Article publié le 17 mars sur Socialist Appeal.
Face à la perspective d’être tenu pour responsable d’une catastrophe meurtrière, le Premier ministre a changé de cap par rapport à sa première stratégie du « laisser-faire ». Néanmoins, le gouvernement de Johnson navigue à vue et la Grande-Bretagne entre dans des eaux troubles.
« L’idée de contrôler un virus comme celui-ci, tout en gardant un fonctionnement social normal, nous place en terrain inconnu. Nous pourrions nous retrouver dans un monde totalement différent, pour au moins un an, voire plus ».
Ce sont les mots du professeur Neil Ferguson, scientifique qui conseille le gouvernement sur la pandémie du COVID-19. Sa déclaration est un aveu flagrant de la gravité de la crise que traverse la société.
Nous sommes entrés dans une nouvelle époque – ressemblant à une situation de guerre pour la population. Rien qu’en Grande-Bretagne, des milliers de vies seront tragiquement perdues. L’économie s’effondre de manière incontrôlable. Des millions d’emplois sont menacés – et les familles de la classe ouvrière ne disposent d’aucun filet de secours.
Au lieu de prendre des mesures urgentes, le gouvernement est tétanisé. L’incompétence sans bornes de Boris Johnson et de ses ministres ne connaît pas de limites. Leur attitude désinvolte aura des répercussions mortelles.
La politique de l’autruche
Depuis les premiers jours, les conservateurs regardent ailleurs pendant que le virus se propage de façon exponentielle. Cela signifie que la situation va changer très rapidement, jour après jour. Tous les avertissements qui venaient de Chine ou d’Italie étaient pourtant clairs, aux yeux de tous. Cependant, Downing Street n’a clairement rien fait pour anticiper la réponse à la crise.
Boris Johnson a plusieurs fois usé de la politique de l’autruche, en refusant d’expliquer la gravité de la situation à la population. En effet, le gouvernement a volontairement caché la vérité, avec le dirigeant des conservateurs qui alterne entre commentaires insensés et remarques sarcastiques.
Les experts en santé publique ont été clairs depuis le début : les Etats devraient prendre des mesures immédiates et audacieuses afin de lutter contre l’épidémie. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a conseillé de « tester, tester et tester encore », dans le but d’identifier et de placer en quarantaine les personnes infectées – ceci combiné avec des mesures fortes telles que fermetures d’écoles, éloignement social et confinement.
Cependant, prendre des mesures « draconiennes » n’est pas nécessaire, a déclaré Johnson. Au lieu de cela, il a simplement suggéré que la population devait « encaisser » l’épidémie.
Par conséquent, le plan initial, – si l’on peut parler de plan – était de ne rien faire et de laisser le virus décimer la population. L’espoir étant que cela entraine une immunité collective, qui protègerait la population des futures vagues épidémiologiques.
« Bien sûr, des familles perdraient des êtres chers au cours du processus », a annoncé sans sourciller le Premier ministre. Mais pour Johnson, cela constituait des dommages collatéraux raisonnables pour combattre la maladie.
La raison de cette stratégie impitoyable était évidente : les conservateurs font passer les profits avant les vies humaines. A cet égard, le Premier ministre est le parfait représentant de la classe capitaliste qu’il défend : une vision étriquée, une arrogance démesurée et un cœur de pierre.
Même dans cette période de crise d’une gravité exceptionnelle, il continue à jouer le rôle de bouffon. Récemment, lors d’une réunion avec des PDG, Johnson a ironisé – cyniquement – sur un plan pour que des entreprises privées produisent des respirateurs indispensables à la survie des malades : selon lui, celui-ci pourrait être appelé « dernier souffle ».
Cette arrogance – typique de la classe dirigeante britannique – ne prête cependant pas à sourire. En effet, le « plan » initial de Johnson, a dramatiquement sombré – et ce sont les travailleurs et les pauvres qui vont en payer le prix.
Erreur fatale
L’histoire est choquante, presque surréaliste. La stratégie du laisser-faire du gouvernement pour atteindre l’immunité collective était basée sur des modèles épidémiologiques à faibles taux de mortalité. Certaines personnes allaient mourir, mais la classe dirigeante estimait que c’était un prix à payer pour éviter une récession économique et protéger les profits des grandes entreprises.
Cependant, une récente étude de la « Covid-19 response research team » du collège impérial de Londres (ICL), a révélé que les premières estimations se basaient sur une hypothèse erronée quant aux nécessités de soins intensifs pour les patients atteints. Celles-ci s’avèrent beaucoup plus élevées que prévu. Résultat, les unités de soins intensifs du NHS (National Health Service) sont submergées. Des milliers de patients ne recevront pas le traitement nécessaire et le taux de mortalité augmentera. Ce pourrait être non pas en milliers, mais en centaines de milliers que l’on comptera les morts.
Si rien n’est fait, conclut l’étude, un demi-million de personnes mourront. Si le plan « d’immunité collective » du gouvernement est accompagné de quelques mesures afin d’atténuer l’explosion de l’épidémie, le nombre de décès s’élèverait à 250 000.
Bien sûr, on pourrait blâmer les scientifiques pour leurs modèles biaisés. Mais tout dirigeant politique avisé sait que tout modèle est imparfait. En réalité, ce modèle correspondait à ce que le Premier ministre conservateur voulait entendre.
De nombreux autres experts en santé publique – y compris de l’OMS – se sont insurgés contre cette stratégie du « laisser-faire ». Mais comme le dit la Bible : il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.
