Le nouveau revers subi par le PCF, au premier tour des présidentielles, a envoyé une onde de choc à travers le parti. Comment est-il possible que le PCF recule encore, au terme d’un quinquennat marqué par des attaques à répétition contre les droits et les conditions de vie des travailleurs et de la jeunesse, ainsi que par plusieurs vagues de contestation, de grèves et de manifestations d’une ampleur sans précédent, depuis les événements révolutionnaires de mai 1968 ? Au cours de ces cinq années, des millions de personnes sont entrées en lutte contre les injustices du capitalisme. En 2003, il y a eu la mobilisation colossale contre la réforme des retraites et le mouvement contre la guerre en Irak ; en 2005, la mobilisation contre la Constitution Européenne ; en 2006, le mouvement contre le CPE – pour ne citer que les événements les plus importants. Au-delà même des rangs des manifestants et des grévistes, la colère et l’amertume face aux injustices étaient – et sont toujours – palpables. Les émeutes de novembre 2005 en étaient une expression, parmi bien d’autres.
Dans un tel contexte, un Parti Communiste devrait être comme un poisson dans l’eau. Et pourtant, force est de constater que l’assise sociale et électorale du parti, loin de se renforcer, s’est encore réduite au cours de la dernière période.
La direction du parti a convoqué un Congrès extraordinaire pour tirer les enseignements de cet échec. C’est une excellente initiative. Mais le Congrès ne résoudra rien s’il se contente des « explications » superficielles qu’on trouve dans les premiers communiqués que la direction nationale a publiés dans la foulée du 22 avril. Il est vain de chercher à expliquer le déclin électoral du PCF en invoquant des facteurs extérieurs au parti.
Causes externes ou internes ?
Par exemple, le rapport présenté par Olivier Dartigolles, lors du CN du 24 avril dernier, évoque le rôle des médias, qui n’auraient pas aidé le PCF. Evidemment qu’ils ne l’ont pas aidé ! Ils ne l’ont jamais aidé et ne l’aideront jamais. Les grands médias sont entre les mains du camp adverse. Dartigolles estime par ailleurs que le « jeu des institutions » capitalistes n’a pas, lui non plus, favorisé le PCF. Mais le contraire serait étonnant, n’est-ce pas ? Enfin, la stratégie de la direction du PS aurait fait du tort au PCF, semble-t-il, en jouant sur la peur des électeurs de gauche de revoir Le Pen au deuxième tour, et en les incitant donc à voter socialiste dès le premier tour. Mais s’attend-on vraiment à ce que les dirigeants du PS mènent campagne pour augmenter le score du PCF ? Tous les arguments de ce genre font penser à un boxeur vaincu qui, pour expliquer sa défaite, se plaint du fait que son adversaire n’arrêtait pas de lui porter des coups.
Le rapport semble enfin réhabiliter la veille « théorie » – dont on a si souvent usé et abusé, dans l’histoire du PCF – d’un « glissement de la société vers la droite ». Nous nous trouvons là face à un cas flagrant de tautologie. Pourquoi la gauche a-t-elle perdu ? Pourquoi le score du PCF s’effondre-t-il ? Eh bien, voyez-vous, s’il n’y a pas de glissement vers la gauche, c’est sans doute parce qu’il y a un glissement vers la droite !
En réalité, au cours des dernières années, la situation objective, dans le pays, a été – et demeure – extrêmement favorable au développement du Parti Communiste. La lutte des classes ne se développe jamais de façon linéaire, régulière. Inévitablement, elle est ponctuée par des périodes de reflux, de fatigue et de désorientation. Mais, dans l’ensemble, depuis 1995, la courbe des luttes sociales et politiques est ascendante. Et pourtant, sur la même période, la courbe du PCF a évolué dans le sens inverse. Les difficultés du PCF ne sont donc pas liées à des éléments extérieurs au parti. Elles ont des causes politiques internes. Ce sont ces causes-là qu’il faut regarder en face si nous voulons arrêter le déclin du PCF et le mettre en position de reconquérir le terrain perdu.
Il est vrai que, dans cette élection, le « vote utile », c’est-à-dire le vote tactique d’une partie de l’électorat de gauche visant à assurer la présence de Ségolène Royal au deuxième tour, a joué contre le PCF. Mais on aurait tort d’attribuer une trop grande importance à ce phénomène. Il faut regarder la situation du parti dans son ensemble, et pas seulement dans sa dimension électorale. Est-ce le vote utile qui a fait disparaître les sections d’entreprise ? Est-ce le vote utile qui a mené à la disparition de très nombreuses cellules locales du parti ? Est-ce le vote utile qui fait que le MJCF, malgré ses récents progrès, n’est que l’ombre de ce qu’il était il y a une quinzaine d’années ? Est-ce le vote utile qui a miné l’influence du parti dans la CGT, plombé les ventes de L’Humanité, plongé le parti dans la dette et mené à sa dislocation politique, au point que de nombreux dirigeants nationaux ont publiquement soutenu José Bové contre la candidate de leur propre parti ? Le fait est que le PCF est en train de perdre son assise non seulement auprès de la masse de l’électorat, mais aussi dans la couche la plus consciente et militante de la jeunesse et du salariat.
