L’annonce, par Claude Allègre, de divers projets de réforme de l’enseignement secondaire, professionnel et superieur, s’est heurtée au désaccord et au profond mécontentement des professeurs, des élèves et parents d’élèves, qui ont manifesté ensemble, par dizaines de milliers, à travers toute la France, aux côtés de psychologues scolaires, assistants sociales, infirmières, personnels administratifs et techniques, conseillers d’éducation, chercheurs...
De même que Christian Sautter se disait "incompris" lorsque les salariés du Trésor Public rejettaient en bloc le projet de suppression de plusieurs centaines de postes, les conseillers de Claude Allègre ont déploré qu’une fois de plus le "mammouth" ait opposé son vieux réflexe " immobiliste", à ce qui de toute évidence était une réforme ... donc un progrès.
Mais si on pousse l’analyse un peu au delà de cette seule équation (réforme = progrès), en se penchant, par exemple, sur le contenu des réformes proposées, on découvre aisément le fond du problème : il s’agissait en réalité d’ouvrir sur plusieurs fronts à la fois la remise en cause des fondements du systême éducatif public.
La "carte scolaire", qui détermine la distribution des postes pour la rentrée à venir dans les différentes académies, était manifestement établie en fonction du maillage industriel régional du pays. Ainsi à tel bassin économique florissant correspondrait des établissements scolaires de qualité, et à tel autre, dont l’industrie serait moins dynamique, le strict "minimum" nécessaire. Dans le même esprit, la formation des professeurs des lycées professionnels devait désormais comprendre des stages pratiques en entreprise, ce qui aurait eu pour premier effet de valoriser les enseignements, et donc les diplômes, des régions les plus industrialisées. Lorsqu’en plus, parallellement à cela, on procède à un "allégement" des programmes, c’est-à-dire en clair à la diminution de la part des enseignements généraux, le résultat est la création d’un savoir "de pointe", ultra spécialisé, qui bloque la mobilité professionnelle en soumettant l’éventuel emploi des diplômés au bon vouloir et à la santé de l’économie locale. Et ce serait un redoutable moyen de pression pour les employeurs, face à des salariés qui ne peuvent plus travailler que pour eux. Les professeurs ont aussi dénoncé l’usage abusif de main d’oeuvre gratuite par les industriels locaux , sous couvert de stages, au cours desquels n’est pourtant pas toujours dispensée la formation qui en était le prétexte (stages balai-café-photocopieuse).
Les lycées généraux étaient, dans le projet de réforme, soumis à la même logique "minimaliste". Les problèmes de manque de professeurs y étaient résolus par l’allègement et la simplification pétendument "démocratique" des programmes. Effectivement, il est plus facile de faire apprendre par coeur des formules et des définitions à une classe de 35 élèves en difficulté que de leur faire comprendre par quels raisonnements on y arrive, et ainsi la nécessité de diminuer le nombre d’élèves par classe - et donc d’embaucher des professeurs - se fait moins sentir. Mais il n’y a là rien de démocratique, bien au contraire. Les élèves issus des milieux favorisés ne se contenteraient pas de ce savoir mécanique et minimal : ils peuvent toujours avoir recours à des structures d’enseignement privé, ou se faire aider par leur famille. En outre, les lycées dans lesquels ils sont regroupés continueraient de se baser sur un contenu pédagogique plus approfondi. Par conséquent, le résultat serait un accroissement des inégalités.
L’aide individualisée pour les élèves en difficulté, qui est en soi une bonne idée, ne sert dans ce projet qu’à justifier la suppression d’heures de cours, et revient donc à miner le niveau général de l’enseignement. La réforme du bac, qui prévoit d’y intégrer le système du contrôle continu, est tout aussi inégalitaire : les lycées les plus "cotés" délivreraient un diplôme implicitement reconnu superieur aux autres.
Les élèves et professeurs n’ont pas apprécié que Claude Allègre réponde à leurs demandes en postes de professeurs et de personnel en général par un arsenal de contre-réformes qui ne fairaient qu’aggraver la situation. Des locaux sales et croulants, des classes surchargées, un manque patent de psychologues et médecins scolaires, d’assistants sociales et d’infirmières : tel est le décors quotidien d’un bon nombre de nos collèges et lycées. Emilie, élève du lycée Evariste Galois (78) que nous avons rencontrée, décrit ainsi la situation de son établissement : "Lors de la Dotation en Heures Globale pour la rentrée prochaine, nous avons perdu deux classes : une première S et une teminale S. On se retrouverait ainsi à 35 élèves par classe. D’autres postes sont menacés. Nous n’avons pas d’assistante sociale, et une seule infirmière qui fait trop d’heures et qui est absente un mercredi sur deux. Pour certains cours on a des remplacants vacataires qui font leurs 200 heures légales et sont remplacés par un autre vacataire. L’un d’entre eux a laissé tombé au bout de quelques cours, en s’avouant incompétant. Même le congé maternité d’une enseignante n’a pas été anticipé. Le tout dans un lycée difficile..."
Et ce n’est certes pas le milliard laché in extremis par Lionel Jospin qui fera l’affaire : ce chiffre, en lui-même très en dessous des besoins réels, ne nous dit pas s’il servira à l’emploi de personnel titulaire ou bien de vacataires, CES et emplois jeunes, que le gouvernement utilise dans ce secteur comme une solution miracle : en dix ans, environ 100 000 emploi-jeunes ont intégré le primaire et le secondaire.
Le subtil mélange d’attaques et de désengagement budgétaire que subit l’enseignement public s’inscrit pleinement dans la logique de la politique globale menée par Lionel Jospin et son gouvernement. Les salariés des autres services publics font face à des difficultés qui se posent dans les mêmes termes : manque et précarisation des effectifs, vétusté du materiel, et, simultanément, entrée en scène de groupes privés venant remplir le vide ainsi laissé... Ce n’est pas pourtant sur ce programme que les salariés français ont porté la gauche au gouvernement. Les dirigeants socialistes et communistes doivent rompre avec les pressions patronales dont leur politique est le reflet, et procéder non seulement au maintien et à l’amélioration des secteurs publics existants, mais encore à l’extension de la sphère publique à l’ensemble de l’infrastructure économique, sociale, et financière de la société.