Samedi dernier, l’armée israélienne a annoncé que ses troupes avaient retrouvé les corps de six otages retenus par le Hamas à Gaza. Cette nouvelle a provoqué en Israël une explosion de colère contre le Premier ministre Benyamin Netanyahou. Celui-ci est accusé d’avoir provoqué la mort des otages en sabotant constamment les négociations avec le Hamas, et ce uniquement pour se maintenir au pouvoir.
Dimanche, plusieurs centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues des grandes villes israéliennes. Le lendemain, le pays était paralysé par une grève générale convoquée par la Histadrout, la principale confédération syndicale israélienne.
Netanyahou est responsable
Samedi 31 août, l’armée israélienne a retrouvé les corps de six otages (Hersh Goldberg-Polin, Eden Yerushalmi, Ori Danino, Alex Lobanov, Carmel Gat, et Almog Sarusi), qui avaient été enlevés durant l’attaque du 7 octobre. Tous étaient apparemment morts depuis moins de 48 heures. D’après des sources israéliennes, ils auraient été abattus à bout portant, ce qui pourrait indiquer qu’ils ont été exécutés alors que les troupes israéliennes s’approchaient de leur lieu de détention. Dans une interview donnée à Al Jazeera, un des dirigeants et négociateurs du Hamas, Khalil al-Hayya, a nié que les otages aient été abattus par son organisation. Il a accusé l’armée israélienne d’avoir tué « certains d’entre eux [...] par des bombardements ou des tirs directs ».
Pour les familles des otages – ainsi que pour une large proportion de la population israélienne – les circonstances précises de la mort de ces otages sont une question secondaire. Tout le monde en Israël savait que le comportement de Netanyahou dans les négociations avec le Hamas pouvait mener à l’exécution des otages. Des experts et des conseillers du gouvernement l’avaient répété à plusieurs reprises, en privé et en public.
Cette question a même été l’objet d’une échauffourée durant une réunion du cabinet de sécurité jeudi dernier, le 29 août. Netanyahou voulait y faire approuver des conditions supplémentaires dans les négociations avec le Hamas. Il s’agissait notamment d’exiger que, dans le cas d’un éventuel cessez-le-feu, l’armée israélienne garde le contrôle du « corridor de Philadelphie », une zone séparant la Bande de Gaza de l’Egypte.
D’après certains journaux, cette proposition aurait provoqué un violent échange avec le ministre de la Défense Yoav Gallant, qui aurait affirmé que, contrairement à ce que prétendait Netanyahou, ni l’armée israélienne, ni les Américains n’approuvaient cette nouvelle condition. Netanyahou se serait alors violemment emporté et aurait proposé de passer immédiatement au vote. Gallant aurait répondu : « en tant que Premier ministre, vous pouvez soumettre n’importe quelle décision au vote du cabinet – y compris l’exécution des otages », avant d’ajouter que la proposition de Netanyahou ne ferait que donner au Hamas plus de marges de manœuvres dans les négociations :
« Nous devons choisir entre Philadelphie et les otages. On ne peut pas avoir les deux. Si nous votons [pour approuver la revendication du “corridor de Philadelphie”], les otages peuvent mourir ou alors nous devrons reculer pour les faire relâcher ».
Gallant n’est pas un pacifiste ou un pro-palestinien, bien au contraire. C’est un sioniste convaincu, membre du même parti que Netanyahou, le Likoud. Il se préoccupe avant tout de défendre les intérêts de l’Etat sioniste, plongé dans l’impasse de la guerre à Gaza. Lors de cette réunion, il a notamment affirmé que la conclusion d’un cessez-le-feu temporaire permettrait de « calmer les tensions régionales avec l’Iran et le Hezbollah » et ainsi permettre à l’armée israélienne de « se regrouper, se réarmer, repenser sa stratégie [et d’éviter qu’elle reste] embourbée à Gaza ». Pour lui, il était clair que la responsabilité de l’échec des négociations à conclure un cessez-le-feu reposait entièrement sur le camp israélien, c’est-à-dire sur Netanyahou.
Khalil al-Hayya, le négociateur du Hamas, disait la même chose dans son interview à Al-Jazeera. Il soulignait notamment que, le 2 juillet, son mouvement avait accepté un accord de cessez-le-feu et de libération des otages, parrainé par les Etats-Unis et auquel Israël avait donné son assentiment... avant que Netanyahou n’avance de nouvelles exigences et ne fasse capoter l’accord. Il concluait : « Nous ne voulons pas négocier sur ces conditions. Le mouvement a décidé de ne pas faire de compromis vis-à-vis de la proposition du 2 juillet ».
