L’arrestation de dirigeants d’Aube Dorée a sûrement été accueillie avec satisfaction par les antifascistes et militants de gauche, non seulement en Grèce, mais aussi dans toute l’Europe. Cependant, pour les communistes et tous les militants du mouvement ouvrier, il est nécessaire de comprendre à la fois les raisons de ce coup de filet et les scénarios qui s’ouvrent maintenant dans le pays.
Les arrestations de dirigeants du parti néo-nazi sont la conséquence directe de l’indignation populaire qui a suivi l’assassinat de Pavlos Fyssas, rappeur antifasciste et délégué syndical, commis par un militant d’Aube Dorée. Dans la seule soirée du mercredi 25 septembre, 50 000 jeunes et travailleurs sont descendus dans les rues d’Athènes, en réaction à ce meurtre.
Ce qui a obligé le gouvernement à agir contre Michaloliàkos (le principal leader d’Aube Dorée) et ses disciples, c’est précisément la crainte que cette colère de milliers de jeunes et de travailleurs se retourne directement contre l’Etat.
Les accusations sont multiples : l’homicide de Pavlos Fyssas, celui d’un Pakistanais à Petralona et la tentative d’homicide d’un Egyptien à Ichtioskala. Des procédures ont aussi été ouvertes pour d’autres cas de tentatives d’homicide, agressions, chantages et blanchiment d’argent. Le groupe dirigeant d’Aube Dorée est également soupçonné d’être impliqué dans la disparition de 100 immigrés « clandestins ».
Il est évident que ces accusations n’ont pas été préparées du jour au lendemain. La magistrature grecque travaillait sur ces dossiers depuis des mois et a décidé de les utiliser quand elle l’a jugé opportun. En effet, pendant des décennies, les crimes des néonazis sont restés impunis. Aujourd’hui on entend des félicitations adressées au gouvernement et à l’appareil de l’Etat pour avoir « appliqué la loi ». Or c’est justement l’absence totale du respect de cette dernière, avec la complicité de plusieurs secteurs de la police et de l’armée grecque, qui a permis la croissance d’un mouvement comme celui d’Aube Dorée, jusqu’à en faire une force politique importante dans la société grecque.
Ce n’est pas un hasard si le virage répressif à l’encontre d’Aube Dorée a été précédé d’un nettoyage dans la direction de la police. Deux officiers à la tête de la région de la Grèce centrale et méridionale ont été « démis » de leurs fonctions, ainsi que huit autres hauts fonctionnaires. Durant l’opération de samedi dernier contre les dirigeants néo-nazis, vingt autres policiers ont été arrêtés. Les liens entre des secteurs de la police et Aube Dorée étaient un secret de polichinelle. Aube Dorée a été créée, dans les années 80, par des policiers et des militaires nostalgiques de la dictature des colonels.
La bourgeoisie grecque s’en est longtemps servie comme d’une force auxiliaire. Tous les plus grands capitalistes grecs ont financé Aube Dorée. Les médias lui ont accordé beaucoup d’espace. Du fait de la décomposition des partis traditionnels de la bourgeoisie, Aube Dorée a grandi et s’est renforcée. Certes, elle n’a jamais été une force de masse, comptant au maximum 2000 à 2500 militants. Toutefois, son audace a grandi. Ses actions criminelles, dont le point culminant est le meurtre de Pavlos Fyssas, ont provoqué une réaction populaire massive, mettant en danger le système dans son ensemble.
Peu de jours avant l’opération contre le parti de Michaloliakos, des réservistes de l’armée ont publié un communiqué dans lequel ils appelaient à former un gouvernement « sans hommes politiques » et sous la protection des forces armées – un discours semblable à celui d’Aube Dorée. Cependant aujourd’hui la classe dirigeante grecque n’a aucun intérêt à soutenir un coup d’Etat. Le mouvement ouvrier et la jeunesse sont trop puissants ; toute tentative « autoritaire » serait vouée à l’échec. Les deux dernières semaines ont été marquées, par exemple, par des grèves des travailleurs de la fonction publique. Parmi les secteurs les plus combatifs de la classe ouvrière grandit la revendication d’une grève générale reconductible. Un coup d’Etat aujourd’hui mettrait le feu aux poudres.
