Au lendemain du discours télévisé de Macron, son contenu est examiné à la loupe et débattu parmi tous ceux qui se sont mobilisés, ces dernières semaines. Verdict : « enfumage ». En particulier, « l’augmentation du SMIC de 100 euros » n’en est pas une : elle comprend la revalorisation automatique du SMIC prévue en janvier 2019 ; et pour le reste, elle consiste en une augmentation de la « prime d’activité », qui ne coûtera pas un centime au patronat – et ne sera pas prise en compte dans le calcul des droits à la retraite.
« Sans qu’il en coûte un euro de plus pour l’employeur » : c’est la formule clé du discours de Macron, sa signification profonde. Le grand Capital est rassuré : ses profits ne seront pas touchés par le « nouveau contrat pour la Nation » annoncé par le chef d’Etat. En fait, le grand patronat en sort même gagnant : d’une part, grâce aux heures supplémentaires « sans impôts ni charge » (notamment patronale) ; d’autre part, grâce à la défiscalisation des primes de fin d’années, sachant qu’un certain nombre d’entreprises avaient déjà prévu d’en verser – et que rien n’oblige les autres à en verser.
Si le grand Capital n’est pas mis à contribution, s’il bénéficie même de nouvelles ristournes fiscales, qui va payer la facture des annonces de Macron ? La réponse est dans la question : si ce n’est pas le Capital, c’est le Travail qui payera, ainsi que les classes moyennes. Sous quelle forme ? Macron a eu la prudence de n’en rien dire. Mais on le sait bien : la masse de la population payera la facture sous la forme de coupes dans les dépenses publiques et de hausses de taxes diverses. Autrement dit, le peu qui a été donné de la main gauche, hier soir, sera repris de la main droite, demain. Et bien sûr, la main droite prendra beaucoup plus que la main gauche n’a donné, conformément à l’agenda des contre-réformes drastiques prévues dans les années à venir : retraites, assurance chômage, fonction publique, etc.
Dès lors, il n’est pas étonnant que la plupart des gilets jaunes se déclarent insatisfaits – et donc déterminés à poursuivre leur mobilisation. Quant à la jeunesse lycéenne et étudiante, elle a d’autant moins de raison de cesser sa mobilisation que Macron ne l’a même pas mentionnée. C’est comme si elle n’existait pas et ne revendiquait rien. De manière générale, le mouvement de masse qui s’est développé, dans le pays, ne saurait se satisfaire de quelques miettes jetées ici et là. Macron lui-même l’a dit : « Ce sont quarante années de malaise qui ressurgissent. » Précisément. Mais il ne pourra pas dissiper quarante années de malaise, de souffrances et d’humiliations en distribuant quelques dizaines d’euros par mois à telle et telle catégorie de la population. Par exemple, beaucoup de retraités qui payeront moins de CSG, en 2019, ne cesseront pas pour autant d’être pauvres, voire très pauvres, après toute une vie de dur labeur. Et quid des fonctionnaires, des travailleurs payés au-dessus du SMIC, des chômeurs, des temps partiels imposés, mais aussi des artisans, des petits commerçants, des petits agriculteurs, etc. ? Pour eux, Macron n’a rien annoncé. Par contre, ils seront mis à contribution pour payer la facture.
La mobilisation des gilets jaunes se poursuivra dans les jours à venir. Mais comme Macron l’a clairement indiqué au début de son discours, elle sera exposée à une répression brutale, tout comme la mobilisation de la jeunesse. Avant d’agiter quelques petites carottes, Macron a brandi le gros bâton, ou plutôt la grosse matraque du CRS. En outre, le mouvement des gilets jaunes est certes puissant, profond et extrêmement combatif, mais s’il ne débouche pas rapidement sur un mouvement de grèves reconductibles, le gouvernement ne cédera rien de substantiel. Or, après des semaines de mobilisation, la fatigue risque de s’installer au sein du mouvement. Cette fatigue entre dans les calculs du gouvernement, qui attend la trêve de Noël avec une impatience fiévreuse.
Nous l’avons dit et répété : soit un puissant mouvement de grèves débute rapidement, soit le mouvement des gilets jaunes risque de refluer temporairement, dans les semaines à venir [1]. Mais même dans cette dernière hypothèse, Macron n’en aurait pas fini avec « les quarante années de malaise qui ressurgissent ». Son gouvernement serait dans une position encore plus fragile que ne l’était celui de Chirac au lendemain de la grande grève de décembre 1995. Un point de non-retour a été franchi. Chaque nouvelle attaque du gouvernement serait susceptible de déclencher une nouvelle et puissante mobilisation de masse, à un niveau encore plus élevé que ces dernières semaines. Indépendamment de ses perspectives immédiates, le mouvement des gilets jaunes a déjà réussi à placer le gouvernement Macron au bord d’un gouffre. Et on voit mal comment il pourrait ne pas y tomber dans les jours, les semaines ou, tout au plus, les mois qui viennent.
[1] Ces trois dernières semaines, nous avons systématiquement critiqué l’attitude scandaleuse des directions confédérales des syndicats, qui suscite énormément de colère chez les militants de base. Lire notamment notre article Au seuil d’une crise révolutionnaire