Un an après l’agression de Gaza par l’impérialisme israélien, nous republions cette analyse d’Alan Woods, qui date du 8 janvier 2009, soit quelques jours après l’invasion.
A la Conférence d’Annapolis, en novembre 2007, à l’initiative de George W. Bush, un plan avait été élaboré qui était supposé déboucher sur un accord entre Israéliens et Palestiniens. A peine un an plus tard, ce plan de paix est en ruines. La classe dirigeante israélienne a concentré toute sa puissance militaire pour pulvériser Gaza. De nouveau, la guerre embrase la région.
L’invasion a été précédée d’une intense campagne de bombardements, qui a considérablement désorganisé les forces du Hamas. Elle a également détruit la plupart des infrastructures et tué un grand nombre de Palestiniens, souvent des citoyens ordinaires – hommes, femmes et enfants qui n’ont rien à voir avec le Hamas.
Les dirigeants du monde occidental protestent contre la violence et demandent un cessez-le-feu. Mais c’est pure hypocrisie. George Bush est le plus grand terroriste au monde. Les Etats-Unis et leur Coalition ont tué beaucoup plus de civils en Irak et en Afghanistan que les Israéliens à Gaza. Ils n’ont absolument aucune autorité morale pour condamner les horreurs de la guerre. Et pourtant, ces gens réclament le droit de poser devant les caméras de télévision et de juger les autres.
Les dirigeants israéliens n’y prêtent aucune attention. Ils disent que la guerre se poursuivra jusqu’à ce qu’ils soient assurés qu’il n’y aura plus de tirs de roquettes. Si l’armée israélienne ne parvient pas à arrêter ces tirs de roquettes, toute l’affaire apparaîtra comme entièrement contre-productive. Si Israël échoue, non seulement il se sera attiré les condamnations du monde entier, mais il apparaîtra comme faible – alors que l’objectif était précisément de faire une démonstration de force. En conséquence, la guerre va inévitablement se poursuivre, quel que soit le nombre de protestations sincères, dans les rues – ou le nombre de larmes de crocodile que versent les politiciens bourgeois.
La guerre médiatique, elle aussi, bat son plein (les journalistes étrangers ne peuvent entrer dans Gaza, notamment). On explique constamment au monde entier que les roquettes du Hamas sont une terrible menace pour la sécurité d’Israël (alors qu’elles n’avaient tué que quatre personnes, jusqu’à l’invasion de Gaza). Mais on voudrait que les gens ne voient pas les cadavres d’enfants dans les ruines de leur maison. L’objectif est de placer la responsabilité de la crise sur le Hamas et de lier le tout à la « guerre contre le terrorisme ». La guerre continue, et continuera jusqu’à ce que les impérialistes israéliens jugent qu’ils ont atteint l’essentiel de leurs objectifs.
L’armée israélienne a coupé Gaza en deux. Même s’il est vrai que le Hamas a nettement accru sa capacité militaire, au cours de la dernière période, et qu’il dispose de soldats entraînés, il ne peut prétendre tenir tête à l’armée israélienne, qui est entrée dans Gaza sans grande difficulté.
Ceci étant dit, pour tenter de porter un coup fatal au Hamas, les Israéliens devront pénétrer dans des zones urbaines où chaque rue, chaque fenêtre et chaque toit sera une possible embuscade, et chaque passant un kamikaze potentiel.
Même si, d’un point de vue strictement militaire, le Hamas ne peut pas tenir l’armée israélienne en échec, il ne peut y avoir, non plus, de « victoire » militaire formelle d’Israël sur le Hamas. Des combats dans les villes surpeuplées et les camps de réfugiés de Gaza se solderaient par davantage de morts – y compris chez les soldats israéliens. Même la destruction des missiles – une tâche très modeste – ne sera pas si facile, car il s’agit surtout de petites roquettes artisanales qui peuvent être facilement déplacées ou cachées.
En fin de compte, les tirs de roquettes s’arrêteront, ou tout au moins diminueront – mais à quel prix humain ? La souffrance effroyable du peuple de Gaza a scandalisé le monde entier. 75% de la population n’a pas d’électricité. Les hôpitaux sont débordés. Il est difficile de se procurer de la nourriture. Les images de corps de femmes et d’enfants tués, sur les écrans de télévision, ont enflammé les passions du monde arabe, renforcé la désapprobation de l’opinion publique internationale et accru l’isolement d’Israël.
