Le COVID-19 a entrainé des fermetures, des interdictions de circuler et des pénuries de matériel médical et de nourriture dans le monde entier. Cependant, à un endroit dans le monde, c’était déjà la norme bien avant la pandémie : la bande de Gaza. Déjà soumise à d’énormes restrictions et pénuries depuis le début du blocus il y a 13 ans, Gaza doit désormais faire face au COVID-19.
Bien que le Jerusalem Post (journal israélien) ait qualifié la bande de Gaza de « lieu le plus sûr au monde » en raison de son isolement, 9 cas ont été confirmés le 22 mars. Le virus est arrivé à Gaza par l’intermédiaire de deux hommes infectés, qui sont entrés dans le pays via l’Egypte après avoir visité le Pakistan. En réponse, le gouvernement du Hamas a fermé les restaurants, les salles de mariage et de prières du vendredi dans la bande de Gaza. Environ 2000 Gazaouis se sont eux-mêmes mis en quarantaine. A quelques kilomètres de là, de l’autre côté de la frontière militarisée en Israël, le nombre de malades a explosé, pour atteindre, le 8 avril, 9404 cas et 72 morts. Complètement dépassé, le gouvernement de Netanyahou se prépare à un confinement total, les déplacements non essentiels étant déjà passibles de lourdes amendes.
La vie en Cisjordanie, où les habitants sont habitués depuis longtemps aux couvre-feux et états d’urgence, a été mise à l’arrêt par l’Autorité palestinienne dirigée par le Fatah et le gouvernement israélien depuis que le premier cas de COVID-19 a été confirmé à Bethléem, début mars. Le 8 avril, la province occupée avait déjà confirmé 192 cas de COVID-19 et une femme âgée était décédée. Cependant, ni le Fatah ni le Hamas ne sont capables de faire face à ce qui arrive. Avec des conditions de vie déjà misérables et un système de santé quasi inexistant, Gaza et la Cisjordanie seront très durement touchées par le virus.
L’Etat israélien a tenté de dire qu’ils étaient préoccupés par la propagation du virus à Gaza. Malgré un manque de tests en Israël, l’administration de Netanyahou s’est engagée à envoyer 200 tests à Gaza. La Coordination des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT), organisme militaire qui se coordonne avec l’Autorité palestinienne a déclaré : « Les virus et maladies n’ont pas de frontières, par conséquent, la prévention d’une épidémie de COVID-19 à Gaza [et en Cisjordanie] est dans l’intérêt d’Israël ». Cependant, cela a été contredit fin mars, lorsque les forces armées israéliennes ont attaqué des tentes médicales installées à Gaza pour faire face à l’épidémie. Israël espère sans aucun doute contenir toute épidémie à la frontière de Gaza, quitte à sacrifier des millions de Palestiniens. Cela conduira à une crise massive dans les mois à venir, alors qu’une longue file de réfugiés s’alignera à la frontière israélienne à la recherche d’aide médicale.
Pendant ce temps, en Israël, tout est fait pour s’assurer que l’économie israélienne survivra au virus avec un minimum de dégâts. 70 000 travailleurs arabes en Israël seront logés sur leur lieu de travail, pour qu’ils puissent continuer à travailler dans le bâtiment et l’agriculture. La classe dirigeante préfèrerait mettre la vie de ces travailleurs en jeu que d’assister à un déclin de l’industrie. Il a été rapporté que des travailleurs palestiniens en Israël ont été testés positifs et, au lieu de recevoir un traitement, ont simplement été déposés à la frontière cisjordanienne.
Déjà inhabitable
Le système de santé défaillant de Gaza a depuis longtemps dépassé ses limites. Cinq ans après le début du blocus israélo-égyptien en 2007, l’ONU a publié un rapport prévoyant que Gaza serait considérée comme inhabitable d’ici 2020. Au début de l’année, plus de la moitié des médicaments essentiels étaient à la moitié du stock nécessaire ou bien déjà épuisé. Il n’y a que 2895 lits d’hôpital pour une population de plus de 2 millions d’habitants, ce qui correspond à 1,3 lit pour 1000 habitants. L’OMS a déclaré qu’un minimum de 5 lits pour 1000 habitants est nécessaire pour faire face à l’épidémie de COVID-19. Pour aggraver les choses, le gouvernement ne dispose que de 62 respirateurs, dont 15 sont déjà utilisés. L’OMS a déclaré qu’elle aurait besoin d’au moins 100 respirateurs supplémentaires pour faire face à une explosion du nombre de malades, mais qu’elle n’est absolument pas préparée à les traiter.
