La marée noire du Prestige a déclenché une autre marée, celle de l’indignation, qui a touché très profondément la société galicienne. L’aspect le plus remarquable de la situation actuelle est le grand fossé qui sépare, d’un côté, la Xunta (le gouvernement autonome galicien) de Fraga et le gouvernement d’Aznar à Madrid et, de l’autre, l’immense majorité de la population galicienne. Pour les travailleurs, l’image de la Xunta, du gouvernement central et de leur parti - le Parti Populaire (PP) - reste nettement associée à l’incompétence, la manipulation, la censure, l’insulte et la répression.
On a assisté, ces derniers mois, à des manifestations massives et historiques. Elles sont une démonstration indiscutable du mécontentement existant. Mais les manifestations ont été importantes aussi par leur répercussion. La dévastation de la marée noire a dévoilé l’incompétence et le mépris de la droite envers la population, mais aussi le véritable rôle de l’État et du système capitalistes. Ce sont les marins, les pêcheuses de coquillages et leurs familles qui sont en train de faire face à la marée noire. Et ils le font complètement seuls, avec leurs moyens, leur créativité, leur capacité de sacrifice et avec l’aide décisive de milliers de volontaires, dont la grande majorité sont des jeunes de Galice, du reste des communautés autonomes et même d’autres pays. Ils essayent péniblement de lutter contre les effets dévastateurs de la marée noire. Quand il s’agit d’interdire, de censurer ou réprimer, l’Etat montre une vitalité indubitable, et ses engrenages fonctionnent à merveille. Par contre, quand il s’agit d’Education, de Santé publique, ou de faire face à des situations comme celle relative au Prestige, ou, l’Etat semble disparaître. Il paraît clair que l’Etat n’est pas égal pour tous, contrairement à ce que ses représentants veulent nous faire croire continuellement.
C’est précisément là une des idées que la marée noire a déjà éclaircie pour beaucoup de gens, en Galice et ailleurs : nous ne sommes pas tous dans le même bateau. Nous ne subissons pas tous de la même façon les conséquences de la marée noire. Les grands armateurs et les industriels du pétrole, qui sont de très bons amis de Fraga, ne devront pas émigrer et ne seront pas en chômage. Ils bénéficieront même d’aides publiques, à moins d’une lutte de notre part, et ne sont pas intéressés à résoudre d’une manière efficace les effets économiques, sociaux et écologiques de cette catastrophe. En fait, la crise capitaliste et la politique de la droite faisaient déjà des dégâts en Galice, lorsque le nom du Prestige n’était pas encore connu. Reconversion de l’élevage, reconversion de la pêche, reconversion industrielle : c’était le programme du PP avant le désastre, et il n’envisage pas d’en changer. Au contraire, la droite fera avancer plus rapidement les projets qu’elle avait déjà dans son agenda.
La catastrophe du Prestige a fait remonter à la surface les antagonismes inconciliables entre, d’un côté, les intérêts des travailleurs et de leurs familles et, de l’autre, les intérêts des armateurs, des capitalistes en général, de leurs représentants politiques et de leur Etat. Le dernier exemple en date est le décret-loi sur les navires transportant des marchandises dangereuses ou polluantes, qui a été approuvé par le Conseil des Ministres le 13 décembre et par le Parlement six jours plus tard. Un paragraphe du texte définitif a disparu : celui qui évoquait le contrôle et l’inspection des bateaux naviguant dans les 200 milles de la Zone Economique Exclusive espagnole, autrement dit de n’importe quel bateau transitant par des eaux espagnoles. Donc, le décret-loi, tel qu’il a été approuvé, ne permettra pas d’éviter le type de catastrophe qu’on vient de connaître, puisque le Prestige n’était supposé entrer dans un port espagnol. Pourquoi ce paragraphe a-t-il disparu ? Le ministre Álvarez-Cascos a dit qu’il était « inutile » (!) et qu’il chargerait l’Administration « d’une série d’obligations » dommageables. Ces déclarations manifestent une fois de plus l’hypocrisie de la droite et le fait que l’Etat n’est pas pour eux un instrument au service de l’intérêt général, mais une vache qu’on trait pour son propre intérêt. Les véritables raisons de la suppression de ce paragraphe, ce sont les exigences de l’ANAVE (l’Association des Armateurs Espagnols) et du patronat de ce secteur en général, qui ont considéré que l’ébauche du décret contenait des aspects « inquiétants ». Bien sûr, le PP n’a pas hésité une seconde à satisfaire ses maîtres.
