D’après le Syndicat national de l’enseignement supérieur (Snesup-FSU), soixante universités françaises, soit les quatre cinquièmes d’entre elles, risquent de finir l’année en faillite. En 2023, elles étaient une trentaine ; en 2022, une quinzaine. Cette dégradation continue est le résultat direct des coupes budgétaires imposées par les gouvernements successifs. En février dernier, Bruno Le Maire annonçait une nouvelle baisse de 900 millions d’euros dans le budget de l’enseignement supérieur, qui a été suivie cette année par l’annonce d’une autre coupe de 500 millions. Ces attaques répétées contre l’Université publique ne sont pas une nouveauté : cela fait des années que la classe dirigeante s’emploie à la démanteler.

La création de l’Université publique

Avant 1968, l’enseignement supérieur en France reposait principalement sur une fédération de facultés élitistes, très autonomes et soumises chacune à la discrétion d’un doyen. Les mobilisations étudiantes du printemps 68 revendiquaient d’ailleurs, entre autres choses, la démocratisation de ces facultés. La classe dirigeante non plus n’était pas entièrement satisfaite de cette situation. Le capitalisme français des « Trente Glorieuses » avait besoin de cadres que ces facultés fermées sur elles-mêmes pouvaient difficilement lui fournir.

Les mobilisations de 1968 marquent un profond changement. La loi Faure de novembre 1968 supprime les anciennes facultés pour établir des établissements publics auxquels les facultés, qui cessent d’être autonomes, sont rattachées. Sous la pression des mobilisations étudiantes, le gouvernement met en place des « conseils universitaires », qui font participer des représentants des professeurs, du personnel et des étudiants à la gestion des universités.

Mais le but central de cette réforme n’est pas de « démocratiser » l’accès à l’Université. La loi Faure précise que les universités « doivent répondre aux besoins de la nation en fournissant des cadres dans tous les domaines et en participant au développement social et économique de chaque région ». Cette réforme permet d’ailleurs (déjà) l’entrée de chefs d’entreprises locaux dans les instances universitaires.

En 1981, François Mitterrand devient Président de la République. En 1984, la loi Savary supprime toute sélection et démocratise un peu plus les instances, avec la création dans chaque université d’un Conseil des Etudes et de la Vie Universitaire, qui renforce le poids des étudiants et des personnels. Comme les précédentes, cette réforme reste liée au développement du capitalisme français, qui a alors besoin d’un nombre croissant de cadres et de salariés qualifiés. La loi précise en effet que « le service public de l’enseignement supérieur contribue à la croissance régionale et nationale dans le cadre de la planification, à l’essor économique et à la mise en œuvre d’une politique de l’emploi prenant en compte les besoins actuels et leurs évolutions possibles ». La formation universitaire est donc supposée s’adapter, au moins en partie, aux besoins des entreprises locales, auxquelles elle doit fournir de la main-d’œuvre.

De la loi Devaquet à la stratégie de Lisbonne

Manifestation contre la loi Devaquet Après le « tournant de la rigueur » en 1983, les trahisons du gouvernement de François Mitterrand pavent la voie au retour de la droite au pouvoir lors des élections législatives de 1986. Le nouveau ministre de l’Enseignement supérieur, Alain Devaquet, instaure alors une loi qui renforce l’autonomie des universités, augmente les frais d’inscription et rétablit la sélection. Cela provoque une mobilisation de masse des étudiants et des lycéens. Le 4 décembre 1986, un million de manifestants défilent dans les rues de Paris. La mobilisation est brutalement réprimée, mais ne faiblit pas. Après le meurtre d’un jeune étudiant, Malik Oussekine, par des policiers, des mobilisations de solidarité se multiplient et le gouvernement est forcé de reculer. Devaquet démissionne et la loi est abandonnée. Pour autant, la bourgeoisie ne renonce pas à ses objectifs.

