Six jours après les inondations qui ont fait au moins 214 morts, principalement dans la région de Valence, une visite officielle du roi, de la reine, du Premier ministre Pedro Sanchez et du Président de la région de Valence a été accueillie par les habitants d’un quartier sinistré avec des jets de boue et des insultes. Cette scène sans précédent est une expression de la colère massive qu’ont provoquée ces inondations meurtrières.
Austérité meurtrière
Sur la côte méditerranéenne, les orages violents et localisés comme celui du 29 octobre ne sont pas un phénomène rare. Causés par la rencontre entre l’air chaud et humide provenant de la Méditerranée et des poches d’air froid provenant de l’Arctique, ils tendent à devenir d’autant plus fréquents que la crise climatique réchauffe les eaux méditerranéennes.
Mais le climat n’est qu’un facteur général parmi l’ensemble des causes qui expliquent la gravité du désastre du 29 octobre. Beaucoup d’entre elles sont la conséquence directe de décisions prises par le gouvernement régional du Parti populaire (PP – droite). Celui-ci est fortement lié aux promoteurs immobiliers de cette région touristique, dont il a servi les intérêts en autorisant des constructions dans des zones inondables. Par ailleurs, une des premières mesures d’austérité adoptées par l’actuel gouvernement régional dirigé par Carlos Mazon après son arrivée au pouvoir en juillet 2023 a été de supprimer le service régional de coordination des secours en cas de catastrophe.
L’agence météorologique espagnole a lancé plusieurs alertes dès le 25 octobre pour prévenir que des orages violents étaient à craindre. Le 28, ses services ont même publié une alerte rouge concernant spécifiquement les zones qui ont été inondées le lendemain. Mais le gouvernement régional a ignoré ces alertes, notamment pour ne pas obliger les entreprises à fermer ce jour-là.
Aux alentours de midi, le jour de la catastrophe, le Président de région Mazon a été jusqu’à affirmer que la tempête allait bientôt refluer, alors même que les premières pluies diluviennes commençaient à tomber sur les hauteurs. Ce n’est qu’à huit heures du soir, alors que des milliers de personnes étaient déjà prises au piège des inondations, que le gouvernement régional s’est finalement décidé à lancer une alerte.
De nombreux cas de patrons contraignant leurs salariés à continuer le travail malgré la tempête ont aussi été rapportés. Des livreurs ont notamment été forcés de partir en tournée alors que les inondations menaçaient. Le sauvetage in extremis d’un livreur de l’entreprise Mercadona, prisonnier de sa camionnette emportée par les eaux, a été largement diffusé sur les réseaux sociaux.
« Seul le peuple porte secours au peuple »
A l’heure où nous écrivons cet article, le décompte des morts a dépassé les 200 et les estimations du nombre de disparus vont de plusieurs dizaines à plusieurs centaines. Un nombre impressionnant de logements ont aussi été détruits, tandis que les infrastructures d’eau et d’électricité sont en ruines.
Pour ne rien arranger, le gouvernement régional a initialement décliné toutes les propositions d’aide provenant d’autres régions ou de l’étranger. Six jours après la catastrophe, certains des villages les plus touchés n’avaient reçu aucun équipement lourd pour déblayer les débris et trouver d’éventuels survivants piégés sous les décombres.
L’organisation des secours a reposé en grande partie sur des initiatives locales de travailleurs. Le syndicat des paysans a joué un rôle crucial en mobilisant les tracteurs de ses syndiqués pour aider à déblayer les rues et les routes. Le gouvernement régional a d’abord tenté de dissuader ces efforts populaires, avant d’essayer de les orienter vers le nettoyage des entreprises et des magasins !
Face aux carences manifestes des services de l’Etat bourgeois, cette mobilisation spontanée a pris un caractère national. Des collectes ont été organisées par les associations et les syndicats dans les quartiers populaires de tout le pays, sous le mot d’ordre « seul le peuple porte secours au peuple ». Des manifestations massives ont aussi été organisées le samedi 9 novembre. A Valence, des dizaines de milliers de personnes ont défilé au cri de « dirigeants assassins ». Cette mobilisation d’ampleur montre la voie à suivre.
La réaction des masses à cette catastrophe a pris un caractère d’autant plus politique que ces inondations meurtrières, et leur gestion calamiteuse par l’Etat bourgeois, sont venues s’ajouter à bien d’autres problèmes : des politiques d’austérité au chômage, en passant par les ravages de l’industrie touristique. Le slogan « vos profits, nos morts » qui fleurit aujourd’hui sur les murs de Valence exprime clairement l’état d’esprit de larges couches des masses. Mais la responsabilité de cette tragédie ne se limite pas au comportement criminel de quelques dirigeants. Comme l’ont souligné nos camarades de l’Organisation Communiste Révolutionnaire (la section de l’ICR en Espagne), sous le capitalisme, les profits passent avant tout, y compris les vies humaines. C’est donc le système dans son ensemble qu’il faut renverser.