Guerres justes et injustes
Il est inadmissible de se laisser influencer par la propagande officielle, qui cherche, comme toujours, à accuser le camp adverse – c’est-à-dire à présenter les victimes comme des agresseurs et les agresseurs comme des victimes. De même, il n’est pas très sage de se laisser dominer par les émotions et d’évaluer la guerre en termes moraux ou sentimentaux.
L’objectif d’une guerre – de toute guerre – est de soumettre l’ennemi. Que cela plaise ou non, cela implique de tuer des gens. Ce sont les intérêts des belligérants qui déterminent les guerres, qu’il s’agisse d’intérêts économiques, stratégiques ou politiques. Le fait qu’une guerre soit juste ou injuste dépend de ces facteurs – et non de savoir qui a tiré le premier ou s’il s’agit d’une situation d’attaque ou de défense. Lorsque toutes les conditions d’un conflit sont réunies, l’ouverture des hostilités peut être provoquée par n’importe quel accident. Mais il est complètement superficiel de confondre ce qui est accidentel et ce qui est essentiel.
D’un point de vue marxiste, les seules guerres justes sont celles que mènent les opprimés et les exploités contre les oppresseurs et les exploiteurs. Il y a eu de telles guerres, à travers l’histoire, à commencer par celle que Spartacus et son armée d’esclaves menèrent contre l’Etat romain. Dans ces guerres, la classe ouvrière doit toujours soutenir le camp des pauvres et des opprimés contre celui des riches et des puissants. La guerre des Palestiniens contre l’armée israélienne est une guerre juste. C’est la guerre d’un peuple pauvre et opprimé luttant pour ses droits contre un puissant Etat impérialiste. Tel est le fait principal. Toutes les autres questions lui sont subordonnées.
Les dirigeants israéliens prétendent qu’il s’agit d’une guerre défensive. Tout Etat qui veut engager les hostilités contre un autre Etat doit trouver un prétexte. Si l’on devait croire à cette propagande, il n’y aurait jamais eu d’Etat agresseur de toute l’histoire. En 1914, la Grande-Bretagne a déclaré la guerre contre l’Allemagne pour « défendre la pauvre petite Belgique » – alors que la « pauvre petite Belgique » opprimait des millions d’esclaves coloniaux, au Congo. En même temps, l’Allemagne prétendait se défendre contre la barbarie et l’agressivité du Tsarisme russe, la Russie se défendre contre le militarisme prussien – et ainsi de suite.
Il en va de même avec cette guerre. Ehud Olmert, le premier ministre israélien, a expliqué que l’objectif de l’agression était de prendre le contrôle des parties de la bande de Gaza utilisées par le Hamas et d’autres groupes pour tirer des roquettes contre Israël. Ce n’est pas la première fois, dans l’histoire, que l’agresseur présente son agression brutale comme le seul moyen d’assurer... la paix.
L’argument selon lequel il s’agissait d’une réponse aux roquettes du Hamas est clairement un subterfuge pour cacher les véritables motifs de cette guerre. Il est parfaitement évident que cette offensive a été préparée de longue date et correspond à un plan bien conçu.
Les causes de cette guerre
D’un point de vue militaire, les roquettes du Hamas ne sont d’aucune efficacité. Elles ne font pas l’ombre d’une égratignure sur la cuirasse de l’armée israélienne. Par contre, elles ont semé la panique parmi la population civile des zones visées – et ont donné au gouvernement israélien l’excuse dont il avait besoin pour lancer l’offensive contre Gaza. Elles ont contribué à pousser la population d’Israël vers les éléments les plus réactionnaires et belliqueux. Loin d’affaiblir le sionisme, elles l’ont renforcé.
Nous ne pouvons pas défendre les tirs de roquettes contre des cibles civiles en Israël. Mais notre condamnation de ces méthodes n’a rien à voir avec l’hypocrisie cynique de Bush, qui est le plus grand terroriste au monde. Notre opposition au terrorisme n’a rien à voir avec de prétendues raisons morales, ni avec un pacifisme sentimentaliste. Nous sommes opposés au terrorisme parce que ces méthodes ne marchent pas et sont absolument contre-productives.
