A l’heure où ces lignes sont écrites (début mars), l’Espagne n’a toujours pas de gouvernement issu des élections législatives de décembre 2015. Toutes les tentatives pour en former un ont échoué. C’est la conséquence immédiate de la fin du bipartisme, en Espagne, c’est-à-dire de la domination du Parti Populaire (PP, droite) et du PSOE (social-démocrate), qui se sont succédé au pouvoir depuis la chute du franquisme. Le Parlement issu des élections législatives est divisé en quatre blocs : le PP (123 députés), Ciudadanos (« centre-droit », 40 députés), le PSOE (90 députés) et Podemos (69 députés, auxquels on peut ajouter les 2 députés de la « Gauche Unie », IU).
Incapable d’obtenir une majorité, le PP du Premier ministre Mariano Rajoy a dû laisser l’initiative aux autres partis. Fin janvier, Pablo Iglesias (Podemos) a proposé au PSOE (et à IU) de former un gouvernement « de progrès, pluriel et proportionnel », qui mettrait un terme aux politiques d’austérité et abrogerait les contre-réformes mises en œuvre par le gouvernement du PP, ces dernières années. Pour élaborer cette proposition, Iglesias s’est appuyé sur les éléments les plus progressistes du programme officiel du PSOE.
Cette proposition « surprise » de Podemos a jeté la direction du PSOE dans un profond embarras. Les électeurs du PSOE y étaient majoritairement favorables. Mais la direction du parti n’a aucune intention de former un gouvernement « progressiste et proportionnel », dans lequel Podemos aurait un poids important. Les dirigeants du PSOE sont dévoués corps et âme aux intérêts de la classe dirigeante espagnole, qui exige de nouvelles coupes budgétaires et la poursuite des politiques d’austérité. Pedro Sanchez (PSOE) s’est alors tourné vers Ciudadanos et a trouvé un accord de gouvernement avec ce parti de droite – sur un programme réactionnaire saupoudré de quelques mesures « sociales ». Mais le Parlement a rejeté cette solution, le 4 mars, le PP et Podemos ayant voté contre.
Polarisation de classe
Cette impasse institutionnelle est le reflet parlementaire d’une énorme polarisation de classe dans un pays frappé de plein fouet par la crise du capitalisme. Le gouvernement du PP a multiplié les attaques – contre le code du travail, mais aussi contre l’éducation et la santé publiques. La crise immobilière a jeté à la rue des centaines de milliers de familles. Selon l’Institut National de Statistiques (INE), 42,4 % des foyers ont des difficultés pour finir le mois. Le 5e rapport sur l’état de la pauvreté en Espagne rapporte qu’en 2014, 29,2 % de la population était en situation de pauvreté et/ou d’exclusion sociale, c’est-à-dire vivait avec moins de 633,4 euros par mois. Cela représentait 13,7 millions de personnes, soit 791 000 de plus qu’en 2013, dans un contexte où la population du pays ne cesse de baisser car beaucoup de gens – surtout des jeunes – s’en vont chercher un avenir ailleurs.
Les chômeurs longue durée ne touchent plus aucun revenu, alors que le taux de chômage dépasse les 20 %, officiellement (plus de 50 % chez les jeunes). En mars 2015, 90 % des contrats de travail étaient des CDD inférieurs à 3 mois. Et ainsi de suite. La situation économique et sociale est catastrophique. Cela a provoqué toute une série de mobilisations massives, ces dernières années, puis l’irruption spectaculaire de Podemos, qui a donné une expression politique à la radicalisation de millions de jeunes et de travailleurs.
Perspectives
La classe dirigeante espagnole va continuer de chercher une solution pour former un gouvernement, car elle redoute que de nouvelles élections profitent à Podemos et ses alliés de gauche, au détriment d’un PSOE en pleine crise. Mais même si elle y parvient, ce sera un gouvernement très fragile et rapidement contesté. La crise politique va se poursuivre et s’approfondir, en particulier si l’économie espagnole replonge dans la récession.
Les dirigeants de Podemos maintiennent leur proposition de former un « gouvernement progressiste » avec le PSOE. C’est une stratégie correcte, car elle permet de démasquer les dirigeants du PSOE aux yeux de ses électeurs et militants. Mais comme l’expliquent nos camarades espagnols de Lucha de Clases, Podemos et la Gauche Unie devraient aussi mobiliser dans la rue – dans des manifestations et des meetings de masse – en faveur d’un tel « gouvernement progressiste » et contre les politiques d’austérité en général. Il n’y a pas de temps à perdre. Podemos et la Gauche Unie doivent s’y atteler, main dans la main.