La grève des routiers, agriculteurs et chauffeurs de taxi britanniques qui, en septembre 2000, a paralysé des régions entières du pays est la grève la plus importante qu’aie connue depuis longtemps la Grande Bretagne.
Suivant le l’exemple du mouvement français, ils ont démontré à quels résultats peut aboutit l’action directe, et ceci après des années d’inactivité et de compromis de la part des dirigeants du TUC (la confédération des syndicats britanniques). John Monks, l’actuel président du TUC, et Bill Morris le président du TGWU (le syndicat des travailleurs des transports) ont été complètement pris de court par ce mouvement. Quel en aurait été le résultat si les dirigeants syndicaux avaient profité de cette occasion pour mobiliser leurs sept millions d’adhérents ? Mais au lieu d’agir, ils ont préféré critiquer les grévistes et imiter l’arrogance de Tony Blair et des chefs du "New Labour", allant jusqu’à accuser les grévistes de "mettre des vies en péril" et d’intimider par la violence les chauffeurs des camions-citernes. Or en réalité, dès le début du mouvement, les grévistes ont autorisé l’approvisionnement des hôpitaux et de tous les services d’urgence. Les chauffeurs eux-mêmes ont refusé de traverser les piquets de grève parce qu’ils soutenaient sans réserve l’action de leurs collègues.
Comme en France et en Europe, la cause immédiate du mouvement britannique était l’augmentation rapide du prix des carburants. Depuis au moins six mois la grogne se généralisait chez des catégories professionnelles qui ne sont pourtant pas connues pour leur radicalisme. Beaucoup d’entre eux sont des « indépendants ». Or, de nos jours, au Royaume-Uni, un bon nombre de ceux qui travaillent à leur compte sont des ex-salariés qui ne travaillent que grâce à des missions ponctuelles. Beaucoup de ces camionneurs, agriculteurs ou chauffeurs de taxi ont une existence assez précaire, s’étant endettés pour l’achat d’un camion, d’une petite parcelle de terre ou d’un taxi. Ils sont à la merci des multinationales et de tous les soubresauts du marché. Pour eux, l’augmentation du prix du pétrole et des taxes a été la goutte d’eau qui a fait déborder la vase.
Depuis son arrivée au pouvoir, Blair gouverne dans la lignée de ses prédécesseurs de droite, et notamment en privilégiant la taxation indirecte, un système d’une injustice flagrante. Avec la taxation indirecte, l’ouvrier qui gagne le SMIC contribue aux dépenses de l’État à la même hauteur que le patron qui gagne dix fois son salaire. Les mécanismes du marché mondial ont fait monter les cours de l’essence, mais les taxes représentent 75% de son prix à la pompe. Or on n’a pas remarqué une baisse du prix du pétrole quand le baril de brut était à $10, il y a deux ans, au lieu de $30 aujourd’hui. Le gouvernement a justifié ces augmentations par le souci de "diminuer l’usage de la voiture" et de protéger "l’environnement". Et certes, il est tout à fait honorable de vouloir protéger l’environnement. Mais il faut savoir que la plupart des gens sont obligés de prendre leur voiture parce que les transports publics ont été cassés par la droite sous Thatcher et Major, à travers leur privatisation et leur déréglementation, auxquelles le gouvernement du New Labour n’a pas remédié. Cependant, la solution n’est pas dans l’augmentation des taxes pétrolières mais dans la mise en place de moyens de transport alternatifs. La solution la moins polluante serait une utilisation accrue des chemins de fer. Mais en Grande-Bretagne, ceux-ci ont été privatisés et, exception faite de quelques grandes lignes, le réseau national est dans un état de grave délabrement. Pour vraiment combattre la pollution, le gouvernement travailliste doit reprendre le contrôle du réseau et investir massivement dans le transport ferroviaire des marchandises. Taxer le pétrole revient seulement à taxer les travailleurs et à laisser l’environnement entre les mains des capitalistes, les vrais responsables de sa dégradation.
Le fait que la population ait largement soutenu ce mouvement, malgré les difficultés engendrées, signifie qu’il était beaucoup plus qu’une simple protestation contre le prix du pétrole. L’augmentation du prix du pétrole affecte presque tout le monde. Le prix du pétrole joue ainsi le même rôle que le prix du pain à l’époque de la révolution française : il fonctionne comme un catalyseur de révolte sociale. Au Royaume-Uni, malgré la propagande continuelle qui voudrait que ce pays soit en pleine reprise économique, avec un taux d’emploi record et des revenus de plus en plus importants, le mécontentement social grandit. Il y a une désillusion profonde à l’égard de Blair, qui n’a rien fait de substantiel pour réparer les dégâts de 18 ans de gouvernement de droite.
En réalité, la direction actuelle du Parti Travailliste a maintenu la politique de ses prédécesseurs, mais en plus "soft". L’ampleur de ce dernier mouvement et le soutien qu’il a rencontré dans la population démontre la frustration ressentie à l’égard de ce gouvernement, qui a été élu avec une majorité écrasante de 150 sièges, en 1997. Aujourd’hui, il se révèle être profondément conservateur et pro-capitaliste. En attaquant le mouvement, la direction de la TUC a facilité ainsi la tâche des populistes du Parti Conservateur, qui ont soutenu le mouvement d’une façon opportuniste.
Ce mouvement démontre une fois de plus la puissance potentielle de la classe ouvrière, même s’il ne s’agissait cette fois-ci que d’un mouvement de petits patrons et d’indépendants. Si la majorité des salariés se mobilisait de la même façon, aucune force sur terre ne serait capable de les arrêter. On a constaté à mainte reprise la puissance de tels mouvements, et notamment en France, pendant la grève de 1995. Nous assistons aux débuts d’un réveil du mouvement social en Grande-Bretagne, après une longue période d’apathie.
Nous devons revendiquer une baisse des taxes sur les carburants et la nationalisation de l’industrie pétrolière. La gestion de cette industrie clé par des capitalistes se révèle, ici aussi, catastrophique. Le gouvernement travailliste doit aussi organiser le réseau des transports publics de façon socialiste, c’est à dire en intégrant dans un système d’ensemble cohérent les chemins de fer et les transports routiers, et ce sur la base du contrôle démocratique des usagers et des salariés des différents secteurs concernés.