Ceci étant dit, il est clair que les tirs de roquettes n’étaient pas la véritable cause de l’invasion israélienne. D’après le New York Times, le nombre de roquettes lancées par le Hamas n’augmentait pas – mais, au contraire, tendait à diminuer, passant de centaines à une vingtaine par mois. Dans un de ses euphémismes habituels, l’ONU – dont l’impuissance apparaît une fois de plus au grand jour – a qualifié la réponse des Israéliens de « disproportionnée ». Quantifions la chose. La Bible dit : « œil pour œil, dent pour dent. » Mais dans la première semaine du conflit, plus de 500 Palestiniens ont été tués, dont de nombreux civils. Dans le même temps, cinq Israéliens sont morts, dont deux soldats. C’est un ratio de 100 pour 1.
De fait, Israël a déclaré la guerre au Hamas depuis longtemps. Il y a plus d’une façon de faire la guerre – comme par exemple la guerre économique. Retraçons les étapes qui ont mené à cette guerre. Lorsque les Israéliens se sont retirés de Gaza, en 2005, ils n’avaient pas l’intention d’accorder aux Palestiniens une authentique auto-détermination. Depuis que le peuple de Gaza a eu la témérité d’élire le Hamas, il y a trois ans, les Israéliens et les impérialistes occidentaux ont soumis Gaza à un blocus économique féroce. Dans le même temps, Israël a nettement accru son occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem Est.
Le Hamas n’a pas remporté les élections législatives de 2006 parce que les Palestiniens adhèrent à ses idées, mais parce qu’après l’échec des soi-disant « processus de paix », ils étaient écoeurés par la corruption des dirigeants du Fatah et leur collaboration avec Israël. Mais les « démocrates » occidentaux n’étaient pas disposés à accepter le résultat des élections. Ils ne sont pour la démocratie que dans la mesure où les résultats des élections sont conformes à leurs intérêts. S’ils ne sont pas satisfaits des résultats, ils recourent à toutes sortes de méthodes pour miner et renverser le gouvernement démocratiquement élu – que ce soit Allende au Chili, Chavez au Venezuela ou le Hamas à Gaza.
Il s’ensuivit une guerre civile sanglante entre le Hamas et le Fatah, à l’instigation des Israéliens. A l’été 2007, le Fatah a tenté de prendre le contrôle de Gaza par la force, mais ce coup a échoué et le Hamas a renforcé son emprise sur Gaza – à la consternation des Etats-Unis et d’Israël. En réponse, Israël a soumis le peuple de Gaza à un véritable siège, appuyé par un isolement diplomatique complet. Israël, avec la complicité des Etats-Unis et de l’Europe, a décidé de punir le peuple de Gaza – aussi bien ceux qui ont voté pour le Hamas que les autres – en l’affamant. C’était déjà une déclaration de guerre unilatérale.
Obama et Bush
Malgré son silence diplomatique, on sait parfaitement ce qu’Obama pense de ce conflit. Lors d’une visite en Israël, en juillet 2008, il a déclaré : « Si quelqu’un envoyait des roquettes sur ma maison, la nuit, pendant que mes deux filles dorment, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour que cela cesse. Et je m’attendrais à ce que les Israéliens en fassent autant. » Mr Obama oublie de mentionner un petit détail : le territoire palestinien est occupé par les Israéliens, tout comme le territoire des Etats-Unis était occupé par la Grande-Bretagne, au XVIIIe siècle, lorsque le peuple américain, bien qu’il ne disposait pas de roquettes, a utilisé d’autres moyens tout aussi violents pour expulser les envahisseurs.
N’y a-t-il donc aucune différence entre Bush et Obama, sur cette question ? Ce qui détermine la politique des deux hommes, ce sont les intérêts de l’impérialisme américain au Moyen-Orient. De ce point de vue, il n’y a pas de différence. Mais il y a d’importantes différences sur leur interprétation de ces intérêts. De même, des politiciens qui partagent les mêmes intérêts peuvent avoir d’importantes divergences tactiques. Le mot d’ordre des Marines est : « Parler doucement en tenant un gros bâton. » Mais comme son prédécesseur Ronald Reagan, George W. Bush représente l’aile la plus agressive et bornée de la classe dirigeante américaine. Son inclination naturelle était de parler très fort et de frapper tout ce qui bouge avec une batte de baseball. Cette tactique peut être d’une brutale efficacité – mais à long terme, elle risque fort de provoquer de sérieuses migraines.
