L’élection de Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste de Grande-Bretagne (Labour) est un séisme politique dont les effets ne cessent de se faire sentir. Corbyn l’a emporté avec près de 60 % des voix, dont 84 % du collège des « sympathisants ». Il a dominé la primaire grâce à son programme de rupture avec le « Blairisme », cette dérive droitière et pro-capitaliste du parti, dans les années 1990 et 2000. Ce brusque virage à gauche du Labour est une nouvelle manifestation de la radicalisation qui se développe dans la jeunesse et le salariat dans toute l’Europe, en réaction à six années de crise économique et de politiques d’austérité. Or, Corbyn a précisément fait campagne contre les politiques d’austérité, contre les coupes budgétaires, contre les frais d’inscription prohibitifs à l’université – et pour la renationalisation du système ferroviaire et des grandes entreprises de l’énergie.
Le Congrès du parti
Depuis la victoire des Conservateurs aux élections législatives, en mai, le Labour a enregistré plus de 160 000 nouvelles adhésions, dont au moins 70 000 depuis l’élection de Corbyn, le 12 septembre. Cet afflux de nouveaux adhérents – souvent jeunes – a eu un impact sur le Congrès national du parti qui s’est tenu à Brighton du 27 au 29 septembre. Quelque 3000 nouveaux adhérents y ont participé.
Dans son discours au congrès, Corbyn a justement insisté sur le rôle fondamental des militants au sein du parti – dont les principales décisions échappaient jusqu’alors au contrôle de la base. Corbyn veut transformer le Labour en un parti de masse et contrôlé par les masses. Il a clairement expliqué que la politique du Labour ne serait décidée ni par lui, ni par les membres de son « shadow cabinet » (« gouvernement fantôme »), mais bien par les membres du parti.
Le discours de John Mc Donnell, figure historique de la gauche du parti, a reçu un accueil très chaleureux. Il a déclaré que le Labour était désormais un parti anti-austérité. Il a défendu un impôt plus progressif, taxant davantage les revenus les plus élevés et moins les revenus des classes ouvrière et moyenne, qui ne sont pas responsables de la crise. Même s’il s’agit là d’une mesure typiquement réformiste, Mc Donnell a tenu à défendre l’héritage « socialiste » du Labour.
Fronde blairiste
Tout ceci est un véritable cauchemar pour la classe dirigeante britannique et ses relais politiques au sein du Labour. Son contrôle du Parti travailliste est un enjeu crucial pour la bourgeoisie. Or elle vient de perdre ce contrôle, même si elle conserve toujours une large majorité de partisans dans le groupe parlementaire du Labour. Face à la large victoire de Corbyn, ils ont dû abandonner le projet de contester son élection ou de scissionner le parti (pour le moment). Mais ils mènent une campagne systématique pour lui savonner la planche. L’un d’eux écrit : « il va falloir deux années de défaites électorales et beaucoup de travail organisationnel avant de reprendre la main ».
Sous la pression de leur groupe parlementaire, des médias et de la droite, Corbyn et Mc Donnell cherchent des compromis, notamment sur l’abandon du programme Trident (sous-marin nucléaire), la sortie de l’OTAN et la critique de l’UE capitaliste. Cependant, ces « replis tactiques » ne peuvent qu’encourager leurs adversaires. Corbyn n’a d’autre choix que de s’appuyer sur la base du parti pour imposer sa politique aux éléments droitiers de la direction. Et s’il veut mettre en œuvre son programme, il devra y intégrer la nationalisation des principaux leviers de l’économie, conformément à la fameuse « clause IV » des statuts du parti, supprimée à l’époque par Tony Blair.