Le PP désespère de corriger sa pitoyable image. Il veut détourner l’attention vers d’autres sujets (le terrorisme, la délinquance, etc), sans ménager ses efforts, en mobilisant les médias et même la Monarchie, qui a démontré en quoi consiste sa « neutralité » : donner un coup de main au PP et rétablir l’image de l’Etat capitaliste dans les moments difficiles. Quand la droite dit qu’il faut que tous « donnent un coup d’épaule », elle veut dire en réalité que « le gouvernement n’est pas responsable du désastre et qu’il a fait tout son possible ; et puisque ce n’est la faute de personne, tout le monde paiera la facture ». En fait, la campagne médiatique de « solidarité » du PP est une campagne de solidarité avec les armateurs, les entreprises pétrolières - et avec eux-mêmes, qui sont les responsables politiques directs de cette terrible catastrophe. Il est insultant, de la part du gouvernement et de la Xunta, d’appeler la population à « donner un coup d’épaule » lorsque celle-ci s’est dévouée corps et âme aux tâches de nettoyage et a fait preuve d’une solidarité authentique avec les victimes.
Et maintenant alors ?
Les manifestations impressionnantes déclenchées à cause de la marée noire prouvent à nouveau qu’il y a une envie de lutter. Le mécontentement social croissant contre la droite s’est largement manifesté. En témoignent la grève générale du 20 juin, la lutte contre la suppression de l’allocation agricole aux journaliers, les mobilisations de toute l’Education Nationale contre la réforme de l’Université, etc.
La lutte contre la marée noire dure depuis des semaines, et se prolongera forcément dans les mois à venir. Tant qu’il y aura du fioul dans les réservoirs du bateau, le risque de nouvelles vagues de combustible persistera. Les ressources techniques et économiques restent encore très insuffisantes. La lutte doit se poursuivre, l’expérience montre que l’Etat est au service des puissants et qu’on ne peut pas lui faire confiance. Nous n’obtiendrons de lui que ce que nous gagnerons par la lutte. Aussi pensons-nous qu’il faut que cet énorme mouvement renforce son organisation et, face au désastre et à la droite, se munisse d’un programme de classe.
L’expérience montre d’une façon évidente que ce sont les marins et les pêcheuses de coquillages qui peuvent le mieux organiser la lutte contre la marée noire. Cependant, le PP refuse de l’accepter. Pourquoi ? Parce que de la même façon que les seigneurs féodaux se croyaient maîtres de droit divin, le PP se tient pour maître de droit naturel. Quelle est à son avis la finalité de l’Etat ? Son profit, son intérêt et ceux de ses amis. La droite n’admet pas que l’on remette en cause l’autorité de l’Etat. C’est pourquoi elle veut se débarrasser des volontaires, des témoins gênants qui racontent dans tout le pays ce qu’ils voient de leurs propres yeux. Cela gène la campagne de désinformation à laquelle se livrent les médias. En outre, le PP aimerait bien faire du nettoyage de la côte une affaire lucrative. C’est pourquoi ils mènent une campagne de discrédit contre le collectif Nunca Máis (Plus Jamais) en l’accusant de détournement de fonds. C’est pour les mêmes raisons qu’ils essayeront de détruire les embryons d’organisation, tel que le Comité d’urgence d’O Grove, l‘une de villes les plus touchées par la catastrophe.
La réponse aux manœuvres de la droite doit être l’extension à toute la côte des comités et leur coordination. Telle est la tâche des organisations de gauche. On peut dire que ce n’est pas facile, que le PP tient encore les rênes du pouvoir. Certes, mais il faut aussi comprendre qu’on ne vit pas une situation normale. D’abord, le PP ne peut pas garantir qu’il n’y aura plus de marées noires. Et l’arrivée permanente de fioul sur la côte jettera le PP sur la défensive. En outre, des milliers de personnes ont constaté qu’elles peuvent elles-mêmes faire plus que l’Etat. C’est une expérience qui marque profondément et qui explique pourquoi il y a tellement de bénévoles. Un appel à une assemblée de marins, pêcheuses et travailleurs de la côte galicienne pour organiser la lutte obtiendrait une réponse massive, comme ça a été le cas lors de tous les appels à la mobilisation.