Obama est un représentant plus subtil et plus intelligent de l’impérialisme américain. Il a hérité d’une situation difficile, aussi bien aux Etats-Unis que sur la scène internationale. Il y a la crise économique, la flambée du chômage, la baisse des niveaux de vie – et toute une série de désastres, en matière de politique étrangère. Il y a un pessimisme et un mécontentement croissants, aux Etats-Unis, qui se sont reflétés dans l’élection d’Obama. Il doit faire quelque chose. L’un des engagements d’Obama, pendant sa campagne électorale, fut de commencer à retirer les troupes d’Irak. La population américaine est très hostile à la guerre en Irak, et demandera que cet engagement soit tenu. Mais certaines choses en découlent.
Un retrait des troupes d’Irak ne sera possible que si Washington est prêt à négocier un accord avec la Syrie et l’Iran, qui sont tous deux influents en Irak et dans d’autres pays de la région. Mais Damas et Téhéran feront monter les enchères, et la question palestinienne fera nécessairement partie de ce marchandage. La Syrie et l’Iran se présentent depuis longtemps comme les champions de la cause palestinienne, et il est inimaginable que cette question ne soit pas à l’ordre du jour.
Tout cela est bien connu du gouvernement israélien, et doit avoir été un élément majeur dans sa décision d’envahir Gaza. Comme l’écrivait The Economist : « Avec la menace nucléaire iranienne en ligne de mire et l’influence croissante de l’Iran au Liban et à Gaza, Israël veut rappeler que l’Etat juif peut toujours combattre et vaincre ». De fait, les impérialistes israéliens disent à Obama (et à quiconque veut bien les écouter) : n’oubliez pas que nous sommes toujours là et que nous ne sommes pas une puissance secondaire ! Nous avons le pouvoir de briser tout accord auquel vous parviendriez. Vous l’ignoreriez à votre péril !
Les objectifs d’Israël
Quels sont les objectifs de guerre d’Israël ? Il veut détruire un maximum du potentiel militaire du Hamas, intimider et terrifier la population de Gaza, et rappeler à tous les autres pays de la région (et, indirectement, à Washington) qu’il est une puissance qui ne se laissera pas flouer. Par ailleurs, bien que les tirs de roquettes ne soient pas la cause principale de l’invasion, Israël ne pourra pas prétendre à la victoire tant que des roquettes continueront de tomber sur le sol israélien.
Par conséquent, ils s’appliqueront méthodiquement à détruire un maximum de forces et d’infrastructures militaires du Hamas. Ils doivent avant tout repérer et détruire les missiles qui sont lancés sur le territoire israélien, et qui sont supposés être la cause de cette guerre. Deuxièmement, ils chercheront à trouver et tuer un maximum de cadres dirigeants du Hamas, qu’ils espèrent écraser comme force militaire viable. Ils veulent détruire les voies d’approvisionnement par lesquelles le Hamas reçoit des armes en provenance d’Egypte. Cela prendra du temps, et la guerre continuera jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’essentiel de leurs objectifs.
Un élément important de l’équation est le prestige des forces armées israéliennes, qui a été sévèrement terni par la guerre de 24 jours contre le Hezbollah, au Liban, en 2006. Toujours hanté par cette humiliation, l’Etat-major israélien veut montrer la supériorité des forces armées du pays. Il veut restaurer la crédibilité du pouvoir de dissuasion israélien. L’attaque contre Gaza était une opportunité idéale, et les plans en étaient évidemment élaborés de longue date. Encore une fois, la question des missiles était simplement l’excuse d’un conflit inévitable.
L’échiquier diplomatique
Dans la nouvelle situation internationale, les Etats-Unis ne peuvent plus atteindre leurs objectifs sans de nouveaux appuis, dans la région. Ils ont également besoin de la coopération de l’Europe, de la Chine et de la Russie. C’est la raison pour laquelle il y aura des différences significatives entre la politique étrangère d’Obama et celle de Bush. Pour obtenir de la Russie qu’elle ne compromette pas les intérêts vitaux des Etats-Unis au Moyen-Orient, Washington devra faire des concessions à Moscou.
Cela signifie sans doute que les Etats-Unis accepteront de revoir leurs plans d’installation de missiles en Europe. En échange, la Russie devra prendre des mesures pour freiner le programme nucléaire iranien. De même, il est probable que l’intégration de la Géorgie et de l’Ukraine au sein de l’OTAN sera reportée. Dans la mesure où de tels « sacrifices » n’affectent pas les intérêts fondamentaux de ces grandes puissances, ils pourraient être assez facilement consentis, de même qu’un joueur d’échec doit être prêt à sacrifier un simple pion.
