisent toute la puissance du mouvement ouvrier grec. Il faut passer à l’action ! La seule issue est dans une mobilisation massive dans tout le pays. D’ores et déjà, des travailleurs d’entreprises menacées de privatisation ont fait grève. C’est correct, mais ce n’est pas assez. Le mouvement de grève doit être généralisé. Les syndicats doivent immédiatement appeler à une grève de 48 heures ! [1] Après quoi, si le gouvernement refuse de reculer, il faut fixer une date pour une grève générale illimitée.
Une assemblée populaire de 2 à 3000 personnes, place Syntagma, a approuvé un appel à une grève générale politique. Dans le contexte actuel, la revendication d’une grève générale politique et illimitée est une revendication correcte. Mais soyons clairs. Autant une grève de 24 heures est une démonstration de force, autant une grève générale illimitée pose la question du pouvoir. Elle pose la question : « qui doit diriger la société ? Les travailleurs ou les capitalistes ? »
L’idée d’assemblées populaires se répand. Cela exprime la nécessité de donner au mouvement de masse une forme organisée. De nombreuses assemblées ont été constituées dans des quartiers ouvriers d’Athènes. C’est exactement ce qui est nécessaire ! Un tel mouvement a le potentiel pour renverser l’ordre établi, à une condition : qu’il soit dirigé par des éléments authentiquement révolutionnaires. Ici, la confusion inhérente à un mouvement spontané peut jouer un rôle très négatif. Ceux qui pensent qu’il est possible de réformer le système s’efforceront de cantonner ces assemblées à des groupes de discussion réformistes où rien n’est jamais décidé.
Pour que les comités d’action se développent pleinement, ils doivent être liés au plan local, régional et national. Ils doivent se donner comme objectif clair la préparation d’actions de masse culminant dans une grève générale de tout le pays. Une conférence nationale de délégués devrait être convoquée le plus tôt possible pour discuter d’une action nationale. Une telle conférence serait beaucoup plus représentative du peuple que le gouvernement actuel, qui est complètement discrédité.
D’ores et déjà, une couche des manifestants parvient aux bonnes conclusions politiques. Ils avancent des mots d’ordre corrects tels que « partager le travail pour lutter contre le chômage » (nous ajoutons : sans baisse de salaire), ou « confisquer les logements vides » au bénéfice des mal-logés. Ce sont d’excellentes revendications qui devraient être concrétisées et généralisées de façon à inclure l’expropriation des banques et des principales industries, sous le contrôle des salariés.
Une revendication immédiate permettrait d’unifier le mouvement et d’entraîner de larges couches de la population : le refus de payer la dette étrangère. Pas un euro pour les parasites internationaux ! Mais cette revendication mène logiquement à une autre : l’expropriation des banques grecques et la centralisation de tout le crédit entre les mains de l’Etat.
Aucun des problèmes du peuple grec ne pourra être résolu sous la dictature des banquiers et des capitalistes. Antonis Papaioannou, un étudiant de 20 ans, explique que le plan d’austérité a frappé l’éducation nationale. Dans son établissement, les mesures d’économies budgétaires ont abouti à des coupures d’électricité et même des pénuries de papier. Des enseignants ont fait grève pour protester contre le non-paiement de leurs salaires. « Je suis indigné parce que le gouvernement ne fait qu’une chose : presser le peuple au maximum sans dépenser d’argent dans l’éducation », explique le jeune homme. Il ajoute : « Le gouvernement représente le grand capital grec, pas le peuple grec ».
C’est le cœur du problème. Le renversement révolutionnaire du capitalisme est le seul moyen de résoudre la crise – en Grèce comme dans le reste du monde. Ce qui se passe en Grèce et en Espagne montre qu’un puissant mouvement se développe dans plusieurs pays. Dès qu’il sera armé avec le programme et les perspectives nécessaires, rien ne pourra l’arrêter.
[1] Dans les traditions du mouvement ouvrier grec, la grève de 48 heures est un mot d’ordre courant.