En 1998 puis en 2000, le processus de Bologne puis la Stratégie de Lisbonne « harmonisent » les systèmes d’enseignement supérieur à l’échelle européenne, pour mettre en concurrence les universités dans le cadre du « marché européen du travail ». Les Etats sont incités à privatiser les universités et à aligner leurs formations sur les secteurs économiques les plus rentables, comme le développement des nouvelles technologies et l’ingénierie au détriment d’autres disciplines telles que les sciences humaines et sociales.

Les lois LRU et Fioraso

Alors que les universités de la plupart des pays européens ont été soumises dès les années 1980 à de vastes contre-réformes, la classe dirigeante française restait hantée par le souvenir des mobilisations de 1968 et 1986. Depuis la loi Devaquet, elle hésitait à attaquer frontalement l’Université publique.

Ce n’est en 2007, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, que la Loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), portée par la ministre Valérie Pécresse, entame sérieusement le processus de privatisation de l’enseignement supérieur français. Les conseils d’administration des Universités sont ouverts largement aux chefs d’entreprise (tandis que la présence des représentants des personnels non-enseignants et des étudiants n’est plus obligatoire) et la gestion financière des universités devient entièrement autonome. Elles doivent désormais recruter elles-mêmes leurs personnels, payer les salaires et entretenir les locaux. Pour assurer cette autonomie, la loi les incite à se tourner vers des financements privés et à sous-traiter certaines de leurs missions.

En 2013, la loi Fioraso enfonce le clou : les chefs d’entreprise siégeant dans les conseils d’administration des universités peuvent désormais participer au vote pour élire le président de l’université, et le nombre de représentants patronaux au sein des « communautés d’universités » augmente. Ce sont d’ailleurs ces « communautés » qui sont dorénavant les seules structures habilitées à négocier des contrats de financement avec l’Etat.

Par ailleurs, pour réaliser des économies d’échelle, les universités sont incitées à se regrouper au sein de grands « pôles universitaires » qui sont mis en concurrence les uns avec les autres. Résultat : les suppressions de postes se multiplient et les filières les moins « rentables » disparaissent. Du point de vue du gouvernement, cela est d’autant plus bienvenu que la crise de 2008 a mis l’austérité budgétaire au premier point de l’ordre du jour.

Parcoursup et l’acte II de l’autonomie des universités

En 2018, Frédérique Vidal lance la plateforme Parcoursup, qui restaure officiellement la sélection à l’entrée des universités. Entre 2010 et 2020, la population étudiante a augmenté de 20 % en France, alors que les financements pour les universités et la recherche n’ont fait que baisser. Faute de moyens, l’enseignement supérieur n’arrive plus à accueillir tous les étudiants. Parcoursup vise donc à désengorger les universités, principalement en excluant les bacheliers issus de la classe ouvrière. Le résultat est sans appel : en cette rentrée 2024, 10 % des élèves de terminale ayant validé leur baccalauréat se sont retrouvés sans affectation. En 2019, la sélection s’attaque aux étudiants étrangers, à travers un plan au nom pour le moins cynique : « Bienvenue en France », qui multiplie par seize leurs frais d’inscription !

Le 26 mars dernier, Sylvie Retailleau annonçait « l’acte II » de l’autonomie des universités (après la LRU). En mai, neuf établissements pilotes ont expérimenté 23 mesures réactionnaires, qui devraient être généralisées à l’ensemble de l’enseignement supérieur dès la rentrée 2025 et dont la teneur a été révélée par le Snesup-FSU. Les universités auront, entre autres choses, la possibilité de fixer leurs capacités d’accueil de manière totalement autonome, ce qui ne peut que renforcer les processus de sélection. La réinscription dans une même mention de licence sera aussi conditionnée à l’obtention d’un certain nombre de crédits ECTS, ce qui signifie qu’il sera de plus en plus difficile de redoubler pour les étudiants en difficulté. La bourgeoisie continue donc de refermer les portes de l’enseignement supérieur et de le soumettre strictement aux besoins de main d’œuvre du capitalisme français.