Suivant la même logique, des « sacrifices » seront nécessaires au Moyen-Orient. Le fait que David Miliband, ministre des affaires étrangères du gouvernement britannique, se soit récemment rendu en Syrie, est un signe que la machine diplomatique est déjà en marche. La raison en est évidente : Washington veut se retirer d’Irak avec un minimum de dégâts. Mais pour cela, les Etats-Unis ont besoin de la collaboration de la Syrie et de l’Iran.
Même les esprits les plus obtus de Washington commencent à comprendre les avantages d’un dialogue avec la Syrie. L’économie syrienne est affaiblie par l’effondrement des prix du pétrole. Elle a besoin d’investissements étrangers pour faire face à un chômage évalué, officieusement, à plus de 20%. La Syrie est un Etat séculaire, et ses dirigeants redoutent que les groupes islamistes qu’ils sponsorisent, dans la région, ne gagnent trop d’influence. Une vague de soutien au Hamas, à l’intérieur de la Syrie, ne serait pas une bonne nouvelle pour Damas – et il en est de même pour les dirigeants égyptiens et saoudiens. Par conséquent, il n’est pas difficile d’imaginer que le régime syrien pourrait modifier sa politique, dans ce domaine, s’il parvient à un accord le satisfaisant.
Le cas de l’Iran est encore plus clair. Le régime iranien fait face à des développements révolutionnaires. Son économie est, elle aussi, durement frappée par la chute des prix du pétrole. Il y a eu une vague de grèves et de mobilisations étudiantes. Le gouvernement d’Ahmadinejad est clairement en fin de course, et la clique dirigeante cherche une alternative. Elle verrait d’un bon œil un accord négocié avec Washington.
En quoi tout cela affecte-t-il les Palestiniens et Israël ? L’histoire est pleine d’exemples de petites nations dont les droits sont utilisés par les grandes puissances comme la petite monnaie de leurs marchandages, sans que ces petites nations soient même consultées. Dès que les diplomates professionnels s’assiéront autour d’une table, toutes les questions rentreront dans la négociation – y compris le sort des Palestiniens. Comme toujours, ils sont les pions de la diplomatie des grandes puissances, et peuvent être facilement sacrifiés. Les Palestiniens doivent garder cela à l’esprit, et ne placer aucune confiance dans la bonne volonté des gouvernements étrangers – fussent-ils leurs « amis » les plus fervents.
Jusqu’alors, sur la question palestinienne, la Syrie et l’Iran se sont présentés comme les supporters les plus zélés de la ligne la plus dure. Ils ont fourni des armes et de l’argent au Hamas et au Hezbollah. Cela pose un problème aux Etats-Unis et aux Israéliens. Comment résoudre ce problème ? Voyons voir… Israël a annexé en 1967 le plateau du Golan, qui appartenait à la Syrie. Damas n’a jamais cessé d’en réclamer la restitution. « Pourquoi ne pas nous rendre le Golan ? », disent les Syriens. A quoi les Américains répondent, l’air navré : « En ce qui nous concerne, nous en serions enchantés. Mais nos amis Israéliens s’y opposeront pour des questions de sécurité. » Les Syriens répliquent : « Si ce n’est que cela… Nous pouvons apporter notre contribution à cette question de sécurité. N’oubliez pas que nous payons une grosse partie des factures du Hamas et du Hezbollah ».
A ce moment, le délégué iranien élève des protestations : « Les droits de nos frères palestiniens ne sont pas négociables ! », dit-il en frappant du poing sur la table. Mais après quelques heures (ou des semaines, ou des mois), lorsque les Américains leur proposent tout un paquet d’engagements économiques, avec des investissements et des échanges commerciaux, les Iraniens retrouvent leur esprit de conciliation. « Voilà qui tombe à pic », disent-ils, « car la chute des prix du pétrole nous pose de gros problèmes. Peut-être que, finalement, nous pourrons faire preuve d’un peu plus de flexibilité, sur la question palestinienne ». « Oui », répondent les Américains avec un large sourire, « et n’oubliez pas que lorsque nous nous retirerons d’Irak, vous en contrôlerez la moitié. L’un dans l’autre, vous faites une très bonne affaire ! »
Cette conversation est évidemment fictive. Mais il ne faut pas s’imaginer que les choses se passent autrement, dans le monde secret de la diplomatie, où les principes ne sont rien et les calculs cyniques sont tout. Bien sûr, rien de tout cela ne sera rendu public – jusqu’à ce qu’un haut diplomate, quelques décennies plus tard, raconte tout dans ses Mémoires. Dans les prochains mois, ils créeront l’impression inverse : que les négociations sont très difficiles, que Téhéran et Damas sont très obstinés, etc. Les négociations seront sans doute brisées plus d’une fois. Le temps que cela prendra dépend de nombreux facteurs. Mais tôt ou tard, un accord sera trouvé, parce que c’est dans l’intérêt de toutes les parties.