Malgré cela, l’OMS n’a offert son soutien que sous la forme d’un hôpital de campagne de 38 lits supplémentaires. Abdelnasser Soboh, le dirigeant de l’OMS à Gaza, a expliqué qu’ils ne sont capables de gérer les 100 premiers cas que dans le cadre d’une progression lente de l’épidémie. Le Hamas a créé 20 installations de quarantaine capables d’accueillir 1200 personnes. La gravité de la crise des services de santé est encore aggravée par le manque de médecins. Alors qu’en 2012 le rapport de l’ONU indiquait que Gaza aurait besoin de 1000 nouveaux médecins d’ici 2020, ils en ont perdu 160 au cours des trois dernières années, tandis que des milliers de personnes fuient la bande de Gaza à la recherche de meilleures conditions de vie.
Cette situation n’est pas un accident, mais le résultat d’années d’attaques dévastatrices de l’impérialisme israélien. Le niveau de vie à Gaza s’est encore réduit, créant un fossé toujours plus grand entre les conditions de vie des Palestiniens et des Israéliens vivant de part et d’autre de la frontière. Les Israéliens vivent en moyenne 10 ans de plus que les Palestiniens. Avec le COVID-19 qui approche, ces conditions ont créé une situation extrêmement dangereuse pour toute la région.
Pris au piège
Entre autres mesures, la distanciation sociale a permis de ralentir la propagation du COVID-19. C’est pratiquement impossible dans la bande de Gaza, qui a une des densités de population les plus élevées de la planète, avec 6028 personnes par kilomètre carré. De l’autre côté des barbelés, en Israël, la densité de population maximale est de 500 personnes par kilomètre carré. Le seul endroit au monde où la densité de population est plus élevée que dans la bande de Gaza, c’est Hong Kong, où il y a au moins une relative liberté de mouvement. Les plus grands centres de population sont les camps de réfugiés, qui ont une densité de population disproportionnellement élevée par rapport aux villes. Dans le camp de Jabalia, 140 000 réfugiés vivent dans une zone de seulement 1,4 km². Le camp n’a que trois cliniques et un hôpital. Ce niveau de densité de population, combiné au manque total de réelles infrastructures à cause du blocus et de l’occupation toujours en cours par l’Etat israélien, signifie qu’il n’y a aucune issue pour les Palestiniens de Gaza. Comment peut-on se confiner correctement quand des familles, des voisins, des amis et des cousins vivent tous dans la même petite maison ?
La pauvreté extrême est monnaie courante à travers le territoire, et il n’y a pas de travail. Entre 2012 et 2020, les chiffres officiels du chômage sont passés de 29 à 53 %, et 67 % parmi les jeunes Gazaouis. Même le besoin le plus basique – boire de l’eau potable – n’est pas garanti à Gaza. 97 % de l’eau de la nappe aquifère a été déclarée impropre à la consommation, d’après l’ONU. Cela va à l’encontre de tout ce qui est nécessaire pour faire face à la crise. Un équipement médical, des médicaments, une hygiène de base sont des prérequis nécessaires pour gérer n’importe quelle maladie, bien moindre qu’un virus aussi virulent que le COVID-19. Cependant, à Gaza, nous voyons tout à fait l’opposé. N’importe quelle maladie se propagera rapidement parmi la population, et à cause du blocus et de l’occupation, les malades seront livrés à eux-mêmes. Souvent, la situation à Gaza est décrite comme une crise humanitaire : une situation désastreuse sans solution ni cause. Le COVID-19 est dépeint d’une façon similaire. Mais ces conditions barbares sont purement les créations de l’impérialisme israélien et de ses alliés « démocrates » occidentaux. Les horreurs que la propagation du coronavirus causera parmi les Gazaouis seront aussi de leur faute.
L’occupation et l’Etat d’Israël
Des années d’agression impérialiste par Israël, soutenu par l’impérialisme américain et européen, ont fait de Gaza l’un des endroits les plus vulnérables de la planète en cas de grave épidémie. Les travailleurs de Gaza sont pris en étau entre l’impérialisme et les factions nationalistes bourgeoises rivales, telles que le Hamas et l’OLP, qui n’ont pas apporté la moindre solution.
