Le 16 octobre dernier, Annecy (Haute-Savoie) était au cœur des luttes sociales. En cause, le procès intenté par le procureur Eric Maillaud à l’encontre d’un salarié de Tefal et de l’inspectrice du travail chargée de suivre cette entreprise : Laura Pfeiffer. Lui est accusé de vol, elle de violation du secret professionnel.
Début 2013, Laura Pfeiffer, alors en charge du contrôle de Tefal, interroge les syndicats de l’entreprise et découvre que l’accord sur l’annualisation du temps de travail qui y est appliqué est illégal. Comme la loi le prévoit, elle le signale à l’employeur et l’incite à négocier un nouvel accord. Elle lui demande aussi, en attendant, de revenir au droit commun, donc à payer aux salariés les heures supplémentaires à la semaine, tout en faisant un rattrapage pour les années précédentes. L’enjeu financier est important pour Tefal, qui emploie quelque 1800 salariés en Haute-Savoie, et qui va dès lors tout faire pour évincer cette inspectrice trop consciencieuse.
Le 19 avril, le directeur du travail de Haute-Savoie, Philippe Dumont, convoque Laura Pfeiffer à un entretien dans son bureau pour parler de Tefal. Il lui passe alors un véritable savon, l’accusant de vouloir « mettre le feu » à l’un des plus gros employeurs de la région. Il lui demande de revoir sa position sur l’accord, faute de quoi elle « perdra toute crédibilité et toute légitimité ». Il lui adresse une « mise en garde ». Puis les pressions répétées de sa hiérarchie plongent Laura dans une dépression ; elle traverse plusieurs mois d’arrêt maladie.
En octobre de la même année, Laura reçoit le courriel d’un expéditeur anonyme l’informant qu’il dispose de preuves sur les manœuvres de Tefal en direction du MEDEF, de la préfecture, des renseignements généraux et... de son directeur. Dans un courriel daté du 28 mars, Aurélie Rougeron, une cadre du service des ressources humaines de Tefal, écrit au DRH : « Dan, j’ai échangé avec P. Paillard [membre de l’UIMM, branche métallurgie du MEDEF] au sujet de l’inspectrice. Il me dit que le [directeur départemental du travail] a le pouvoir de la changer de section administrative pour que Tefal ne soit plus dans son périmètre. Intéressant, non ? » Dans un autre, on apprend que le même DRH a pris rendez-vous avec le directeur du travail le 18 avril, veille de son « passage de savon » à l’inspectrice. On apprend également qu’en juin de la même année, Philippe Dumont a obtenu un stage chez Tefal pour un proche... Ce qui évoque furieusement un retour d’ascenseur que des esprits chagrins pourraient même qualifier de corruption.
Le zèle du procureur
Laura Pfeiffer a déposé plainte contre son supérieur, plainte qui pour l’instant n’a pas été suivie d’effet devant le tribunal. En attendant, M. Philippe Dumont a été promu dans un placard doré à l’Institut National du Travail, l’école des inspecteurs du travail. En revanche, le procureur d’Annecy a instruit avec zèle la plainte de Tefal pour vol et recel de documents déposé contre l’inspectrice du travail et le salarié lanceur d’alerte, identifié par son employeur après une enquête interne – et licencié. Laura est en outre accusée de non-respect du secret professionnel, pour avoir transmis aux syndicats de son ministère les preuves des manœuvres de Tefal à son encontre.
Le 16 octobre, le procureur a requis une peine « symbolique » pour le lanceur d’alerte et 5000 euros d’amende contre Laura, avec inscription au casier judiciaire. S’ils étaient condamnés, cela signifierait que la loyauté d’un salarié à l’égard de son employeur est plus importante que le respect de la loi. Dénoncer son patron-voyou devient un délit. Cela signifierait aussi que pour un fonctionnaire, inspecteur du travail ou autre, il est interdit de signaler à ses syndicats les dérives de sa hiérarchie et de l’Etat. Là encore, le respect du pouvoir en place serait plus important que le respect de la loi.
Le jour du procès, nous étions plus d’un millier – salariés de Tefal et agents de l’Inspection du Travail venus de toute la France – à nous rassembler devant le parvis du palais de justice d’Annecy. Pour dire non à cette justice de classe, qui protège les puissants, écrase les faibles et cherche à les punir d’avoir voulu s’organiser pour résister aux attaques qu’ils subissent.
Rendez-vous le 4 décembre, jour de l’annonce du verdict du tribunal.