Mais rien n’est simple dans la politique du Moyen-Orient. Il peut y avoir toutes sortes de complications. Les élections de février, en Israël, peuvent déboucher sur un gouvernement hostile à toute concession. Cela pourrait repousser l’Iran et la Syrie vers une position « rejectionniste ». Mais à long terme, ils devront négocier. Quel que soit le futur cabinet israélien, il devra discuter non avec George Bush, mais avec Barak Obama, dont les vues sur le Moyen-Orient sont sensiblement différentes de celles de son prédécesseur. Et dans la mesure où les Américains subventionnent Israël, Obama aura de solides leviers pour faire pression sur Israël.
La seule chose qui puisse balayer complètement ce scénario, c’est un mouvement révolutionnaire des masses dans le monde arabe et en Iran. L’invasion de Gaza a mis en mouvement des forces qu’il ne sera pas facile de neutraliser. C’est un facteur que les politiciens et les diplomates ne peuvent pas contrôler avec leurs méthodes de marchandages et d’intrigues habituelles. En dernière analyse, c’est le seul espoir pour le peuple palestinien et le monde entier.
Guerre et révolution
L’objectif officiel de cette guerre est de marginaliser le Hamas, de l’affaiblir et, si possible, de le détruire. Cet objectif est secrètement apprécié par les régimes arabes soi-disant « modérés ». Et cela ne déplairait pas, non plus, à Mahmoud Abbas – si ce n’est que l’agression de Gaza a suscité l’indignation des masses de Cisjordanie. Les dirigeants d’Egypte, d’Arabie Saoudite et de Jordanie ne seraient pas trop mécontents de voir le Hamas disparaître de la surface de la terre, même s’ils n’oseront jamais l’admettre publiquement.
Les pacifistes petit-bourgeois ne voient que les horreurs de la guerre. Ils sont incapables de voir l’autre face de la pièce. L’histoire a souvent montré que les guerres peuvent mener à la révolution. Quelle que soit la durée de l’invasion de Gaza, une chose est sûre : tôt ou tard, il y aura des développements révolutionnaires dans le monde arabe, qui déboucheront sur le renversement d’un régime corrompu après l’autre. Tous ces régimes réactionnaires sont affaiblis. Ils vivent dans la crainte constante que la pauvreté et le mécontentement des masses ne fassent irruption sous la forme d’un mouvement révolutionnaire.
La crise économique mondiale et l’effondrement des prix du pétrole renforcent cette menace. La situation actuelle accélèrera le processus de radicalisation à travers le Moyen-Orient. Les travailleurs et les étudiants qui descendent dans les rues ne protestent pas seulement contre le traitement cruel que subissent les Palestiniens. Ils protestent contre la passivité de leurs propres gouvernements, contre leur complicité avec Washington – et par conséquent, Israël –, contre le train de vie fastueux qu’ils mènent et qui contraste si brutalement avec la misère des masses.
Les gouvernements arabes ont raison de craindre le potentiel révolutionnaire des masses. Ces gouvernements maudissent le Hamas, mais ils seront obligés, sous la pression, de prendre en compte la colère de la rue et de faire quelque chose – au risque, sans cela, d’être renversés. C’est pour cela que des gens comme Gordon Brown veulent la paix aussi vite que possible : car la guerre signifie l’instabilité et que l’instabilité peut avoir des effets très dommageables pour les intérêts impérialistes.
Une impasse
C’est notre devoir élémentaire de défendre les Palestiniens contre la violence de l’impérialisme israélien. Mais c’est également notre devoir de dire ce qui est : la tactique des attentats-suicide et des tirs de roquettes est inutile et contre-productive. Elle n’a rien à voir avec la lutte armée parce qu’elle ne fait pas la moindre égratignure sur l’armure de l’Etat israélien. Au contraire, elle le renforce en poussant les masses israéliennes à se ranger derrière lui.
