La remise inconditionnelle de l’arsenal de l’ETA [1] à un groupe de vérificateurs internationaux, annoncée pour le 8 avril, est un pas consécutif de leur décision manifeste, datant de plus de 5 ans, d’abandonner définitivement la lutte armée. Par cet acte, l’ETA et l’ensemble de la Gauche Abertzale, la gauche indépendantiste basque, réaffirment leur volonté de lutter pour leurs objectifs en employant des moyens purement politiques.
Il est important de souligner que le gouvernement du PP (Parti Populaire) de Mariano Rajoy a complètement méprisé les pas en avant réalisés par l’ETA depuis 5 ans. Il a refusé de mettre sur la table tout type de négociation ou de dialogue avec eux, ou avec certains de leurs représentants, ne serait-ce que pour orienter un fait si important comme l’est la fin définitive de la lutte armée de l’ETA.
Cette situation contraste vivement avec ce qui s’est passé dans des processus similaires au cours de ces dernières années dans d’autres parties du monde où les Etats se sont impliqués dans les négociations directement avec les groupes armés (l‘IRA en Irlande du Nord, les FARC en Colombie), pour aborder l’abandon de la lutte armée, l’élimination de leur arsenal d’armes, la réinsertion dans la vie civile des activistes desdits groupes et la situation des prisonniers. C’est d’autant plus surprenant que les gouvernements antérieurs du PP et du PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) avaient accepté de s’assoir à la table des négociations avec l’ETA il y a des années, alors que l’organisation n’avait pas évoqué sa volonté de renoncer définitivement et inconditionnellement à l’activité armée.
Le gouvernement espagnol n’a pas seulement refusé de négocier avec l’ETA la remise de ses armes, mais il a aussi délibérément entravé cette remise, et ce en collaboration avec l’Etat français. Par exemple, en détenant en décembre 5 personnes près de Bayonne qui agissaient comme médiateurs civils pour la remise des armes qui va se tenir à présent.
Le gouvernement n’applique même pas la loi concernant le rapprochement des prisonniers vers leurs lieux d’origine pour faciliter le contact avec leurs familles. Ainsi, la grande majorité des prisonniers de l’ETA se trouvent dans des prisons en dehors d’Euskadi [2] et de Navarre, obligeant les familles à se déplacer à des centaines de milliers de kilomètres pour pouvoir leur rendre visite. A leur arrivée, il arrive que leur permis de visite soit refusé, que les visites soient annulées pour de faux prétextes. Au fil des années, 16 personnes sont mortes dans des accidents de voiture sur le chemin pour aller voir leurs proches en prison, d’après l’organisation Exterat [3].
Ces ardents défenseurs de la retransmission de la messe catholique dominicale sur la télévision publique, ces champions des supposées valeurs chrétiennes de l’humanité comme la réconciliation et le pardon, ne sont pas seulement insensibles et revanchards face à la séparation douloureuse des familles et de leurs enfants, conjoints, frères et sœurs incarcérés. Ils montrent aussi qu’ils sont d’absolus hypocrites dans leurs croyances religieuses, en plus de faillir de façon flagrante aux lois en vigueur, protégées par les tribunaux espagnols.
Nous pouvons en déduire que la droite espagnole (le PP et Ciudadanos), n’a aucun intérêt à la résolution du « conflit basque ». Elle espère au contraire continuer à tirer profit de l’activité etarra [4] du passé et ce avec deux objectifs en tête. Le premier est de maintenir au premier plan la thématique du « terrorisme » pour détourner l’attention de la population des véritables problèmes sociaux provoqués par la crise du capitalisme et l’action réactionnaire du gouvernement et du PP. Le second est de maintenir leur base électorale d’appui parmi les couches les plus politiquement arriérées de la population, exploitant et exacerbant avec démagogie le thème des victimes de l’ETA.
D’autres secteurs importants de l’appareil de l’Etat participent à cette stratégie qui consiste à maintenir l’ETA comme un danger permanent. Il s’agit principalement des corps policiers et des services secrets, l’actuel CNI. L’activité etarra a toujours été instrumentalisée, non seulement pour augmenter le niveau général de la répression et endurcir le Code pénal si cher à la droite espagnole, mais aussi pour justifier l’impunité policière, les privilèges spéciaux pour les hauts responsables de la police, et l’existence de fonds réservés qui échappent à tout contrôle et desquels de nombreux chefs de la police et de la garde civile ont tiré profit durant des décennies dans d’obscures affaires (les cas Perote, Roldán, Paesa, Villarejo, pour ne mentionner que les plus connus).