L’Etat israélien a restreint l’accès des Palestiniens à la nourriture, à l’électricité et au matériel médical. Ils ont restreint les biens à double usage pour les hôpitaux et le matériel d’assainissement de l’eau, ce qui affaiblira significativement toute réponse au COVID-19. Cela n’a rien de neuf, considérant que le blocus a empêché l’aide humanitaire pendant des années. Même les médecins s’occupant des blessés de la récente manifestation de la Marche du Retour se sont fait tirer dessus par les forces armées israéliennes sans distinction, comme ce médecin canadien de London, en Ontario. La COGAT a mis fin à toutes les entrées en Israël depuis Gaza et la Cisjordanie. Malgré cela, un haut fonctionnaire du ministère palestinien de la Santé a déclaré le 22 mars au quotidien Israël Hayom que sa préoccupation principale était que, si le virus se propageait dans Gaza et que le système de santé déjà fragile s’effondrait, « des milliers de Palestiniens tenteront d’atteindre la frontière israélienne ». Le blocus a même conduit à un exode des travailleurs de la santé, transformant la recommandation des 300 ou 400 médecins nécessaires pour gérer une épidémie en un doux rêve utopique. Il s’agit d’une crise humanitaire grave, puisque potentiellement des centaines de milliers de Palestiniens désespérés pourraient demander l’asile et des soins médicaux à Israël.
Dans le même temps, les Palestiniens ne peuvent pas compter sur leurs dirigeants nationaux pour s’occuper de la crise. Les dirigeants bourgeois se servent de la souffrance des travailleurs pour s’en prendre à leurs rivaux politiques. L’Autorité Palestinienne, dirigée par le Fatah, continue de sanctionner Gaza, privant les patients de matériel médical essentiel. Au fond, de nos jours, le Fatah n’est rien d’autre que l’agent de l’impérialisme israélien, agissant comme un gardien de prison pour les Palestiniens. Le Hamas, qui pendant longtemps a été en désaccord avec le Fatah, appelle désormais à « l’unité palestinienne », laissant entrevoir une forme de coopération avec le Fatah en retour de la levée des sanctions sur Gaza. Mais cette unité des deux ailes de la bourgeoisie palestinienne n’a rien à offrir au peuple palestinien.
Pendant des décennies, la bourgeoisie palestinienne a travaillé main dans la main avec l’impérialisme, et vendu les travailleurs en échange d’une partie des fruits de l’exploitation des masses palestiniennes. Cela remonte aux Accords d’Oslo (1993), qui étaient une trahison intégrale de l’Intifada. En refusant de rompre avec le capitalisme, les dirigeants palestiniens ont conduit les masses dans une impasse. En cela, ils ont été soutenus par les dirigeants arabes qui, malgré tous leurs discours sur la libération des Palestiniens, se sont toujours unis dans les faits avec la classe dirigeante israélienne. De fait, les conditions de vie des masses n’ont jamais été aussi mauvaises. Avec la propagation du COVID-19, ce processus ne fera qu’accélérer.
Tandis que l’Autorité Palestinienne panique, en déclarant l’état d’urgence et en n’agissant pratiquement pas, les travailleurs ont montré qu’ils peuvent se diriger eux-mêmes. À Bethléem, l’épicentre de COVID-19 en Cisjordanie, 3000 travailleurs se sont organisés en un comité d’urgence. L’organisation en conseils est une longue tradition révolutionnaire des travailleurs palestiniens, qui remonte à la Première Intifada, quand leur direction les a laissés tomber d’une façon similaire.
Ces conseils doivent faire appel à la classe ouvrière israélienne, qui souffre elle aussi d’un manque de financement pour les services de santé, alors qu’une richesse obscène existe dans le pays. A mesure que la crise s’aggrave en Israël, un mécontentement massif se fera entendre. Par conséquent, tôt ou tard, les masses palestiniennes pourront se connecter à l’état d’esprit anti-système existant en Israël, pour un front uni contre la classe dirigeante israélienne.
La crise sanitaire a poussé certaines personnes à appeler à l’unité entre les Palestiniens et les Israéliens. Mais qu’est-ce que cela signifie ? L’unité entre la classe dirigeante israélienne et le peuple palestinien ? La seule unité qui puisse exister est entre les travailleurs et les pauvres d’Israël et de Palestine, à qui on demandera de payer le prix de la crise sanitaire que le système capitaliste a engendrée.