Des élections régionales se tenaient à Madrid, le 4 mai dernier. Elles ont été largement remportées par le Parti Populaire (droite), avec 44 % des voix. La gauche a subi une lourde défaite. Le Parti Socialiste (PSOE), qui dirige le gouvernement espagnol, a recueilli 16,85 % des voix, contre 27,3 % en 2019. La politique pro-capitaliste du gouvernement de Pedro Sanchez a démobilisé l’électorat populaire.
Avec 7,2 % des voix, Unidas Podemos – une coalition du PC espagnol et de Podemos – a subi un échec cuisant. C’est aussi une défaite personnelle pour Pablo Iglesias, le fondateur et dirigeant de Podemos, qui avait démissionné du gouvernement de Sanchez pour s’impliquer dans cette campagne électorale. Il a immédiatement annoncé qu’il abandonnait la politique.
Ce nouveau revers électoral d’Unidas Podemos (UP) doit être analysé sérieusement, car les déboires de la « gauche radicale » espagnole sont riches en leçons pour le mouvement ouvrier international.
Le prix de la modération
Il y a cinq ans, UP se présentait comme une alternative radicale au régime espagnol, à sa monarchie, à sa corruption endémique, à ses origines franquistes et à sa violation systématique des droits démocratiques des minorités nationales.
A l’époque, UP était en position de force. En Catalogne et au Pays Basque, il était la première force électorale. En Galice et à Madrid, il était en tête de la gauche, devant le PSOE. Mais au lieu de capitaliser sur ce succès, les dirigeants d’UP – à commencer par Iglesias lui-même – ont viré à droite. Ils ont recherché une alliance à tout prix avec le PSOE. Ils ont modéré leur discours et leur programme dans le seul but d’entrer au gouvernement. Au lieu de mobiliser les jeunes et les travailleurs dans les rues, comme Podemos l’avait fait par le passé, ils se sont livrés à toutes sortes de manœuvres parlementaires.
UP est entré dans le gouvernement dans la foulée des élections législatives de novembre 2019, qui ont été remportées par le PSOE. Comme nous l’expliquions à l’époque, le programme modéré du PSOE, dans un contexte de crise du capitalisme, condamnait les ministres d’UP à apparaître, au mieux, comme « l’aile gauche » d’un régime réactionnaire et rejeté par les couches les plus radicalisées de la classe ouvrière espagnole – c’est-à-dire, précisément, par l’électorat d’UP. Liés par la « solidarité gouvernementale », les dirigeants d’UP ont été paralysés : ils ne voulaient pas mobiliser leur base sociale pour faire pression sur le gouvernement Sanchez – et ne pouvaient pas davantage influencer de façon décisive la politique du gouvernement.
Au fond, l’appareil d’UP s’accrochait à celui du PSOE, qui lui-même s’efforçait de ménager les intérêts de la bourgeoisie espagnole. Une telle configuration ne pouvait que mal se terminer pour l’UP.
Opportunités manquées
Récemment, l’UP a raté plusieurs opportunités de renouer avec sa base sociale. L’automne dernier, les quartiers populaires du sud de Madrid se sont soulevés contre des mesures de confinement qui les ciblaient spécifiquement, à l’initiative de la droite régionale. Les dirigeants des syndicats et de l’UP auraient pu organiser ce puissant mouvement spontané – et l’orienter vers un mouvement de grèves. Ils n’ont rien fait de tel, laissant passer une occasion de parachever le discrédit de la droite locale.
Une autre opportunité a été gâchée, en avril dernier, lorsque Pablo Iglesias et d’autres ministres de gauche ont reçu des menaces de mort, ce qui a eu un énorme impact sur la population. L’UP et le PSOE auraient dû organiser une grande manifestation, à Madrid, en réaction à ces menaces de l’extrême droite. A coup sûr, cette manifestation aurait été un franc succès et aurait généré beaucoup de sympathie pour la gauche. Mais là encore, rien n’a été fait.
Perspectives
Sans un congrès ni le moindre débat interne, Pablo Iglesias a nommé, en partant, celle qui doit lui succéder à la tête d’UP : Yolanda Díaz, la ministre du Travail – qui se tient, politiquement, sur la droite d’Iglesias. Outre le caractère démoralisant de la méthode, pour les militants d’UP, cet adoubement aura pour effet de pousser l’UP vers la droite, c’est-à-dire vers un approfondissement de la politique de collaboration de classes. Au gouvernement, Iglesias avait l’autorité nécessaire pour résister, au moins partiellement, aux pressions droitières du PSOE. On imagine mal les autres ministres de l’UP en faire autant.
Forte de sa victoire à Madrid, la droite espagnole est pleine d’arrogance et de prétentions. Les offensives de l’appareil d’Etat et l’insolence des grands capitalistes vont s’intensifier. De leur côté, Sanchez et ses conseillers vont sans doute conclure de leur défaite électorale, à Madrid, que leur politique était trop à gauche, alors qu’il s’agit précisément de l’inverse. Les dirigeants réformistes commettent toujours cette erreur, qui découle de leur manque de confiance dans la classe ouvrière. Celle-ci, cependant, n’aura pas d’autre choix que de reprendre le chemin de la lutte. Et tôt ou tard, la colère et la frustration des masses espagnoles trouveront une expression sur la gauche de l’échiquier politique.