Un flot de colère
Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que l’annonce de la découverte des six corps ait provoqué une explosion de colère dirigée contre Netanyahou. La direction du Forum des familles des otages et disparus a par exemple déclaré :
« Sans les retards, les sabotages et les fausses excuses, ceux dont nous avons appris la mort ce matin seraient encore en vie. Netanyahou a abandonné les otages. C’est un fait maintenant avéré. A partir de demain, le pays va bouillonner. Nous appelons la population à se préparer. Nous allons mettre le pays à l’arrêt. »
Les manifestations de dimanche ont été massives. Près de 300 000 personnes sont descendues dans les rues de Tel-Aviv, et 200 000 autres dans le reste du pays. Dans certains cas, elles ont été confrontées aux gaz lacrymogènes de la police qui voulait les empêcher de bloquer des routes. A Tel-Aviv, la manifestation s’est dirigée vers l’Etat-major de l’armée, au son de slogans réclamant un cessez-le-feu immédiat. Plusieurs proches des otages se sont adressés à la foule. La mère d’un otage a notamment appelé à « secouer le pays jusqu’à ce qu’un accord soit signé ».
La classe dirigeante divisée
C’est dans ce contexte que le secrétaire général de l’Histadrout, Arnon Bar-David, a annoncé que son syndicat appelait à une grève générale pour le lendemain. Plusieurs dirigeants syndicaux mais aussi des politiciens d’opposition se sont joints à son appel.
Le ministre d’extrême droite Bezalel Smotrich – un opposant résolu à tout cessez-le-feu – s’est alors tourné vers les tribunaux pour faire interdire la grève, sous prétexte qu’il s’agissait d’une « grève politique » dont le but était d’influencer le gouvernement sur des « questions cruciales de sécurité nationale ». C’est exact. Cette grève est en effet très particulière. Il s’agit d’un appel à ce que les travailleurs mettent leur puissance économique au service d’un objectif politique, en l’occurrence un accord sur la libération des otages. Cet objectif est, de surcroît, partagé par une large partie de la classe dirigeante. Plusieurs associations patronales, notamment du secteur de la haute technologie, ont même publiquement soutenu l’appel à la grève.
Cela ne signifie pas que la grande bourgeoisie israélienne se préoccupe particulièrement du sort des otages ou des souffrances des Palestiniens – dont plus de 40 000 ont déjà été tués depuis le 7 octobre. Tout comme Gallant, l’opposition de la classe dirigeante sioniste à Netanyahou est dictée par le besoin de défendre les intérêts du capitalisme israélien. Il s’agit non seulement de mettre fin à la guerre actuelle, aux dégâts qu’elle cause à l’économie et d’essayer de se tirer d’une impasse stratégique, mais aussi de défendre le mythe de l'unité nationale, qui est un élément important de la domination de classe de la bourgeoisie israélienne.
Depuis la création de l’Etat d’Israël, l’idée que les travailleurs et les capitalistes juifs seraient unis dans la lutte contre l’ennemi arabe a été utilisée par la classe dirigeante israélienne pour dissimuler les inégalités de classe et de créer le sentiment d’une « unité nationale » sioniste. Or, le comportement de Netanyahou, dicté uniquement par sa volonté de rester au pouvoir, fragilise cette apparence d’unité. C’est cela qui explique l’hostilité de la classe dirigeante à son égard. Ils veulent le renverser car ils le considèrent comme une menace envers leurs intérêts et ceux de l’Etat sioniste.
Le journal sioniste libéral Haaretz a par exemple publié un article dans lequel un membre haut placé du gouvernement affirme que Netanyahou est un « lâche » et un « narcissique » qui a sacrifié les otages « de sang froid ». L’article s’achève sur un appel à renverser le Premier ministre et sa « clique radicale et dangereuse qui a pris le contrôle d’Israël ».
Les dirigeants réformistes de l’Histadrout partagent le même objectif que les patrons et les politiciens sionistes hostiles à Nétanyahou. Il ne s’agit pas pour eux de défendre les intérêts des travailleurs, mais bien de restaurer la soi-disant « unité nationale ». Dans son appel à la grève générale, Bar-David a été clair : « Nous ne sommes plus un peuple uni, nous sommes divisés. Nous devons remettre l’Etat d’Israël sur ses pieds. »
Pour autant, si la classe dirigeante israélienne mobilise les travailleurs pour défendre ses propres intérêts, rien ne lui fait plus peur que la perspective que la classe ouvrière puisse jouer un rôle indépendant. Cette crainte est partagée par les dirigeants syndicaux réformistes. Alors que la grève générale devait durer 24 heures, lorsque les tribunaux mobilisés par Bezalel Smotrich l’ont jugé illégale et ont exigé sa fin immédiate, la direction de l’Histadrout s’est exécutée immédiatement. Bar-David a même affirmé qu’ils respecteraient toujours la loi.