Le régime de 1978 n’est pas seulement un régime réactionnaire et caduc qu’il faut dépasser, c’est aussi le régime du « deux poids deux mesures » et de l’hypocrisie. Ceux qui, à droite, se montrent durs et vindicatifs sur le thème des victimes de l’ETA, sont les mêmes qui ne condamneront jamais le soulèvement fasciste de Franco en 1936 ni l’assassinat de centaines de milliers de personnes causés par la répression postérieure, durant 40 ans. Les représentants politiques de la dictature et de l’appareil d’Etat, les ministres notoires de Franco – comme Fraga, Fernando Suárez, ou Antonio Carro, entre autres – eux qui ont les mains tachées de sang pour avoir signé des peines de mort sous la dictature, n’ont pas été jugés, ils n’ont purgé aucun de leurs crimes et sont devenus députés du PP sous la « démocratie ».
Ce n’est pas un hasard si l’ETA est née en pleine dictature franquiste et s’est nourrie dans la première quinzaine de son existence des crimes sanglants du franquisme et de la répression pratiquée contre le peuple basque pendant les premières années de la « Transition [5] ». Tous les grands médias parlent des 800 victimes de l’ETA, mais ils oublient qu’il y a eu 188 assassinats durant la Transition (ouvriers, étudiants, nationalistes basques de gauche) dans ce qui fut une pratique de terrorisme d’Etat aux mains de la police, la garde civile et les tueurs fascistes entre 1976 et 1982. Très peu de leurs assassinats furent jugés et condamnés, et la majorité d’entre eux le furent pour des peines dérisoires. Il en fut de même avec le terrorisme d’Etat pratiqué par les GAL sous le gouvernement de Felipe González, qui commirent 24 assassinats ; sans parler des centaines de cas de torture sur les détenus, hommes et femmes (comprenant viols et abus sexuels), de l’entourage de la gauche abertzale.
Cette politique répressive continue aujourd’hui, avec les tortures, l'interdiction d’organisations politiques et de solidarité de la gauche abertzale, la fermeture de médias alternatifs, etc., et qui oblige de nombreux jeunes et activistes abertzales à vivre en clandestinité.
Il ne s’agit pas seulement d’Euskadi et de la Navarre. Au cours des dernières années, les amoureux de la démocratie et de la coexistence pacifique dans le gouvernement du PP, se sont démarqués en restreignant les droits démocratiques – durement conquis – avec la criminalisation généralisée dans tout l’Etat espagnol de tous ceux qui décident de lutter contre les fléaux de ce système ou de ceux qui, depuis des positions de gauche font des chansons, des blagues et des commentaires sur les réseaux sociaux. Pendant ce temps, de notables dirigeants du PP, des journalistes réactionnaires et fascistes ont tout loisir de proférer, dans les médias, des insultes et des calomnies les plus dévoyées contre des dirigeants de la gauche et les victimes de la répression franquiste, sans persécution aucune de la part de la police.
Le plus grave est que le vieil appareil d’Etat franquiste s’est maintenu intact jusqu’à nos jours. Il ne fut jamais purgé des fascistes et des réactionnaires. Face à lui, les mêmes chefs de la police et de l’armée, les mêmes tortionnaires et membres des services secrets, les mêmes juges et fiscalistes franquistes. Le plus lamentable de tout cela est que les dirigeants du PSOE et du PCE (Parti Communiste d’Espagne), suite à la chute de la dictature, n’ont jamais élevé la voix pour exiger son épuration, se convertissant en complices, tout comme ils furent complices de la droite pro-franquiste dans sa politique d’impunité face aux crimes du franquisme et de la « Transition ».