Le Hamas a remporté les élections de 2006 parce que les masses palestiniennes étaient fatiguées de la corruption des dirigeants de l’OLP et de leur connivence avec Israël. Mais si on pose la chose en termes purement nationalistes (Juifs contre Arabes), il n’y a aucune solution à la question palestinienne. Les méthodes du Hamas ont été mises en œuvre par l’OLP pendant 40 ans, et ont mené de défaite sanglante en défaite sanglante. Toute l’indignation qu’on peut éprouver face aux souffrances des Palestiniens ne peut rien changer à ce fait.
De même que les méthodes du Hamas n’ont pas bénéficié aux Palestiniens, les méthodes des impérialistes israéliens n’ont pas bénéficié aux citoyens ordinaires d’Israël. Toute tentative de garantir la sécurité par la force s’est révélée contre-productive. L’occupation du territoire palestinien, après la guerre des six jours de 1967, a intensifié le conflit avec les Palestiniens. L’invasion du Liban, en 1982, a mené à la création du Hezbollah. La guerre contre le Hezbollah, en 2006, a miné le gouvernement pro-occidental de Beyrouth. L’actuelle invasion de Gaza a discrédité Mahmoud Abbas. La sécurité est comme un mirage qui échappe sans cesse aux plans des impérialistes israéliens. Il y a toujours un point d’interrogation sur l’avenir de l’Etat d’Israël.
Après les échecs de la soi-disant « lutte armée », Abbas et les dirigeants du Fatah ont tiré la conclusion que la seule alternative est de négocier avec Israël et de rechercher les bons offices des impérialistes. Mais on a vu ce que cela signifiait, ces dix dernières années. Cela signifie la capitulation et le renoncement à la cause de l’auto-détermination nationale de la Palestine. Ainsi, ni le Hamas, ni Abbas n’offrent de solution.
Quel sera le résultat des négociations sur « l’Etat palestinien » – la « solution des deux Etats » ? Cette solution dépend uniquement d’une chose : l’assentiment d’Israël (qui, après tout, serait l’un des deux Etats, et pas le plus faible des deux). A quoi les dirigeants israéliens consentiront-ils ? Ils pourraient accepter quelques ajustements de la frontière avec la Cisjordanie. Ils pourraient permettre une ouverture partielle de la frontière avec Gaza (qu’ils pourront fermer quand ils le souhaitent). Ils pourraient mettre quelques restrictions à la construction de nouvelles colonies juives en territoire palestinien, et pourraient même en démanteler quelques unes. Ils ne peuvent pas renoncer à Jérusalem, bien qu’ils puissent éventuellement consentir à une sorte de partage.
Sur les bases actuelles, c’est là tout ce que les Palestiniens peuvent espérer : un pseudo-Etat tronqué qui dépendra économiquement d’Israël, dont la présence planera sur lui comme une ombre menaçante. Le contrôle d’un tel « Etat » ne sera confié qu’aux dirigeants Palestiniens qui, comme Abbas, sont prêts à jouer les marionnettes d’Israël, et dont le rôle sera de réprimer sans pitié tout groupe palestinien dissident.
En d’autres termes, ce serait une « solution » semblable à celle qui fut imposée aux Irlandais par l’impérialisme britannique, en 1922. Il s’ensuivit une guerre civile féroce, en Irlande, au cours de laquelle il y eut beaucoup plus d’Irlandais tués que lors de la guerre avec les Britanniques. La même chose peut se produire, à l’avenir, avec les Palestiniens – comme l’a déjà montré la guerre civile à Gaza, en 2007. Certains Palestiniens l’accepteraient peut-être, alors que d’autres le rejetteraient à coup sûr, ce qui mènerait à de nouveaux conflits sanglants.
Prendre la voie révolutionnaire !
Les événements de Gaza ont provoqué une vague de protestations qui a ébranlé les régimes du Moyen-Orient. Les stratèges du Capital ont immédiatement reconnu le potentiel révolutionnaire de ces mouvements. Ainsi, The Economist écrivait : « A moins que la colère se déversant dans les rues ne déclenche une révolution régionale qui épouvante Israël et ses amis, le Hamas sera toujours confronté à la nécessité de s’accommoder d’un ennemi beaucoup plus puissant et tout aussi déterminé que lui. »
Cette phrase exprime très bien l’essence du problème. Les capitalistes les plus intelligents comprennent que la question palestinienne peut agir comme le catalyseur de toutes les frustrations et de toute la colère accumulées dans les masses du Moyen-Orient. C’est pour cela qu’ils en appellent constamment à la paix, aux cessez-le-feu, aux négociations et à la modération. Ils voient ce que voient les marxistes, à savoir qu’une révolution régionale est implicite, dans cette situation. C’est le seul et unique point de départ d’un succès de la révolution palestinienne.
