L’usine Smart d’Hambach est rentable, mais elle ne l’est pas encore assez. Sur la base de cet argument, les ouvriers de cette industrie mosellane se sont donc vus proposer un changement de leurs conditions de travail : passer de 35 heures hebdomadaires à 39 heures, payées 37. A la tête de l’usine, on se défend de faire du chantage. Philippe Steyer, directeur des ressources humaines de Smart, a d’ailleurs déclaré au Figaro : « Les salariés n’ont pas le couteau sous la gorge. Il n’y aura pas de plan social en cas de rejet de ce projet. »
Néanmoins, des rumeurs circulaient sur le fait que le groupe Daimler, propriétaire de la marque et partenaire de Renault, envisageait une délocalisation des chaînes de production dans un pays où les standards sociaux sont plus bas, par exemple dans l’usine Renault de Novo Mesto, en Slovénie, qui assemble déjà la version à quatre places de la Smart. D’ailleurs – toujours sans vouloir mettre le couteau sous la gorge de ses salariés, bien sûr – monsieur Steyer a tout de même déclaré qu’il fallait « assurer la pérennité du site à un horizon plus lointain que 2020 ».
Une baisse de 5 % du salaire horaire
Pour permettre ce changement de rémunération, il fallait signer un accord d’entreprise. Or, les syndicats CGT et CFDT, majoritaires dans l’entreprise, avait annoncé qu’ils refuseraient ce changement, qui consistait à augmenter le temps de travail d’environ 12 % pour une augmentation de salaire de seulement 6 %, soit une baisse du salaire horaire d’environ 5 %. Comme souvent, la CFTC et la CFE-CGC se sont montrées beaucoup plus ouvertes sur la question.
Passant au-dessus des syndicats, l’employeur a décidé de procéder à un « référendum consultatif », sans valeur légale, dans le but de peser sur les négociations. Dans cette période de crise du capitalisme, de nombreux travailleurs se retrouvent au chômage, et ceux qui ont encore un emploi n’ont qu’une peur : le perdre. Cette menace implicite et permanente pèse lourd sur la psychologie des ouvriers. Elle est utilisée sans vergogne par les capitalistes pour leur faire accepter des conditions de travail et une rémunération toujours plus dégradées.
Un « oui » en trompe-l’œil
Avec cette inquiétude en toile de fond et la campagne orchestrée par la direction (relayée par tous les médias locaux et nationaux), beaucoup s’attendaient à ce que le « oui » l’emporte largement. Or le résultat fut serré : seuls 56 % des salariés ont voté pour la proposition du patron. Cette victoire du « oui » est par ailleurs un trompe-l’œil, puisque la particularité du site d’Hambach est qu’il concentre une large part de l’encadrement de Daimler. Ainsi, sur les quelque 800 salariés qui composent le personnel de l’usine, on compte seulement une petite moitié d’ouvriers de production et une autre moitié de cadres. Or, sur les 367 ouvriers ayant participé au vote, 61 % ont voté « non », tandis que les 385 cadres ont quant à eux voté pour le « oui » à 74 %. Le vote des cadres s’explique en partie par le fait que, souvent, leurs heures supplémentaires ne sont de toute façon pas payées, du fait du calcul de leur temps de travail au « forfait jour ».
Devant cette mascarade, l’intersyndicale CGT-CFDT a maintenu son refus de signer l’accord proposé. Alors, assumant plus franchement son chantage à l’emploi, la direction a « proposé » aux ouvriers de signer un avenant individuel à leur contrat de travail pour passer aux 39 heures payées 37, en déclarant que s’il n’y avait pas au moins 75 % de signatures, la direction ne pouvait pas s’engager à maintenir la « pérennité du site ». Devant cette menace, quelque 90 % des salariés ont accepté de signer un avenant. Néanmoins, leur refus initial montre qu’il existe un fort potentiel de résistance au sein de cette usine comme dans la classe ouvrière en général. Les « engagements » sur l’emploi pris aujourd’hui par Daimler seront oubliés à la première occasion. A ce moment-là, la colère des ouvriers ne pourra pas être calmée par de simples mots.