La remise inconditionnelle par l’ETA de tout son arsenal est aussi la constatation finale de l’échec des méthodes de la soi-disant « lutte armée », pratiquée pendant 50 ans par cette organisation, sans être parvenue – comme ce fut le cas de l’IRA en Irlande du Nord – à aucun de ses objectifs. De plus, les méthodes de l’ETA se sont montrées contreproductives vu qu’elles ont été utilisées par les gouvernements successifs et l’appareil de l’Etat pour renforcer ce même appareil d’Etat et renforcer la répression, réduire les droits démocratiques (durcissement du Code pénal, restriction du droit de manifester et de la liberté d’expression, interdiction arbitraire de partis politiques, fermeture de médias, etc.). L’activité armée de l’ETA a joué pendant des décennies un rôle pernicieux en émoussant les extraordinaires luttes du peuple basque pour leurs droits démocratiques et nationaux, favorisant la stratégie de la réaction qui consistait en l’introduction de tout type de préjugés nationaux et moralistes pour isoler la lutte du peuple basque de ses frères de classe dans le reste de l’Etat espagnol. De fait, la disparition de l’activité armée de l’ETA et les avancées de la lutte des masses – comme on l’a vu en Catalogne – était la condition première pour qu’une défense des droits démocratiques et nationaux d’Euskadi, de Catalogne et de Galice – comme le droit à l’autodétermination – puisse rencontrer un écho favorable croissant au sein de la classe ouvrière et de la jeunesse du reste de l’Etat espagnol, comme c’est en train de se dérouler après avoir été diabolisée pendant des décennies.
Nous approuvons le fait que l’ETA et la gauche abertzale optent pour la voie politique dans la lutte pour leurs objectifs, comme l’a clairement défendu le dirigeant de Bildu (coalition de la gauche nationaliste basque), Arnaldo Otegi. Selon nous, cette voie politique doit être basée sur les méthodes de la lutte et de l’agitation politique de masse, les manifestations, les grèves, et, à un certain stade, un mouvement révolutionnaire de masse. Il serait erroné de canaliser l’action politique par des méthodes réformistes classiques, relevant plus du « crétinisme parlementaire », que ce soit en enfermant le programme politique à l’intérieur des limites du capitalisme, ou en cherchant un front commun avec la bourgeoisie basque. Celle-ci est toujours disposée à trahir le mouvement s'opposant à la bourgeoisie espagnole, pour mieux défendre ses affaires et intérêts de classe, jusqu'à soutenir le gouvernement du PP. Ce dernier a ainsi reçu l’appui du PNV (parti nationaliste de droite, principal parti de la bourgeoisie basque) pour le décret infâme du PP attaquant les droits des dockers, dont des dockers basques.
La classe ouvrière et la jeunesse basque ont toujours été à l’avant-garde des luttes et de la conscience politique de l’Etat espagnol, au cours des 40 dernières années. C’est au Pays basque que la lutte a été le plus loin contre la dictature et durant la Transition. Euskadi et la Navarre sont les territoires de l’Etat espagnol où le vote favorable à la constitution de 1978 a recueilli le moins d’appui populaire, où le rejet de l'intégration dans l’OTAN fut massif lors du référendum de mai 1986. Ce n’est pas un hasard non plus si lors des élections législatives du 20 décembre 2015 et du 26 juin 2016, Podemos et Unidos Podemos y obtinrent leur plus grand pourcentage de vote de tout l’Etat espagnol. Dans le cas d’Euskadi, elles furent même la première force électorale du territoire.
La lutte pour les droits démocratiques et nationaux est indissociable de la lutte pour le socialisme. Seule la classe ouvrière pourra mener cette lutte à son terme contre tout type d’exploitation et d’oppression, et s’assurer la pleine satisfaction de leurs droits démocratiques les plus avancés. Cela doit commencer par le droit du peuple basque à décider pour lui-même de la relation qu’il veut maintenir avec les autres peuples de l’Etat espagnol, dont le droit à former un état indépendant.
Pour arriver à cela, c'est ensemble dans la lutte que nous sommes forts. Il s’agit de consolider l’unité de la lutte de la classe ouvrière et de la jeunesse basque avec ses frères de classe du reste de l’Etat pour vaincre notre ennemi commun, le capitalisme et ses soutiens – les bourgeoisies espagnole et basque – pour avancer vers le socialisme et résoudre définitivement la question nationale basque.
[1] ETA : Euskadi Ta Askatasuna / Pays basque et liberté, branche armée du MLNV (mouvement de libération national basque), fondée en 1959
[2] Euskadi : Communauté autonome du Pays basque comprenant 3 des 7 provinces basques (Alava, Biscaye, Guipuzkoa)
[3] Etxerat : Association d’aide aux prisonniers politiques et à leurs proches et familles
[4] Etarra : terme qui associe un fait, une personne à l’ETA
[5] Transition : Période allant environ de la mort de Franco (1975) à la première alternance politique (1982)