« Vote utile » ou pas, cette perte d’influence et de crédibilité dans l’« avant-garde » du salariat, et la perte conséquente des relais du parti dans le mouvement ouvrier et le salariat en général, s’accompagnent d’un déclin sur le plan électoral. Tous les aspects de cet affaiblissement sont indissociables, et ses causes sont autrement plus profondes que les réflexes tactiques d’une frange de l’électorat.
L’expérience de la gauche au pouvoir
Seule une fraction relativement réduite des travailleurs se forge son opinion sur les partis en lisant leurs programmes détaillés ou par une réflexion « idéologique ». La masse des travailleurs se fait son opinion sur la base de sonexpérience. Et quelle est cette expérience ? A trois reprises, depuis 1981, les travailleurs et les jeunes de ce pays ont porté la gauche au pouvoir – malgré le « jeu des institutions » et malgré le rôle des médias – dans l’espoir d’en finir avec les problèmes engendrés par le capitalisme. Au cours des 25 dernières années, la gauche a été au pouvoir pendant 15 ans (1981-86, 1998-1993 et 1997-2002). Le PCF a participé à ces gouvernements pendant 8 ans (1981-1984 et 1997-2002). Chaque fois, les dirigeants de ces partis ont promis un « changement ». Mais chaque fois, il n’y a pas eu de changement.
Sur toutes les questions fondamentales, les gouvernements de gauche se sont alignés sur les intérêts des capitalistes. Sous la droite comme sous la gauche, les inégalités sociales se sont aggravées. La grande misère – soupes populaires, SDF par centaines de milliers, chômage de longue durée, emploi précaire, « travailleurs pauvres », etc. – s’est accrue, cependant que des pans entiers de l’infrastructure industrielle du pays ont été privatisés, détruits ou délocalisés. Cette élection ne démontre pas que les travailleurs, les chômeurs, les jeunes et les retraités qui ont objectivement intérêt à rejeter la droite sont devenus réactionnaires ou se sont laissés gagnés par des « comportements inquiétants », pour reprendre la formulation du rapport de la direction fédérale de Paris. Elle signifie surtout qu’à partir de leur propre expérience, beaucoup de travailleurs ont tiré la conclusion que le programme de la gauche – PS et PCF confondus – ne propose aucune alternative sérieuse au capitalisme, que ce système est le seul possible, et qu’il va donc falloir faire avec. Le fond du problème est là, et non dans un épisodique « vote utile ».
Marie-George Buffet a dit que le résultat du premier tour ne traduit pas l’implantation sociale et l’audience réelles du PCF. Nous partageons ce point de vue. Elle a également dit que l’avenir du PCF ne dépendait pas d’un score électoral. Ceci est également vrai. Mais alors, de quoi dépend, au juste, l’avenir du PCF ? Il dépend, avant tout, du soutien de la couche la plus militante et politiquement consciente du salariat et de la jeunesse – celle qui est consciemment à la recherche d’un moyen d’en finir avec le capitalisme. C’est cette couche-là qui, tout au long de l’histoire du parti, a formé le socle essentiel de son assise sociale, et qui a permis au PCF, pendant les grandes offensives militantes et révolutionnaires des travailleurs, d’acquérir une véritable base de masse. Perdre ce socle, c’est condamner le PCF à l’effritement et, à terme, à la disparition.
L’expérience de la participation gouvernementale des dirigeants communistes – avec le blocage des salaires, les fermetures et la suppression de dizaines de milliers d’emploi dans les bassins industriels (sidérurgie, charbonnages) en 1983-84, puis les privatisations sous Jospin – a démoralisé et désorienté la base du PCF et miné sa position électorale. Elle a convaincu les travailleurs que, même si le discours du PCF est plus à gauche et plus revendicatif que celui du PS, au fond, dans la pratique, sa politique n’est pas fondamentalement différente. Ce que l’électorat socialiste tolère, en grinçant les dents, de la part des dirigeants du PS, l’électorat communiste ne le tolère pas de la part du PCF. Un parti « communiste » qui privatise ne sert à rien, si ce n’est à démoraliser son propre camp. C’est là que se trouve la clé de l’affaiblissement organisationnel et électoral du parti.