Contention
Face à une telle catastrophe, le gouvernement de Johnson a été forcé de faire volte-face. Hier, il a annoncé de nouvelles mesures pour prévenir la propagation de la maladie, notamment des conseils de confinement et d’évitement social.
Dorénavant la stratégie vise à contenir la maladie, comme cela a était fait plus ou moins avec succès, dans plusieurs pays de l’Est de l’Asie.
Cependant, les maladies infectieuses ne peuvent pas être contrôlées aussi facilement. Si des mesures avaient été prises immédiatement, ce qui était possible étant donné les expériences des précédents pays, la propagation du virus aurait pu être contrôlée. Les cas dépistés auraient pu être mis en quarantaine.
Au lieu de cela, nous avons atteint – et même largement dépassé – un seuil critique au-delà duquel les infections se propagent de manière incontrôlable dans une réaction en chaine. Bien sûr, la contention du virus peut aider à faire baisser les chiffres. Mais même dans ce cas, des dépistages, des suivis et des mises en quarantaine doivent être mis en place.
Chute libre
Bien que le Premier ministre ait changé tardivement de stratégie, ses dernières propositions sont trop timides, bien loin de ce que la situation exige. Au lieu de fermer les bars, les restaurants ou les cinémas, le gouvernement se contente de conseiller aux gens de ne pas y aller.
Encore une fois, la raison est claire : le gouvernement tente de faire porter la responsabilité à la population. Si des mesures de fermeture avaient été prises, de nombreuses petites entreprises auraient demandé des compensations. Mais le fait de « conseiller » signifie que les gens choisissent délibérément de ne plus fréquenter ces endroits. Ainsi, les contrats d’assurance n’entrent pas en vigueur.
En conséquence, le secteur hôtelier britannique, représentant 120 milliards de livres, se retrouve face à une menace mortelle. Unite the Union (plus gros syndicat du Royaume-Uni) estime qu’au moins un tiers des emplois du secteur pourraient disparaître, dont beaucoup de contrats précaires ou privés de congés maladie. En résumé, le Premier ministre a sauvé les profits des compagnies d’assurance, en présentant l’addition aux salariés et aux petites entreprises.
Mais il est clair que les problèmes du secteur de l’hôtellerie ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Par exemple, l’industrie du transport aérien s’effondre et les principales chaines de magasins tombent les unes après les autres.
Rishi Sunak, le nouveau ministre de l’Economie, regrettera sans doute d’avoir accepté le poste. L’annonce du budget de Sunak, la semaine dernière, est déjà largement dépassée. Ses propositions comprenaient 12 milliards de livres sterling pour combattre l’épidémie. Par ailleurs, la banque d’Angleterre a réduit ses taux d’intérêt. Néanmoins, même les économistes bourgeois sont obligés de reconnaître que ces mesures sont vaines.
Sous la pression, le gouvernement a dû faire un certain nombre de concessions : optimiser les indemnités maladie, réduire les délais d’attente pour l’obtention de crédits, ou encore diriger des fonds vers les bars et clubs impactés par les recommandations de distanciation sociale. Mais en réalité, ces demi-mesures ne sont rien face au tsunami qui va frapper la société.
En conséquence, même les plus hauts responsables conservateurs demandent au gouvernement d’intervenir pour sauver le système. Lord O’Neill, ancien ministre conservateur du trésor, a proposé d’introduire un « assouplissement quantitatif populaire » pour fournir des fonds aux foyers et aux entreprises en difficulté.
De plus, le chef de l’« Office for Budget Responsability » (organisme de prévision économique financé par le Trésor) a déclaré que le pays était dans une situation de guerre, ce qui nécessitait une expansion massive des dépenses publiques – les petits stimulants, ici et là, ne suffisant pas.
L’économie mondiale est en chute libre. Nous sombrons dans la récession ; les prévisions annoncent une contraction de 15 points au cours du prochain trimestre, en Grande-Bretagne. L’économie de marché s’est totalement effondrée. Ce qui est nécessaire – comme l’exige tout véritable effort de guerre –, ce sont une large nationalisation et des mesures audacieuses, afin de prendre le contrôle de l’économie et commencer à planifier la production.
Révolution
A long terme, la stratégie de contention adoptée par le gouvernement n’est pas suffisante. « Nous soulignons qu’il n’est pas certain que la stratégie de contention réussira à long terme », déclare le récent article de l’ICL (Imperial College London). « En fin de compte, le seul espoir d’éradiquer véritablement la maladie réside dans le développement d’un vaccin ».
Mais le développement d’un vaccin pourrait prendre plus d’un an. Selon certains, dont l’équipe de Ferguson à l’ICL, il faudrait 18 mois. Entre temps, le monde sera confronté à une dislocation économique et sociale en temps de guerre. Nos vies seront significativement différentes, sans retour en arrière en vue. Dans les jours et les semaines à venir, la population sera obligée de s’adapter à cette « nouvelle normalité ».
Cependant, derrière ces changements de situations brusques et soudains, vient un changement tout aussi brusque et soudain dans les consciences. La crise du COVID-19 fait apparaître toutes les contradictions du capitalisme. Il a révélé toutes les fissures du système et mis en lumière les inégalités et les injustices qu’il produit.
Même lorsque le calme reviendra (s’il revient un jour), le retour en arrière ne sera pas possible. Le cours des choses a changé de manière irréversible. La seule voie à suivre pour l’humanité est de renverser le capitalisme et de lutter pour la révolution socialiste.