Le rôle des Etats-Unis
Les Etats-Unis jouent un rôle clé dans cette situation. Les provocations constantes de Nétanyahou contre le Hezbollah et l’Iran ainsi que le carnage qu’il a déchaîné contre les Palestiniens de Gaza risquent à tout moment d’étendre la guerre à d’autres pays du Moyen-Orient. Un tel scénario n’est pas vraiment dans l’intérêt des Etats-Unis, car il risquerait de déstabiliser des régimes alliés de Washington et ferait vaciller l’économie mondiale. De plus, alors que les élections approchent, Biden et les démocrates sont soumis à une forte pression d’une partie de leur électorat, sensible aux souffrances des Palestiniens de Gaza.
Mais Israël est un des derniers alliés fiables de Washington dans la région – et l’impérialisme américain ne peut se permettre de risquer de se l’aliéner. C’est cela qui explique la passivité de Biden. Pourtant, s’il avait voulu contraindre Netanyahou à signer un accord de cessez-le-feu, le gouvernement américain n’aurait eu qu’à suspendre son aide militaire et financière à Israël – sans laquelle le carnage ne pourrait continuer. Mais il ne l’a jamais fait. En cela, l’impérialisme américain est responsable et complice du massacre des Palestiniens de Gaza.
Que dit Biden à présent ? Face aux sabotages constants des négociations par Netanyahou, il a déclaré qu’il ferait une « dernière offre », et que si le Hamas et Israël ne l’acceptaient pas, les Etats-Unis se retireront du processus de négociations. Cette menace est d’autant plus vaine que, comme nous l’avons expliqué plus haut, elle avait déjà été brandie en juillet. Une précédente « dernière offre » avait alors été acceptée par le Hamas et Israël. Netanyahou avait immédiatement sabordé l’accord en rajoutant de nouvelles conditions, avant d’ordonner l’assassinat du principal négociateur du Hamas !
Provocations en Cisjordanie
Pendant que le carnage continue à Gaza, les provocations meurtrières des colons et de l’armée israélienne ne font que s’intensifier en Cisjordanie. Le 28 août, la ville de Jénine a été attaquée par l’armée israélienne. Les troupes israéliennes ont détruit au bulldozer des rues entières ainsi qu’environ 20 kilomètres de canalisations du réseau d’approvisionnement en eau de la ville. Des dizaines de milliers de personnes se retrouvent donc sans eau ni électricité.
Tout ceci se fait avec l’appui hypocrite des puissances impérialistes occidentales, qui parlent de « Droit international »... tout en fournissant aux Israéliens les moyens de massacrer les Palestiniens et en réprimant les mobilisations de solidarité avec la Palestine.
La seule solution pour mettre fin à ce carnage se trouve dans une mobilisation révolutionnaire dirigée, d’une part, contre les impérialistes occidentaux, sans l’appui desquels le massacre de Gaza ne pourrait continuer un seul jour ; d’autre part, contre les régimes réactionnaires d’Arabie Saoudite, de Jordanie, de Turquie, etc. qui sont pleinement complices de l’oppression des Palestiniens ; enfin, la libération des Palestiniens doit s’accompagner d’une politique visant à diviser la société israélienne selon des lignes de classe. Cela suppose de rompre avec la politique de collaboration de classe menée par les dirigeants du mouvement ouvrier israélien, pour défendre les intérêts communs des travailleurs juifs et arabes d’Israël contre ceux de la classe capitaliste israélienne. La classe ouvrière d’Israël doit comprendre qu’un peuple qui en opprime un autre ne peut être libre.
Au lieu d’un « refuge » pour les Juifs, Israël est un pays en guerre constante contre ses voisins. Cela est dû au fait que sa création s’est faite en expulsant par la force un peuple entier, les Palestiniens. La classe dirigeante israélienne s’est maintenue au pouvoir pendant des décennies en unissant derrière elle toute la population d’Israël sous prétexte que l’Etat sioniste défendait leur sécurité. L’attaque du 7 octobre a fait voler ce mythe en éclat. La crise actuelle ouvre une opportunité pour diviser la société israélienne selon des lignes de classe. Mais cela suppose de construire une force révolutionnaire capable de s’opposer à la fois à Netanyahou et à l’aile de la classe dirigeante qui lui est hostile ; une force révolutionnaire déterminée à mettre un terme à l’oppression des Palestiniens.
Ce n’est que lorsque la classe dirigeante sioniste sera renversée, que ses plans seront brisés et que le peuple palestinien aura gagné un foyer, que ce conflit pourra enfin être résolu. Pour cela, il faut une révolution à l’échelle du Moyen-Orient !
2 septembre 2024