Les raisons de l’échec des mobilisations étudiantes

Face aux contre-réformes réactionnaires qui se sont accumulées depuis plus 15 ans, les étudiants se sont mobilisés plusieurs fois, mais tous ces mouvements se sont achevés par des défaites. Il faut en comprendre les causes.

Beaucoup à gauche avancent une explication simple : les organisations étudiantes ne sont plus que l’ombre de ce qu’elles étaient. Il est vrai qu’au fur et à mesure que le PS et le PCF perdaient leur autorité politique, notamment durant le quinquennat de François Hollande, les organisations étudiantes qui leur étaient liées, principalement l’UNEF et l’UEC, sont entrées en crise. Aujourd’hui, elles sont bien plus petites qu’il y a quinze ans et leur modération tranche avec la radicalisation rapide d’une fraction croissante de la jeunesse, ce qui les empêche de jouer un rôle significatif dans les mobilisations. Mais cette faiblesse n’est pas un obstacle absolu au développement de puissantes mobilisations sur les campus. Après tout, depuis 2018, il y a eu plusieurs mouvements étudiants d’ampleur, alors même que ces organisations étaient déjà en déliquescence.

L’explication de ces défaites tient avant tout à l’isolement de ces mouvements. S’ils restent cantonnés sur les universités, les étudiants n’ont que peu d’impact sur le reste de la société et sur la marche de l’économie capitaliste. Le gouvernement peut alors tranquillement laisser dépérir les mobilisations avant de les réprimer. La classe dirigeante a un besoin objectif de faire des économies et de privatiser l’enseignement supérieur. Elle ne reculera que si elle n’a pas d’autre choix. Il faut la prendre à la gorge, en liant les mobilisations étudiantes au mouvement ouvrier et aux luttes des travailleurs, pour tenter de développer un mouvement de grève interprofessionnel qui menace directement les profits et la domination de la bourgeoisie.

C’est ce qui s’est passé lors de la dernière véritable victoire du mouvement étudiant, contre le CPE en 2006. Le mouvement étudiant s’était alors tourné vers les travailleurs et la mobilisation avait fait tache d’huile. Des étudiants se rendaient en masse sur les piquets de grève de la SNCF ou des raffineries pour aider à diffuser la grève. Face à ce qui ressemblait au début d’une vaste mobilisation aux conséquences explosives, le gouvernement De Villepin avait préféré reculer et retirer le CPE.

Les attaques contre l’Université, mais aussi toutes les conséquences de la crise du capitalisme seront autant d’occasions pour la jeunesse de s’organiser contre les attaques de la classe dirigeante. Pour pouvoir remporter des victoires lors de leurs prochaines mobilisations, les étudiants devront chercher à se lier aux travailleurs de leur campus et d’autres secteurs. Parallèlement, il incombe à la direction du mouvement ouvrier de se mobiliser pour défendre l’Université publique.

Pour une université débarrassée du capitalisme

Tant que nous resterons sous le capitalisme, l’Université et la recherche resteront soumises aux injonctions du marché et aux besoins des grandes entreprises. Le Parti Communiste Révolutionnaire, que nous fonderons fin novembre, revendiquera l’accès gratuit et universel à l’Université et à l’enseignement supérieur, la construction de suffisamment d’établissements pour accueillir tous les étudiants et l’intégration des écoles privées au sein d’un véritable service public de l’enseignement supérieur, qui sera géré démocratiquement par des représentants des étudiants et des personnels. 

Le capitalisme en crise est incapable d’assurer de bonnes conditions d’étude et de travail à l’ensemble de la communauté universitaire. Seule la révolution socialiste offrira à la jeunesse la possibilité de développer pleinement son potentiel créatif et intellectuel dans tous les domaines.

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