Comme le dit très clairement la citation de The Economist, ci-dessus, les Palestiniens sont confrontés à un ennemi beaucoup plus puissant et tout aussi déterminé qu’eux. Les événements de Gaza ont clairement montré l’impossibilité de vaincre ce monstre par des moyens purement militaires.
Existe-t-il une force encore plus grande et plus déterminée que l’Etat d’Israël ? Oui, une telle force existe. C’est la puissance des masses, une fois organisées et mobilisées pour la lutte. Les deux intifadas ont montré que les masses palestiniennes sont prêtes à lutter héroïquement. Mais dans une guerre, le courage ne suffit jamais pour l’emporter. Il faut également une stratégie et une tactique claires, et par-dessus tout de bons généraux. En d’autres termes, cela signifie qu’il faut aux masses un programme révolutionnaire, des méthodes correctes et une bonne direction. C’est ce qu’il faut et ce qui manque, aujourd’hui.
Les actuels dirigeants des Palestiniens n’offrent aucune alternative. Certains dirigeants du Fatah ne seraient pas mécontents de voir le Hamas liquidé. De fait, ils ont placé la responsabilité de l’agression israélienne sur les épaules du Hamas ! Cela a scandalisé les gens ordinaires qui soutiennent le Fatah, en Cisjordanie, et qui se demandent comment leurs dirigeants peuvent défendre une telle position pendant que leurs compatriotes se font massacrer, à Gaza. Malgré tous ses défauts, Arafat n’aurait pas agi ainsi. De nombreux Palestiniens en tirent la conclusion : « Abbas est une marionnette d’Israël ».
Le Hamas espère pousser les Palestiniens de Cisjordanie à renverser le Fatah. Il n’y est pas encore parvenu. Abbas a beau être discrédité, les Palestiniens ne voient pas dans le Hamas une alternative. Certes, de jeunes Palestiniens désespérés se tourneront peut-être vers lui. Ce serait une tragédie. Ce qu’il faut, ce n’est pas une nouvelle génération de kamikazes, mais la construction d’une alternative révolutionnaire massive et viable.
La première condition du succès de la révolution palestinienne réside dans le renversement révolutionnaire des régimes réactionnaires d’Egypte, de Jordanie et d’Arabie Saoudite – avant de régler son compte à l’Etat sioniste lui-même. Tout le monde arabe est désormais dans un état de grande fermentation. Ce qui manque, c’est une authentique direction révolutionnaire, armée des idées fondamentales du marxisme-léninisme.
Par le passé, il y avait de puissants Partis Communistes dans le monde arabe. Ils prétendaient reposer sur le marxisme-léninisme, mais la politique stalinienne des « deux étapes » a mené à une longue série de défaites. Depuis la chute de l’Union Soviétique, les vieux Partis Communistes ont disparu. Mais il y a de nombreux cadres révolutionnaires qui ne sont pas satisfaits des directions politiques actuelles et cherchent une alternative. C’est à eux, et en particulier aux jeunes, que nous nous adressons. Ils sont le seul espoir.
Il est complètement faux d’affirmer que la population d’Israël constitue une seule masse réactionnaire. Si c’était le cas, il n’y aurait aucun espoir pour les Palestiniens. Mais ce n’est pas le cas. A plus d’une occasion, les masses israéliennes ont manifesté contre la brutalité de leurs propres impérialistes, en solidarité avec les Palestiniens. Les travailleurs israéliens ont souvent organisé des grèves et des grèves générales. Une lutte des classes existe en Israël comme dans tout autre pays. Il faut intensifier cette lutte des classes – et, ainsi, couper l’herbe sous le pied des sionistes réactionnaires.
La victoire de la révolution socialiste dans un pays comme l’Egypte aurait d’importants échos en Israël, en particulier si cette révolution reposait sur le programme de l’internationalisme léniniste.
La question palestinienne fait partie de tous les problèmes auxquels sont confrontées les masses du Moyen-Orient. La seule solution viable est la création d’une Fédération Socialiste des peuples de la région, avec une autonomie complète pour les Arabes, les Juifs, les Kurdes et tous les autres peuples. La victoire de la lutte pour une Palestine libre et authentiquement démocratique sera un élément d’une révolution socialiste et internationaliste – sans quoi il ne peut y avoir de victoire.