Faut-il se mettre en grève de la faim pour informer le public des expulsions arbitraires de migrants ? C’est ce qu’a fait un boulanger de Besançon, début janvier, pour protester contre l’expulsion programmée de son apprenti guinéen. Tous les jours, en France, des associations, des écoles et autres centres impliqués dans l’aide sociale se mobilisent pour médiatiser le parcours du combattant d’un individu ou d’une famille de réfugiés.
Une « gestion » inhumaine
Au lycée Bagatelle de Saint-Gaudens (31), les personnels ont été informés de l’imminente expulsion de deux élèves géorgiens, qui logent avec leur famille réfugiée dans la petite ville d’Aurignac, à 70 km de Toulouse. Une mobilisation dans le lycée a permis de revoir leur dossier d’expulsion. Mais pour combien de temps ?
L’OFPRA, organisme étatique chargé de la protection des demandeurs d’asile, proposait que les parents (déboutés du droit d’asile) repartent chez eux, mais que les enfants (qui ont le statut de réfugiés) continuent leur scolarité au lycée. Quelle générosité ! Quel beau respect de l’intégrité familiale !
A Aurignac, le Programme d’Accueil et d’Hébergement des Demandeurs d’Asile (PRAHDA) n’héberge que des familles. Un PRAHDA est un programme public concocté par l’Etat et géré par une société d’économie mixte, ici la société Adoma – anciennement Sonacotra. Elle « gère » les migrants en instance de traitement de leur dossier de demandeurs d’asile. Mais l’aide et le soutien ne figurent pas au cahier des charges.
L’association Alter’Ego, à Aurignac, s’est créée pour proposer bénévolement un accueil : un local dans le village, une « donnerie » de vêtements et petits matériels utiles. C’est un endroit chaleureux pour échanger des souvenirs, des conseils au quotidien et des projets. Martine et Marie assurent la permanence, le café et la connexion WIFI (qui n’est pas fournie dans les hébergements des migrants). Elles cherchent des intervenants pour donner des cours de français, proposer des activités artistiques et mener des actions avec les habitants.
Parcours du combattant
Pour l’Etat, il est plus simple de laisser à des bénévoles le soin de pallier le manque d’accueil et de soutien social et financier. Ce n’est pas de la négligence, c’est de la malveillance. L’absence de connexion internet est symptomatique de ce mépris envers des gens que l’Etat prétend « prendre en charge ». Les hébergements sont implantés loin des grandes villes. Certains d’entre eux n’ont ni cuisine, ni machine à laver. En général, aucun transport n’est disponible, sinon un bus dont les horaires ne permettent pas de passer une journée entière à faire la queue devant la préfecture pour espérer présenter une demande d’asile.
Il est fréquent que les migrants souffrent de pathologies diverses, physiques ou psychologiques, eu égard à leur parcours chaotique et angoissant. Ils ont besoin d’un suivi régulier, et les gros villages comme Aurignac ne disposent pas d’infrastructures adaptées. Coupés de leur famille et de leur pays, ils sont souvent dans l’impossibilité de rencontrer des gens qui parlent leur langue. Ils ne bénéficient ni de conseils juridiques, ni de structures leur permettant de vivre décemment.
D’anciens hôtels Formule 1, au fin fond des zones commerciales, servent à loger des étrangers sans papiers. L’Etat externalise donc le « marché » des migrants, et expédie ces derniers au bon air de la campagne, là où presque personne ne les verra, pour que leur vie soit si peu enviable qu’ils ne cherchent pas à rester en France. Pour plaider leur cause, ils devront aller à l’OFPRA à Fontenay-sous-Bois (94), puis éventuellement à la Cour Nationale du Droit d’Asile à Montreuil (93).
Le système est kafkaïen : après des mois de refus, d’entraves et de mépris, certaines mères finissent par céder et accepter un billet retour pour leur pays ou pour un autre pays en Europe. Elles laissent leurs enfants en France dans l’espoir qu’ils accèdent à une vie meilleure. Quelquefois, déboutés du droit d’asile, certains restent en errance, car l’accès à l’hébergement PRAHDA leur est dès lors interdit. Ils tentent donc de trouver un abri ailleurs.
Comble de l’absurde : pour que des réfugiés puissent justifier d’une adresse en France, une famille française peut aller à la Préfecture pour signaler qu’elle héberge des étrangers sans-papiers pour leur prêter assistance, mais à condition de ne pas faciliter leur intégration. Les autorités fermeront parfois les yeux si un sans-papiers peut justifier d’une quelconque valeur « économique », par exemple s’il est apprenti boulanger.
Il n’est pas acceptable que l’Etat sous-traite à des associations de bénévoles – aussi efficaces et impliquées soient-elles – l’accueil et l’aide aux populations en danger. Leur travail se fait dans l’ombre, avec dévouement et efficacité, mais sans aide financière suffisante, surtout hors des grandes villes.
Dans les grands médias, on ne parlera jamais de l’association d’Aurignac, ni du parcours du combattant des migrants. On préfèrera afficher la fermeté du gouvernement et attiser le racisme.
Au lieu de considérer les migrants comme un marché ou une bonne affaire en triant les profils d’individus « utiles », la collectivité doit les prendre en charge dignement.