Le 16 février dernier, un rappeur communiste espagnol, Pablo Hasél, a été arrêté et jeté en prison pour « apologie du terrorisme » et « insulte à la Couronne ». Cette arrestation scandaleuse a provoqué une vague de colère dans la population – et en particulier dans la jeunesse. D’abord concentrées en Catalogne, les manifestations ont gagné tout le pays.
Hypocrisie
Dans ses textes, le rappeur dénonce la violence du régime espagnol et la corruption de la famille royale. Ce faisant, il dit la plus notoire des vérités. Pour s’en rendre compte, il suffit de constater le déchaînement de violences policières qui s’abat sur les dernières manifestations. A Barcelone, une femme a perdu un œil. Les jeunes manifestants sont violemment réprimés tous les soirs. A Madrid, la police a encerclé les milliers de manifestants rassemblés sur une place et a fait usage de la force pour empêcher le départ du cortège. A Valence, la police anti-émeute a fracturé le crâne d’un jeune lors d’une charge sans sommation. Il y a des dizaines d’autres exemples similaires.
Voilà pour la violence. Concernant la corruption, tout le monde se souvient de la fuite de l’ancien monarque Juan Carlos, en août 2020, alors que s’accumulaient des preuves de ses gigantesques magouilles financières. Il avait quitté l’Espagne, avec la complicité du gouvernement espagnol, pour rejoindre à Dubaï ses amis richissimes et corrompus, eux aussi. Depuis, il y vit une retraite luxueuse, en toute impunité.
Impuissance de Podemos
La rage qui s’exprime dans la rue ne répond pas seulement à l’emprisonnement du rappeur. Cet événement a servi de catalyseur à une colère bien plus profonde. Cependant, si le mouvement ne s’étend pas à une couche plus large de la population, il finira par refluer.
La principale organisation de la « gauche radicale », Podemos, ne soutient pas franchement les manifestants. Et pour cause : depuis novembre 2019, ses dirigeants ont accepté de former un gouvernement de coalition avec le « socialiste » Pedro Sánchez (PSOE). Au nom de la « stabilité gouvernementale », la direction de Podemos se condamne à l’impuissance. Au lieu d’appeler à rejoindre les manifestations et à faire pression sur le PSOE, elle se cantonne à des gestes symboliques et à de vagues déclarations contre l’emprisonnement de Pablo Hasél.
Le gouvernement est attaqué par toutes les composantes du régime : partis de droite, monarchie, justice, chefs de l’armée et de la police. Pourtant, dans les faits, la coalition PSOE-Podemos protège le flanc gauche du régime – en l’occurrence, par sa passivité face à l’incarcération de Pablo Hasél.
L’héritage du franquisme
Au fil des décennies, l’Etat espagnol s’est construit tout un arsenal juridique lui permettant de réprimer la dissidence politique. Beaucoup de peines prononcées sont basées sur un vieil article condamnant l’« apologie du terrorisme » de l’ETA, alors que l’organisation basque a renoncé au terrorisme depuis près de dix ans. La loi condamne aussi très sévèrement le « crime » de lèse-majesté.
La direction de Podemos propose de modifier ces lois. Mais comme Pablo Hasél l’a lui-même indiqué, il ne s’agit pas seulement d’un problème concernant telle ou telle loi. Il s’agit d’un problème politique profondément enraciné dans l’Etat bourgeois espagnol. La « transition vers la démocratie » des années 1970 – qui a couronné la lignée des Bourbons – n’avait pas pour but de purger la bureaucratie franquiste au sein de l’Etat. Au contraire : tout l’appareil d’Etat espagnol est l’héritier direct du franquisme. Lors du « compromis » de 1978, les cadres de l’Etat franquiste ont été maintenus dans le nouveau régime, notamment dans la justice, la police et l’armée – avec l’assentiment des dirigeants du PSOE et du PCE, à l’époque.
A bas le régime de 1978 !
Sans une direction et une perspective claires, cette explosion de colère risque de s’épuiser. Mais indépendamment de cela, elle est symptomatique du mécontentement accumulé, ces dernières années, en Espagne comme dans de nombreux pays. Elle est le résultat de la gestion catastrophique de la pandémie par nos gouvernants, de la crise économique, de l’échec évident du capitalisme, de l’accroissement des inégalités, de la montée des violences policières, des provocations de l’extrême droite et de l’impunité des politiciens corrompus.
L’approfondissement de la censure et de la répression exprime les craintes de l’Etat espagnol et de la classe dirigeante. La répression étatique n’est pas un signe de force, mais de faiblesse. La base sociale du régime espagnol fond comme neige au soleil. Désormais, son défenseur le plus virulent est le parti d’extrême droite Vox, ce qui rend le régime d’autant plus odieux aux yeux des masses.
L’emprisonnement de Pablo Hasél est une déclaration de guerre contre la jeunesse et les travailleurs espagnols. Cette guerre sera menée. Tôt ou tard, c’est l’ensemble de la classe ouvrière espagnole qui se mettra en mouvement – contre le régime de 1978 et contre le système capitaliste sur lequel il repose.