Mi-mai, l’offensive des forces russes dans le Donbass a fini par percer le front ukrainien sur au moins trois points. A l’heure où nous écrivons ces lignes, l’armée russe menace d’encercler plusieurs concentrations de troupes ukrainiennes, notamment autour de Severodonetsk. Même s’il est toujours possible que cette offensive s’essouffle et que les forces ukrainiennes se rétablissent un peu plus loin, la perspective d’une défaite majeure de l’armée ukrainienne, dans le Donbass, est bien réelle. C’est ce qui a poussé le gouvernement de Kiev à annoncer, de nouveau, qu’il était prêt à négocier avec la Russie.
Pressions contradictoires
Cependant, Zelensky reste soumis à une autre pression, opposée à celle de l’armée russe, et qui vient de Washington. Il y a un mois, le gouvernement américain et l’OTAN avaient déjà fait échouer les négociations de paix à peine entamées. Outre la dépendance de l’armée ukrainienne aux envois d’armes occidentales, Zelensky sait que même après la guerre, son gouvernement aura besoin de l’aide des Etats-Unis et de l’Europe pour assurer la reconstruction du pays. Washington agite ces carottes sous le nez de Zelensky pour le pousser à prolonger la guerre.
Les gouvernements des Etats-Unis et d’Ukraine n’ont pas exactement les mêmes objectifs. Le gouvernement de Kiev veut conserver sous son contrôle autant de territoire que possible, ce qui peut impliquer de négocier avec les Russes avant qu’ils n’occupent une plus grande partie de l’Est du pays. De son côté, l’administration Biden veut faire durer la guerre au maximum pour « saigner » l’armée russe. Le député démocrate américain Seth Moulton l’a reconnu ouvertement. Le 7 mai, sur une chaîne de télévision américaine, il affirmait qu’il ne s’agissait pas seulement « de soutenir les Ukrainiens. Nous sommes essentiellement en guerre contre la Russie, même s’il s’agit d’une guerre par procuration ». La Maison Blanche a formellement critiqué cette déclaration trop franche, mais la formule de Moulton est exacte : les Etats-Unis mènent une guerre contre la Russie par le biais de l’armée ukrainienne et sur le territoire de l’Ukraine.
Divisions entre alliés
Après une phase d’unanimité de façade, des contradictions se sont également manifestées entre les Etats-Unis et plusieurs de leurs alliés européens – à propos de la même question : jusqu’où doit aller la guerre contre la Russie ? Comme le disait De Gaulle, « les Etats n’ont pas d’amis ; ils n’ont que des intérêts ». Or les puissances impérialistes occidentales ont des intérêts divergents.
Les Etats-Unis veulent affaiblir la Russie, son armée et son économie. Ayant peu de liens économiques avec la Russie, les Etats-Unis peuvent se permettre de pousser cette logique assez loin. Du point de vue des impérialistes européens, la situation est plus délicate. Les pays européens sont davantage liés à l’économie russe. Beaucoup sont notamment très dépendants du gaz et du pétrole importés de Russie. Des sanctions trop strictes contre ces importations pourraient provoquer une nouvelle hausse dramatique des prix de l’essence et du gaz, au risque de préparer des explosions sociales en Europe.
C’est pour cette raison que plusieurs pays européens, dont l’Allemagne et la Hongrie, ont exprimé des réticences à l’idée de sanctions supplémentaires contre la Russie. C’est la même raison qui a poussé la France et l’Italie à se proposer récemment comme médiatrices pour de futures négociations de paix entre l’Ukraine et la Russie. Leurs économies sont trop fragiles pour supporter trop longtemps le poids de cette guerre par procuration.
L’impact des sanctions
Par ailleurs, il faut souligner que les sanctions ont eu un impact limité sur la Russie. Les accords économiques qu’elle a signés avec la Chine, d’une part, et d’autre part le maintien de liens économiques – et notamment énergétiques – entre la Russie et l’Europe, malgré les sanctions, ont eu pour effet de limiter leur impact sur l’économie russe. L’effondrement catastrophique prophétisé par les stratèges de Washington ne s’est pas réalisé. Par contre, comme après l’occupation de la Crimée en 2014, les sanctions ont eu pour effet de rallier la population russe autour du Kremlin. Alors que la popularité de Poutine était en chute libre avant le début de la guerre, les sanctions économiques contre la Russie lui ont donné l’occasion de se poser, une fois de plus, en « défenseur de la nation ».
Nous l’expliquions dès le mois de février : quelle que soit l’issue de cette guerre, les travailleurs d’Ukraine, de Russie, d’Europe et des Etats-Unis n’y gagneront rien. Au contraire. La guerre aggrave la crise économique, les sanctions provoquent des pénuries, attisent l’inflation et menace de famine des pays entiers. Par contre, les entreprises d’armements prévoient des profits records lorsque les armées de l’OTAN voudront remplacer les armes qu’elles ont livrées à Kiev. Par exemple, la Pologne vient d’annoncer qu’elle allait acheter des chars neufs pour remettre à niveau ses stocks, qui ont été réduits par ses envois à l’Ukraine. Comme dans toute guerre impérialiste, les travailleurs en paient le prix avec leur sang et par la dégradation de leurs conditions de vie, pendant que les capitalistes engrangent d’énormes profits.