Le gouvernement Samaras veut épuiser toutes les solutions constitutionnelles, à ce stade. Dans un second temps, par contre, le gouvernement agira par décret, sacrifiant les « garanties constitutionnelles » et se livrant à une répression généralisée.
Avec l’opération de samedi dernier contre l’Aube Dorée, l’Etat a essayé de repeindre sa propre façade en se débarrassant des ses amis les moins présentables. Mais l’Etat n’est pas un organisme impartial, qui agirait pour la tutelle d’une justice abstraite et pour le bien de la société. Comme l’ont bien appris les travailleurs et les jeunes grecs en ces années de grandes luttes sociales, l’Etat est un instrument de domination et de répression, qui organise le maintien de l’injustice sociale. Du point de vue de Nouvelle Démocratie [le principal parti de droite, actuellement au pouvoir], la répression d’Aube Dorée permet de renforcer le gouvernement, qui a besoin de mettre en œuvre une nouvelle – énième – attaque envers le mouvement ouvrier.
Aujourd’hui, la bourgeoisie grecque a besoin de stabilité – et non de l’aventurisme dangereux des néo-nazis. Il faut comprendre les intérêts de classe en jeu, au lieu de faire des commentaires abstraits sur la défense du « droit » et de la « démocratie », comme dans la déclaration suivante de la direction de Syriza : « Aujourd’hui, il a été démontré que la démocratie et notre système judiciaire nous donnent la possibilité de soumettre les criminels au jugement de la loi ».
Une telle déclaration n’éclaire en rien les fondements du danger représenté par Aube Dorée, qui ne réside pas uniquement dans ses actions criminelles, mais aussi dans son idéologie et dans sa politique. Les actions criminelles en sont la conséquence.
Le fascisme ne sera pas éliminé par l’action de la magistrature, mais seulement par le renversement du capitalisme. C’est le système capitaliste qui alimente et nourrit l’idéologie fasciste ; c’est ce système qui crée les conditions pour l’appauvrissement des classes moyennes et la croissance du sous-prolétariat urbain, deux couches sociales qui forment la base électorale et militante d’Aube dorée. En outre, cette même bourgeoisie qui, aujourd’hui, « poursuit » les néo-nazis, sera prête demain à recréer une organisation similaire, sous un autre nom.
La lutte antifasciste est donc liée à l’adoption d’un programme révolutionnaire. Et dans l’immédiat, il faut abandonner toute attitude passive envers le fascisme – et combattre l’illusion que l’action des forces de l’ordre arrêtera l’avancée des néo-nazis. Des attaques comme celle de Perama (faubourg d’Athènes où l’Aube Dorée a attaqué un groupe de militants communistes), ou comme l’homicide de Pavlos Fyssas, se répéteront inévitablement. Pour cette raison, il est nécessaire de créer un front unitaire des organisations politiques et syndicales de la classe ouvrière, qui organise des groupes d’autodéfense antifasciste dans chaque quartier, dans chaque école et université, unifiés dans une unique milice antifasciste centralisée.
Stamatis Karagiannopoulos
Membre du comité central et de la tendance communiste de SYRIZA
Note : Depuis que cet article a été publié en grec, les dirigeants d’Aube Dorée ont été libérés sous caution. En outre, lors de son témoignage qui a duré six heures, Ilias Kasidiaris, l’un des députés d’Aube Dorée aurait déclaré qu’il savait qui était le « témoin protégé ». Les médias grecs ont indiqué que le nom, l’adresse et le numéro de téléphone de ce témoin clé qui avait témoigné contre Aube Dorée ont été inclus dans les dossiers remis aux avocats de la défense « par erreur » ... Cela révèle en outre la connivence entre l’appareil d’Etat et les dirigeants d’Aube dorée !