Mais il y a encore une autre raison pour s’organiser d’une manière indépendante : nous ne pouvons pas permettre que des ressources provenant de la solidarité soient gérées par les entreprises privées ou par le PP. Nous ne pouvons pas leur faire confiance ; nous ne partageons pas les mêmes intérêts. La droite souhaiterait tout contrôler afin de mener sa gestion clientéliste. La Xunta a déjà lancé la Fondation Arao, laquelle s’annonce comme « le seul organisme officiellement reconnu pour promouvoir, stimuler et gérer l’aide ». Bien que le gouvernement ait rejeté l’idée, nous sommes opposés à la proposition syndicale d’augmenter d’un dixième les cotisations sociales, afin de créer un fond de solidarité. En effet : 1) Ce désastre a des responsables - les armateurs, les pétroliers, les grands magnats du pétrole - et ce sont eux qui doivent payer. 2) La solidarité entre travailleurs est avant tout une solidarité dans la lutte. La meilleur solidarité consiste à faire pression sur le gouvernement afin d’obtenir ce que nous revendiquons. D’où notre proposition d’une grève générale en Galice et d’une journée de lutte dans les autres communautés autonomes. 3) Il faut bien sûr une solidarité matérielle (de l’argent, de la nourriture, des outils, des volontaires...), mais la solidarité ouvrière n’a pas besoin du PP comme intermédiaire.
Nous devons créer nos propres structures pour tout diriger et tout organiser d’une manière indépendante. En fait, il faudrait que les comités de marins et des pêcheuses de coquillages réclament le droit de contrôler les ressources de l’Etat. C’est la meilleure garantie pour faire primer les critères sociaux et écologiques sur ceux prônés par le PP. Le gouvernement parle déjà de lever l’interdiction de pêcher dans quelques zones. Il veut diviser les victimes et supprimer le plus tôt possible les aides, qui sont à son avis un gaspillage ne stimulant pas la « culture de rigueur » qu’il vante à toute heure. Le contrôle ouvrier est un point tout à fait important, puisque le caractère public d’une entreprise ou d’une institution n’offre pas toutes les garanties. Tragsa, propriété à 100% de l’Etat, en est un bon exemple. Sous le capitalisme, les entreprises publiques obéissent aux mêmes critères de gestion que les entreprises privées.
Notre programme envisage des propositions à court et à long terme. C’est un programme politique, qui lie les solutions concrètes à la lutte contre le PP. Pour obtenir ce que nous demandons, il faut poursuivre la mobilisation, faire pression sur le PP. Voilà le sens d’une grève générale. On ne doit pas laisser la droite se refaire.
Rien de ce qui se passe n’obéit au hasard. La catastrophe n’était pas imprévisible. Elle est plutôt le résultat de la complaisance des armateurs et des sociétés pétrolières à l’égard des poubelles flottantes ; le résultat de la privatisation des services publics ; le résultat d’un gouvernement de droite qui a la corruption et le mépris pour les travailleurs dans la sang et qui est le représentant politique des patrons ; le résultat de l’entreprise privée, qui fait de l’argent même à partir du malheur d’autrui. C’est en définitive le résultat du capitalisme, d’un système où les bénéfices sont ce qui compte le plus, un système dit « du commerce libre » dans lequel en réalité les chefs d’entreprises sont les seuls à jouir d’une réelle liberté, puisque celle des travailleurs n’est que la « liberté » de se taire. Depuis quelques années, on assiste à une détérioration des conditions de vie de la classe ouvrière. A présent, la mauvaise situation économique va déclencher encore plus d’attaques. Il faut se défendre avec nos seules armes : l’organisation et la lutte.
Toute lutte doit par ailleurs se donner une perspective, c’est à dire doit toucher au fond du problème, mettre fin à la cause des maux qui nous frappent : en l’occurrence, la dictature du marché, qui met le profit patronal devant les besoins humains et la protection de l’environnement. Donc, il faut lutter non seulement contre les conséquences du capitalisme, mais aussi contre le système en général, qui détruit l’environnement et provoque la souffrance sans fin de centaines de millions d’êtres humains. Il est nécessaire d’exproprier les monopoles, les banques et les latifundia, afin de mettre toute cette richesse sous le contrôle démocratique des salariés et de planifier démocratiquement l’économie pour la satisfaction de nos les besoins matériels, sociaux, culturels et environnementaux.
Nous croyons que cette revendication de la population et de la jeunesse galicienne - « NUNCA MÁIS ! » : « plus jamais ! » - ne peut être satisfaite qu’avec la transformation socialiste de la société. À ceux qui disent qu’il n’y a que ce monde de possible, nous répondons que le véritable rêve chimérique consiste à penser que les problèmes actuels ont une solution dans le cadre du capitalisme.
Qu’ils vident enfin le Prestige !
Seule la lutte organisée fera aboutir nos revendications !
Rejoignez les marxistes de lucha de clases dans leur lutte pour le socialisme !