Depuis le 12 janvier, les Etats-Unis et le Royaume-Uni mènent une campagne de bombardements contre le Yémen, avec le soutien actif de l’Australie, du Bahreïn, du Canada et des Pays-Bas.
Ces frappes sont présentées comme une réponse aux attaques que mènent les Houthis contre des navires de commerce en Mer Rouge, une des voies commerciales les plus importantes au monde. En réalité, elles prennent place dans la série de bombardements menés par les Israéliens et les Américains au Liban, en Irak et en Syrie, ces derniers mois. Ce faisant, les impérialistes prennent le risque de déclencher une guerre régionale.
Massacre à Gaza
La crise militaire au Yémen et en Mer Rouge est directement liée à la situation à Gaza. Les Houthis déclarent que leurs attaques contre des navires marchands sont une réponse au massacre des Gazaouis par l’Etat israélien. Ils ont d’ailleurs expliqué à plusieurs reprises ne viser que les navires appartenant à des pays qui soutiennent Israël. Ils ont même garanti la libre circulation des navires russes et chinois.
Le carnage perpétré à Gaza atteint des proportions sans précédent dans le long conflit israélo-palestinien. Le nombre de morts a sans aucun doute dépassé la barre des 30 000, avec plus de 26 000 morts confirmés et près de 7000 disparus. Les deux tiers sont des femmes et des enfants. 1,9 million de Gazaouis ont dû fuir leurs foyers, soit 85 % de la population totale.
Les logements de près de 500 000 Gazaouis ont été détruits ou rendus inhabitables. Sur les 36 hôpitaux de la bande de Gaza, 23 ont été détruits. Les infrastructures d’approvisionnement en eau et en électricité sont en ruines. Dans ces conditions, la maladie et la faim viennent s’ajouter aux ravages des bombes israéliennes. L’OMS a signalé une augmentation massive des cas de diarrhée chez les enfants. L’ONU affirme qu’un quart de la population souffre de la faim.
Malgré ces dévastations, Benyamin Netanyahou est encore très loin d’avoir atteint son objectif déclaré : « détruire le Hamas ». L’armée israélienne prétend avoir tué près de 9000 combattants du Hamas. Or, avant la guerre, les estimations du nombre de combattants du Hamas et du Jihad Islamique, dans la bande de Gaza, oscillaient entre 40 000 et 50 000. Loin d’être détruit, le Hamas dispose donc toujours d’une force significative dans la bande de Gaza. Dans le même temps, sa popularité s’est accrue en Cisjordanie et dans les camps de réfugiés palestiniens, du fait de la brutalité de la guerre menée par Israël. « Détruire le Hamas » nécessiterait de longs mois d’une guerre menée rue après rue, maison après maison, tunnel après tunnel. A ce jour, plus de 200 soldats israéliens ont déjà été tués. Plus d’un millier ont été blessés. Atteindre l’objectif fixé par Netanyahou impliquerait des pertes beaucoup plus importantes pour l’armée israélienne.
Par ailleurs, la guerre impacte sévèrement l’économie israélienne. La mobilisation de 300 000 réservistes est une mesure inédite depuis la guerre de 1973. Elle est venue s’ajouter au déplacement des 200 000 citoyens israéliens dont les logements étaient trop proches de Gaza ou de la frontière avec le Liban, mais aussi à un exil massif (470 000 Israéliens ont quitté le pays depuis le 7 octobre) et à l’interdiction, pour les Palestiniens, de venir travailler en Israël. Or ces derniers jouaient un rôle crucial dans l’économie israélienne. Par exemple, ils représentaient 65 % de la force de travail dans le BTP. D’après le Bureau central des statistiques israélien, les revenus de certaines industries auraient chuté de plus de 70 %. Les petites entreprises sont les plus touchées – et nombre de petits patrons, d’artisans et de commerçants reprochent au gouvernement de ne rien faire pour les aider.
Les manœuvres de Netanyahou
Cette pression s’ajoute à toute une série de critiques visant Netanyahou. Une partie de l’opinion publique israélienne lui reproche d’être responsable du « désastre sécuritaire » du 7 octobre. De fait, pendant des années, Netanyahou a favorisé le maintien du Hamas au pouvoir à Gaza, car cela permettait de couper politiquement la bande de Gaza de la Cisjordanie.
De nombreux rapports soulignent que des signes avant-coureurs de l’attaque du Hamas avaient été repérés par les services de sécurité israéliens, mais que ces alertes ont été ignorées par le gouvernement. Il est possible que Netanyahou, sous-estimant l’ampleur de l’attaque en cours de préparation, ait considéré qu’une « petite » guerre avec le Hamas lui permettrait de détourner l’attention de la profonde crise politique dans laquelle était plongé Israël, sans parler des nombreux scandales dans lesquels il est personnellement empêtré.
L’impasse dans laquelle se trouve le régime sioniste provoque des fissures jusque dans le gouvernement. Netanyahou est aujourd’hui ouvertement critiqué par le ministre de la Défense, Yoav Gallant, et par le ministre – sans portefeuille – Benny Gantz. Tous deux proposent d’entamer des négociations avec le Hamas pour obtenir un cessez-le-feu temporaire et la libération des otages encore détenus, une question clé pour l’opinion publique israélienne.
Le véritable objectif de Netanyahou n’a pas varié depuis le début de la crise : il veut rester au pouvoir à tout prix. Sa popularité est à un niveau abyssal ; il est poursuivi dans toute une série d’affaires de corruption. Lorsque la guerre s’arrêtera, des élections se tiendront sans doute rapidement et son gouvernement sera sûrement renversé, après quoi il devra faire face à une longue série de procès.
