Une grande révolution – comme celle d’Octobre 1917 – ne se limite jamais à la seule sphère politique. Plus qu’aucune autre, la révolution russe a touché tous les aspects de la vie et a bouleversé les relations humaines.
Pour décrire la situation désespérée des femmes dans la Russie tsariste, une militante bolchevique écrivait : « Nous naissions esclaves et nous mourions esclaves ». Soumise à l’arbitraire de son mari et au moralisme religieux, l’ouvrière était aussi brutalement exploitée à l’usine.
Les femmes de Petrograd furent l’étincelle qui alluma la flamme de la révolution. La colère qui s’était accumulée pendant plusieurs décennies, ou plutôt plusieurs siècles, poussa cette couche habituellement passive – et peu politisée – à l’avant-garde de la lutte. C’est un phénomène bien connu : quand leurs conditions deviennent insupportables, les couches les plus opprimées, généralement passives, passent en première ligne du combat.
Les bolcheviks attachaient beaucoup d’importance à l’implication des femmes dans la lutte. Immédiatement après la révolution, plusieurs conférences furent organisées, rassemblant des centaines de déléguées représentant les ouvrières de tout le pays.
Conquêtes, puis réaction
La révolution eut un impact immédiat sur les droits des femmes, qui furent considérablement étendus. Six semaines après l’insurrection d’Octobre, le mariage civil fut introduit et le divorce légalisé via une procédure très simple. L’égalité juridique entre conjoints fut introduite dans le nouveau Code civil. La distinction entre les enfants légitimes et les enfants illégitimes fut abolie. En 1920, la légalisation de l’avortement fit de l’URSS le premier régime au monde à introduire le contrôle des naissances sous assistance médicale.
Les bolcheviks étaient bien conscients des limites de ces conquêtes juridiques. L’oppression des femmes, issue des anciens rapports économiques, ne peut être abolie que par la création de nouveaux rapports économiques (ce qui prend du temps). Aussi le régime bolchevique a-t-il développé les cuisines collectives, les maisons de maternité, les crèches, les jardins d’enfants, etc. Ces institutions collectives visaient à socialiser l’économie domestique, pour libérer les femmes de ce fardeau.
Toutes ces avancées sociales furent frappées par la réaction stalinienne, qui abandonna les cuisines collectives et abolit même brièvement le droit à l’avortement. Comme toute bureaucratie réactionnaire, la remise en cause de la famille « traditionnelle » lui apparaissait comme une contestation de sa propre autorité. La marche de la libération des femmes en Russie a donc suivi la courbe de la révolution et de la contre-révolution.
Toute l’histoire de la révolution russe montre clairement que l’émancipation des femmes est directement liée à l’émancipation de la classe ouvrière dans son ensemble : sans libération des femmes, pas de socialisme ; sans socialisme, pas de libération des femmes !