Au nom de la « modernité », le programme du parti a été progressivement vidé de toute mesure susceptible de remettre en cause la propriété capitaliste des banques, des grands groupes industriels et de l’économie en général. Le programme ne contient presque aucune nationalisation. Il avance une série de mesures destinées à réduire les profits des capitalistes – par des taxes, des prélèvements, des amendes, des augmentations de salaire, etc. –, mais ne vise pas à mettre un terme au système du profit. Il évite soigneusement de toucher à la propriété capitaliste. Ce réformisme « anti-libéral » constitue, en substance, un abandon du socialisme et un ralliement à l’économie de marché, c’est-à-dire au capitalisme. Dans la pratique, la défense de ce que Robert Hue appelait « l’économie de marché à dominante sociale » a mené à l’approbation des privatisations massives réalisées par le gouvernement Jospin.
« La nature a horreur du vide », disait Aristote, et le vide laissé par l’abandon du socialisme a été comblé en puisant dans le bric-à-brac intellectuel « altermondialiste » qui fait le fonds de commerce de mouvements comme ATTAC ou la Fondation Copernic. L’idée, derrière ce virage – ou ce « glissement » – du programme du parti vers la droite, était sans doute de le rendre plus acceptable aux yeux d’une certaine « opinion publique ». Mais il n’obtiendra jamais l’adhésion des jeunes travailleurs qui cherchent une alternative sérieuse au capitalisme.
Ce qui faisait la force du PCF, dans le passé – malgré tous les zigzags, les aberrations et les crimes de l’époque stalinienne – c’était que les travailleurs les plus avancés le considéraient comme le parti du changement révolutionnaire, le parti qui voulait abolir le capitalisme. Mais que trouvent-ils, aujourd’hui, dans le programme du PCF ? Va-t-on vraiment faire croire à des gens sérieux qu’on peut éliminer le chômage au moyen de « bonus » accordés aux patrons qui favorisent l’emploi, ou d’amendes et de sanctions fiscales pour ceux qui licencient ? Peut-on sérieusement prétendre que le « commerce équitable », la taxe Tobin, la réforme du FMI, ou encore la création d’une monnaie mondiale (le dernier dada de la rédaction de l’Humanité), constituent des armes sérieuses contre la rapacité patronale et le capitalisme ?
Expliquer les idées du socialisme
Face aux problèmes concrets posés par le capitalisme, il faut des réponses concrètes. Quel est, par exemple, le programme du PCF pour empêcher les délocalisations et les fermetures d’entreprises ? Cherchez partout : vous ne trouverez rien. Et pour cause : la seule façon d’empêcher les fermetures et les délocalisations, c’est l’occupation de l’usine et la lutte – faisant appel à la solidarité active du mouvement ouvrier et de la population en général – pour la nationalisation de l’entreprise sous le contrôle et la gestion des travailleurs. Voilà le programme que le PCF devrait défendre et s’efforcer de populariser. Mais la nationalisation ne cadre pas avec le réformisme « anti-libéral » actuellement en vogue dans les instances dirigeantes du parti. En conséquence, elles se retrouvent à implorer les patrons de changer d’avis – avec des cadeaux financiers à la clé – ou à chercher des repreneurs capitalistes.
Le système capitaliste exige la régression sociale dans tous les domaines. Quel que soit le taux de croissance du PIB, il n’autorise pas la mise en œuvre de réformes sociales conséquentes. Au contraire, la croissance du PIB dépend directement de l’augmentation du taux d’exploitation des salariés. La force motrice du capitalisme, c’est le profit. Les dirigeants du Parti Socialiste ont tenu compte de cette réalité. Leur programme ne contient aucune réforme conséquente. C’est pour cette raison qu’ils ont perdu les élections. Et c’est pour cette raison, aussi, qu’ils sont prêts à faire cause commune avec l’UDF.
Face à cette situation, nous avons besoin d’un PCF qui expose et explique la faillite du réformisme. Mais ceci n’est évidemment pas possible tant que le PCF lui-même ne sort pas du marécage « anti-libéral ». Le PCF doit dire clairement aux travailleurs qu’ils ne trouveront aucune solution aux problèmes sociaux et économiques sur la base du capitalisme, et que la lutte pour défendre l’emploi, les services publics et tout ce qui détermine leur niveau de vie est absolument indissociable de la lutte pour abolir la propriété capitaliste des banques et des ressources économiques en général. Il faut expliquer aux travailleurs qu’ils doivent s’emparer des moyens de production, qu’ils doivent, comme le disait Marx, s’ériger en classe dirigeante à la place des capitalistes, et organiser démocratiquement la vie sociale et économique du pays pour répondre à leurs propres besoins.
Le capitalisme n’apportera que précarité, chômage et pauvreté. Il démolira progressivement toutes les conquêtes sociales du passé. Quand Sarkozy parle de « liquider l’héritage de mai 1968 », il ne veut pas dire autre chose. Dans ces conditions, nous avons besoin d’un parti dont le programme est en conformité avec son nom. Il faut écarter les idées fallacieuses et inconséquentes du réformisme « anti-libéral » et adopter le programme et les idées du socialisme révolutionnaire.