Le 22 mars dernier, un million de personnes sont venues de toute l’Espagne, à Madrid, pour la grande Marche de la Dignité, dont le mot d’ordre premier était : « pain, toit et travail ». Cette marche massive, non relayée par les médias, était une preuve de la puissance de la classe ouvrière. Comme l’écrivent nos camarades espagnols de Lucha de clases : « Les Plateformes pour les marches de la Dignité, qui ont organisé la marche à Madrid du 22 mars, incluaient des organisations syndicales comme le SAT, la CGT, Intersyndical, etc., ainsi que des secteurs de CCOO et des unions provinciales comme La Rioja. Elles comprenaient aussi des mouvements sociaux comme la Plateforme des victimes des hypothèques (PAH), les marées verte et blanche, diverses organisations de voisins, et des mouvements et organisations politiques comme le Front civique et Izquierda Unida ». Le syndicat SAT (Syndicat des travailleurs andalous) et la Gauche Unie (Izquierda Unida) ont joué un rôle particulièrement important dans cette marche, en insistant notamment sur l’unité dans la lutte.
Cette marche est aussi, bien sûr, révélatrice d’une situation où, subissant chaque jour plus d’attaques contre leurs conditions de vie et de travail, la population n’en peut plus. Elle s’organise alors pour sa « dignité ». Quatre jours plus tard, le 26 mars, les étudiants bloquaient les universités à travers tout le pays lors d’une grève qui, dans certains endroits, a duré trois jours.
L’Education nationale sacrifiée
La mobilisation étudiante avait pour but de dénoncer les attaques à répétition que subit l’Education nationale en Espagne. Les frais d’inscription dans les universités ont augmenté – et même doublé, dans certains cas. Le nombre de bourses a chuté. Des cours ont été supprimés. Dans le secondaire, nos camarades expliquent : « Des classes ont été supprimées et la gamme des options a été réduite. La plupart des classes sont surchargées. De nombreuses écoles ne peuvent pas se permettre le luxe d’avoir du chauffage en hiver. Des milliers d’enfants doivent étudier dans des préfabriqués ou des bâtiments qui tombent en ruine. Et pour compléter le tableau, le gouvernement actuel […] promeut l’influence de l’Eglise dans les écoles et attaque les langues nationales des communautés historiques, aussi bien à l’école qu’à l’université. »
Les étudiants ont mis en avant le lien nécessaire avec les travailleurs et les syndicats ouvriers. Le mouvement unit tous les secteurs de la société concernés par les coupes budgétaires. Les jeunes sont les plus touchés, avec un chômage qui atteint les 56 % (contre 26 % pour l’ensemble de la population active). Ceux qui travaillent sont confrontés à l’exploitation et la précarité dans des emplois pour lesquels ils sont presque toujours surqualifiés. Plus de 50 % des moins de 31 ans sont obligés de vivre chez leurs parents. Un quart d’entre eux ne peut pas se permettre un régime suffisamment riche en protéines ou s’acheter de nouveaux habits.
Pour la première fois en quatre décennies, la population espagnole a baissé en 2012. Deux millions de familles sont sans logement alors que trois millions de logements sont vides, entre les mains de banques et d’agences immobilières.
Le rôle des directions syndicales
A plusieurs reprises, ces dernières années, la population s’est mobilisée lors de démonstrations de force massives. Mais la marche du 22 mars était particulièrement puissante et revendicative. Il faut se saisir de cette effervescence pour aller plus loin : organiser le renversement du gouvernement et développer les « Plateformes » pour en faire des organismes de luttes politiques et sociales.
Quel est le frein à une coordination des luttes et au renversement du gouvernement espagnol ? Ce sont les directions syndicales, qui tentent de canaliser la colère de leur base, au lieu de concrétiser pour qu’elle puisse guider la population vers des formes d’organisation révolutionnaire. Les dirigeants de l’UGT (Union générale des travailleurs) et des CCOO (Commissions Ouvrières) n’offrent pas d’alternative crédible à la politique du Parti Populaire au pouvoir.
Les militants et la population doivent se saisir de ces organisations syndicales, qui sont l’héritage de longues luttes et de sacrifices, pour les tourner vers l’objectif d’un renversement du gouvernement et d’une transformation socialiste de la société.
Un autre frein, ce fut la non-participation au mouvement des syndicats nationalistes de gauche (en Catalogne, au Pays Basque et en Galicie). Les classes ouvrières basques et catalanes n’ont pas encore été aussi brutalement frappées que celles d’autres régions d’Espagne, mais les effets de la crise s’y font tout de même sentir. L’union de tous les travailleurs de la péninsule ibérique est indispensable pour le renversement du gouvernement, mais également — c’est essentiel — pour rallier la majorité de la classe ouvrière et de tous les secteurs exploités du reste de l’Etat et qu’enfin triomphe la cause des droits démocratiques dans ces zones. Les syndicats nationalistes doivent donc changer de position et participer au mouvement, dans l’intérêt des travailleurs de leur région comme de ceux de tout le pays.
Répression
Sans surprise, lors de la marche du 22 mars et lors de la grève dans l’Education nationale, l’Etat a eu recours à la force policière. Celle-ci s’est infiltrée dans la marche du 22 mars, cagoulée, pour faire des dégâts et justifier l’arrestation de 24 militants au cours d’échanges violents entre des policiers armés et des manifestants sans armes. A l’Université de Madrid, la police a tenté d’empêcher la construction de barricades et arrêté 54 étudiants.
L’Espagne se trouve chaque jour un peu plus exposée à la dure réalité de la plus grave crise de l’histoire du capitalisme. Les attaques sur la population ne sont qu’un début. Et même si nous devons défendre des revendications élémentaires – un salaire minimum, l’expropriation des logements vides, la répartition du travail entre tous sans baisse de salaires –, ce qu’il faut expliquer systématiquement à la population, c’est qu’aucune de ces revendications ne pourra être vraiment satisfaite tant que les moyens de production resteront la propriété d’une poignée de profiteurs.
La population de la péninsule ibérique a les moyens de s’organiser pour lutter contre le gouvernement actuel et pour une autre société. Nous lui apportons tout notre soutien !