Ainsi, Kouchner a rejoint Sarkozy. Si d’autres « socialistes » de cette espèce veulent le suivre, nous ne pouvons que les y encourager. Les « socialistes » bourgeois tels que Kouchner ont sciemment détourné le Parti Socialiste de ses objectifs. Ils n’ont rien à voir avec le mouvement ouvrier. Pour eux, le PS n’a jamais été autre chose que l’instrument de leur propre carrière. Dévoués corps et âme à « l’économie de marché », c’est-à-dire au capitalisme, leur place naturelle est effectivement aux côtés de Sarkozy. Bon débarras !
Cependant, la défection de Kouchner n’est pas un fait isolé. Elle n’est que l’illustration la plus flagrante de la politique menée par les dirigeants du Parti Socialiste les plus ouvertement pro-capitalistes. Rocard prône depuis longtemps une alliance avec la droite. Eric Besson, ex-responsable du programme économique du PS, a rejoint Sarkozy à la veille du premier tour des présidentielles. Védrine n’avait pas d’objection de principe à l’idée d’intégrer le gouvernement Fillon. Simplement, le poste qu’on lui proposait ne lui convenait pas. Ségolène Royal n’a cessé de souligner son accord avec l’UDF sur un large éventail de sujets. Elle ne voit aucune raison de perpétuer la lutte entre la gauche et la droite, « bloc contre bloc », pour reprendre son expression. Strauss-Kahn veut une rénovation « social-démocrate » du PS, et Hollande propose de créer un nouveau parti incluant le « centre » – c’est-à-dire une partie de la droite.
Cette évolution n’est pas une surprise pour La Riposte, qui l’avait prévue et expliquée à l’avance. Dans nos Perspectives 2006, par exemple, nous écrivions : « Rocard a fustigé Hollande pour ne pas avoir pris des mesures répressives contre l’aile gauche du parti. Il s’est même prononcé pour une scission dans l’éventualité d’une défaite de la direction " hollandaise " [lors de la consultation interne sur la Constitution Européenne]. Ainsi, ces messieurs – ô combien " démocrates " quand les décisions leur sont favorables – menacent de démolir le parti dès qu’ils commencent à en perdre le contrôle. Une scission à court terme n’est pas la perspective la plus probable. Cependant, à un certain stade, le départ des éléments les plus franchement pro-capitalistes du parti est inévitable. Ils formeront sans doute un parti " social-démocrate ". Certains d’entre eux pourraient passer directement à l’UDF ou à l’UMP. »
Les divisions qui s’ouvrent au Parti Socialiste sont la conséquence directe de l’impasse dans laquelle se trouve le système capitaliste. Dans le passé, le réformisme, qui exprimait les intérêts de la bureaucratie parlementaire et syndicale du mouvement ouvrier, trouvait sa justification dans le fait que les capitalistes accordaient à cette bureaucratie certaines concessions, en échange de sa servilité. Mais aujourd’hui, la base économique du réformisme n’existe plus. Non seulement le capitalisme ne tolère pas de nouvelles avancées sociales, mais il est devenu complètement incompatible avec les acquis sociaux. Désormais, ce système ne peut exister qu’au détriment de la vaste majorité de la population, ce qui condamne à l’impuissance tous les partis et groupements dont les programmes se basent sur son maintien. De réformistes, leurs dirigeants deviennent des « réformistes sans réformes ». Les différences avec la droite s’effacent. Et puisque, de par leurs idées et leur style de vie, les dirigeants du PS sont infiniment plus proches de la classe capitaliste que des travailleurs, il suffit que le camp adverse leur ouvre une porte pour qu’ils y passent avec armes et bagages. Il en était déjà ainsi, en 1933, avec les « néo-socialistes », dont les principaux dirigeants ont participé, quelques années plus tard, au gouvernement de Vichy. Et il en est ainsi, aujourd’hui, avec Kouchner, Besson et leurs semblables.
Ce rapprochement avec la droite est un nouveau coup de poignard dans le dos des militants du Parti Socialiste. Ils ont mené campagne après campagne et fait des sacrifices importants pour propulser leurs « chefs » dans les institutions de l’Etat, en espérant que cela ferait avancer la lutte contre la droite et l’injustice sociale. Si la base du parti laisse faire les dirigeants droitiers, cette politique désastreuse compromettra irrémédiablement l’avenir du parti et les aspirations qu’il est censé incarner.
Des militants socialistes vont certainement réagir et tenter de mettre un terme à cette dérive collaborationniste. Il est grand temps de rétablir les idées et les principes du socialisme dans le parti. Mais ceci nécessite la création d’une opposition de gauche sérieuse au sein du PS. C’est la capitulation honteuse des opportunistes comme Montebourg, Emmanuelli, Peillon et Mélenchon qui a laissé les mains libres à l’aile droite du parti. Même les animateurs de Démocratie et Socialisme, autour de Gérard Filoche, se sont montrés incapables de mener jusqu’au bout la lutte politique contre la droite du parti. A chaque fois, ils ont cédé à la tentation de faire des concessions politiques au nom d’alliances de circonstance – qui sont tombées en miettes à la première épreuve. Mais compte tenu de l’ampleur du désastre que préparent les dirigeants coalitionnistes du PS, des éléments dans le parti se lèveront pour mener une lutte idéologique sérieuse.
Le combat pour les idées et le programme du socialisme authentique devrait aller de pair avec des revendications visant à éliminer l’arrivisme, dans le parti. Pourquoi un député ou un sénateur socialiste devrait-il gagner plus qu’un travailleur qualifié ? Font-ils de la politique pour servir le mouvement ou pour s’enrichir ? Pourquoi tant d’allocations, de primes, de privilèges et autres « extras » – particulièrement exorbitants dans le cas des députés européens, ce qui les éloigne toujours plus des conditions de vie de ceux qu’ils prétendent représenter ? Il faudrait également exiger l’exclusion sur-le-champ de tout élu et de tout responsable du parti qui entre en contact avec la droite dans le but d’explorer les avantages d’une éventuelle trahison, quel que soit le résultat de ces négociations.
La gauche n’a pas besoin de carriéristes. Elle a besoin de dirigeants entièrement dévoués à la lutte contre le capitalisme et pour l’édification d’une société socialiste. Tels sont les grands objectifs que le Parti Socialiste s’est fixé en 1971, au Congrès d’Epinay. Aujourd’hui, plus que jamais, ces grands idéaux devraient guider l’action du parti et de ses dirigeants. Dans le cas contraire, le Parti Socialiste irait d’échec en échec, dans l’opposition. Et même au gouvernement, il ne serait jamais autre chose que le masque temporaire de l’exploitation capitaliste.