Sachant que ses jours sont comptés, Netanyahou s’appuie de plus en plus sur les sionistes les plus extrémistes, notamment les intégristes religieux et les colons qui prônent l’expulsion ou le massacre des Palestiniens de façon à annexer la Cisjordanie et la bande de Gaza. Il a désespérément besoin d’une victoire pour tenter de regagner une fraction de sa popularité perdue. La poursuite de la guerre à tout prix, comme les récents assassinats perpétrés au Liban contre un dirigeant du Hamas et un chef militaire du Hezbollah, font partie de cette stratégie de « quitte ou double ».
C’est aussi ce qui explique que Netanyahou ait systématiquement résisté aux pressions des impérialistes américains pour minimiser l’ampleur du massacre à Gaza. Ceux-ci craignent que cette guerre ne débouche sur un conflit régional. Mais Netanyahou sait très bien que les Américains ne peuvent pas se permettre de se brouiller avec le dernier allié solide dont ils disposent au Moyen-Orient. Le Premier ministre israélien sait bien que, quoi qu’il fasse, les Américains seront obligés de le soutenir, même si cela implique une escalade du conflit.
Vers un conflit régional ?
En frappant les Houtis, Washington prétend vouloir « empêcher une extension du conflit ». Mais à bien des reprises, dans l’histoire, le cours des événements a échappé au contrôle des gouvernements et des classes dirigeantes. Cette nouvelle aventure militaire pourrait parfaitement déboucher sur une guerre régionale.
Si Joe Biden s’imaginait qu’il serait facile de dissuader les Houthis de mener de nouvelles attaques contre des navires marchands, il s’est lourdement trompé. Les Houthis constituent une force redoutable, disciplinée et aguerrie par de longues années de guerre contre l’Arabie Saoudite et ses alliés yéménites. Entre 2015 et 2022, les Saoudiens ont bombardé leurs bases militaires, massacré un grand nombre de civils et provoqué une famine qui a tué des centaines de milliers de personnes. Les Houthis n’en ont pas moins résisté. Ils ont contraint la puissante armée saoudienne – équipée d’armes modernes fournies par la France et les Etats-Unis – à mettre fin à son intervention. A cette occasion, les Houthis ont gagné le soutien d’une bonne partie des masses yéménites.
A eux seuls, des bombardements aériens ne peuvent pas intimider les Houthis. Depuis le début des frappes américaines, les attaques contre des navires marchands se sont intensifiées. Le 26 janvier, un pétrolier de l’armateur suisse Trafigura a pris feu après avoir été touché par un missile tiré par les Houthis. Depuis début décembre, le trafic maritime dans la région a été réduit de 42 %. Il sera bientôt évident, aux yeux du monde entier, que les bombardements américains au Yémen sont contre-productifs. Au passage, les Etats-Unis afficheront leur impuissance face à l’un des pays les plus pauvres de la planète.
En bombardant le Yémen, les impérialistes américains visent aussi l’Iran, qu’ils présentent comme la source de tous leurs malheurs dans la région et espèrent intimider, afin de les contraindre à se tenir à l’écart de la guerre à Gaza. Mais tant que cette guerre continuera, le risque d’une confrontation directe entre Washington et Téhéran ne fera que croître. Des attaques menées par des groupes soutenus par l’Iran ont déjà visé des bases américaines en Syrie et en Irak, en représailles des frappes au Yémen.
En répétant inlassablement que derrière les actions des Houthis se cache la main de Téhéran, les Américains préparent le terrain à d’éventuelles frappes contre l’Iran. Un tel scénario aurait des effets dévastateurs dans toute la région – et au-delà. Cela mènerait inévitablement à des attaques contre les bases américaines en Syrie, en Irak, et contre tous les intérêts américains dans la région. Un tel développement serait très périlleux pour l’impérialisme américain. A Washington, une partie de l’administration et de l’appareil d’Etat s’oppose sans doute à une telle escalade militaire au Moyen-Orient. Et cependant, elle n’est pas totalement exclue.
Une véritable poudrière
Tandis que les habitants de Gaza comptent leurs morts sans que les puissances impérialistes ne bougent le petit doigt pour les aider, une coalition militaire internationale a donc été mise sur pied pour défendre une cause bien plus importante : la sacro-sainte liberté du commerce… Quitte à dévaster un peu plus un autre pays du Moyen-Orient.
Entre 2015 et 2022, le peuple yéménite a été la victime d’un massacre de masse mené par une coalition dirigée par l’Arabie Saoudite et soutenue par les puissances occidentales, Etats-Unis et France en tête. 150 000 personnes ont été tuées dans les bombardements, tandis que des centaines de milliers d’autres sont mortes de faim ou de maladies. Aujourd’hui, les impérialistes occidentaux mènent une nouvelle agression contre le Yémen pour protéger les profits des grandes entreprises capitalistes, mais aussi pour mettre en garde tous ceux qui pourraient être tentés d’intervenir directement dans la guerre meurtrière menée par Israël contre les Palestiniens de Gaza.
Ces nouvelles attaques contre le Yémen ont encore renforcé la colère des masses contre l’impérialisme dans tous les pays du Moyen-Orient. La région est devenue une véritable poudrière. Plusieurs pays ont déjà été entraînés dans la mêlée, comme le Liban, la Syrie et l’Irak. En multipliant les aventures militaires, les impérialistes occidentaux jettent de l’huile sur le feu. Et ce sont les peuples du Moyen-Orient et du monde entier qui en paieront le prix.