Incroyable, mais vrai : d’après un rapport du Boston Consulting Group publié le 28 avril dernier, la France figure à la troisième place européenne, ex æquo avec le Danemark, pour la performance de son système ferroviaire. La Suisse et la Suède occupent les deux premières places.
« Comme la Suisse, la Suède, le Danemark, la Finlande et l’Allemagne, la France s’illustre par son système ferroviaire particulièrement performant », affirment les auteurs du rapport. Outre sa très bonne note globale, la France est aussi classée deuxième, ex æquo avec la Finlande, pour la partie « qualité des services », qui prend en compte la ponctualité, la vitesse et… le rapport qualité-prix des prestations ferroviaires (on croit rêver).
Le rapport souligne que les lauréats doivent leurs positions à un niveau de dépense publique important, notamment dans l’infrastructure. Fallait-il un rapport pour rappeler que pour être à l’heure, un train doit avoir des voies, des gares, des signalisations, des postes d’aiguillage, des centres de maintenance fonctionnels, bref une infrastructure entretenue ? Et ce que le rapport n’évoque pas, c’est le nombre de travailleurs nécessaire pour maintenir toute cette infrastructure ferroviaire à niveau. D’ailleurs, le rapport ne tient pas compte des conditions de travail des cheminots…
Toujours est-il que cette troisième position reflète mal le quotidien des usagers des lignes de RER, de TER et parfois même de TGV, à savoir : suppressions et retards de train en pagaille, pour toutes sortes de raisons (avarie technique, personnel absent et non remplacé, etc.). Sans parler des prix de plus en plus élevés des billets.
L’explication de ce décalage entre le sentiment des usagers de la SNCF et le classement du rapport est simple : c’est pire ailleurs. « Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois ». Car la réalité, c’est que depuis des années, les différents PDG de la SNCF ont été obnubilés par la rentabilité et ont tout fait pour réduire drastiquement le coût des infrastructures : suppressions de postes, de gares, de lignes ; économies sur les rénovations et modernisations...
La conséquence la plus tragique de cette austérité budgétaire fut l’accident mortel de Brétigny, en juillet 2013. L’enquête a révélé que sa principale cause était le manque d’entretien des voies. Depuis, la SNCF s’est lancée dans un programme de rénovation du réseau. Ce qui n’empêche pas la direction de prévoir 13 000 suppressions de postes en 5 ans ! Conséquence : elle recourt massivement à la sous-traitance privée pour assurer l’entretien du réseau.
Le fiasco des privatisations
Profitant de cette situation, de nombreux analystes, politiciens de droite et technocrates européens en appellent à la privatisation. Ils nous disent : « Une fois aux mains du secteur privé, les dépenses seront rationalisées, les effectifs ajustés au besoin et le réseau finement géré. » Mais les faits prouvent le contraire. Sur le podium, dans le rapport en question, on ne trouve que des réseaux entretenus, pour l’essentiel, par des entreprises publiques. Qui d’autre que l’Etat peut avoir assez de ressources financières pour investir dans la continuité du réseau ?
L’Angleterre a fait l’amère expérience de la privatisation. En 1996, le gouvernement achevait la privatisation du rail anglais par la revente de l’infrastructure ferroviaire à la société Railtrack. En 2002, après plusieurs années de dysfonctionnement chroniques (accidents mortels à répétition, détérioration du réseau, déficits d’investissement, etc.), le gouvernement anglais s’est vu contraint de confier son entretien à une société privée créée pour l’occasion et ayant un statut particulier puisque « sans but lucratif ». Il aura fallu que la gestion calamiteuse de Railtrack menace les profits d’autres prestataires privés exploitant le réseau pour pousser l’Etat à cette quasi-renationalisation.
En revanche, l’Etat anglais concède toujours aux opérateurs privés l’exploitation du réseau. Ce sont toujours les usagers anglais qui payent la douloureuse privatisation du rail, avec un coût du billet qui, en moyenne, a triplé depuis 1996. Parallèlement, les sociétés exploitantes ont vu leurs bénéfices exploser : en 2012, la seule Deutsche Bahn a réalisé 1 milliard d’euros de profits sur le réseau anglais.
En France, donc, la situation n’est pas aussi grave – pour le moment. Car la direction de la SNCF et les gouvernements successifs n’ont cessé de porter des coups à ce service public. Les cheminots qui luttent pour un système ferroviaire de qualité et 100 % public méritent tout notre soutien.