Le 10 décembre 2015, la grande majorité des salariés des lignes de production de Latécoère, à Toulouse et à Gimont, se sont mis en grève illimitée, pour la première fois depuis 1972. Latécoère est un monument de l’histoire de l’aéronautique française, dont les avions ont fait connaitre deux célèbres pilotes de l’Aéropostale, Mermoz et Saint-Exupéry.

Aujourd’hui, Latécoère, qui emploie 1500 salariés, est l’un des principaux sous-traitants d’Airbus. Et comme bon nombre des sous-traitants d’Airbus, en particulier dans le secteur du bureau d’études, les menaces qui pèsent sur ses salariés se font plus pressantes. Ce qui est paradoxal, c’est que le secteur n’a jamais été aussi prospère, avec des milliers d’avions à construire ces 20 prochaines années pour remplacer une flotte vieillissante à l’échelle mondiale.

Pillage

La CGT donne une explication de cette contradiction : « pour quiconque connait le secteur aéronautique et a suivi ses évolutions récentes, ce paradoxe n’est qu’apparent. En effet, les changements récents intervenus dans l’actionnariat et la gouvernance du groupe Latécoère ne font qu’imiter ceux intervenus un peu plus tôt chez Airbus. Ils sont le nom d’une seule et même réalité : la colonisation d’un secteur économique tout entier en vue de sa mise à sac, de son pillage. »

Ces dernières années, le groupe Latécoère a vécu une situation financière difficile, avec des dettes très importantes engagées par les anciennes directions. En avril 2015, de grands fonds américains, Apollo et Monarch, sont entrés au capital de la société en épongeant une grande partie de la dette. Sur les neuf premiers mois de 2015, Latécoère a enregistré une hausse de 9,3 % de son activité et un chiffre d’affaires de 522 millions d’euros. Les salariés, eux, ont subi un gel de leurs salaires pour la deuxième fois en cinq ans. Il n’y a plus de prime de participation et peu de promotions. Un ouvrier qualifié avec 10 ans d’ancienneté gagne autour de 1400 euros.

Manque de perspectives

Mais les salariés de Latécoère ont aussi d’autres inquiétudes. Depuis longtemps, les ateliers se vident de leurs ouvriers : de 176 fin 2009 à 127 fin 2015. Si l’activité et le chiffre d’affaires ont explosé, c’est désormais dans des zones low cost que Latécoère investit, ou plutôt délocalise : d’abord la Tunisie, puis le Mexique, bientôt le Maroc et peut-être la Moldavie. Fait nouveau, les bureaux aussi se vident et les cols blancs s’inquiètent. Le ralentissement brutal et durable des activités d’étude – pas de nouvel avion à développer avant 10 ou 15 ans – ne manque pas d’angoisser les ingénieurs et techniciens de bureau d’études. A cela s’ajoute le fait que la direction n’a présenté aucun projet industriel précis. Les salariés ne savent pas où ils vont.

C’est dans ce contexte que la direction de Latécoère a mis le feu aux poudres. Les premières décisions des nouveaux actionnaires ont consisté à augmenter la rémunération des membres du conseil d’administration et à attribuer des actions gratuites au management du groupe pour un montant total de 10 millions d’euros. Un des grévistes s’indignait : « La direction avait décidé le gel des salaires en 2015, à un moment où nous étions dans le rouge. Sitôt que ça va bien, ils se sucrent ! Trente ans qu’on travaille ici, pour certains, et des types à peine arrivés se servent ! Ce n’est plus une société d’aéronautique, c’est une société bancaire… » (La Dépêche, 12/12/2015).

Les grévistes revendiquaient 50 euros d’augmentation générale. Ils demandaient aussi que la direction dévoile à l’ensemble des salariés du groupe ses projets à court, moyen et long terme dans les domaines social et industriel. Enfin, ils demandaient de réformer la politique de rémunération des membres du conseil d’administration et de retirer le plan d’attribution d’actions gratuites.

La direction de Latécoère a tout rejeté en bloc. Réunis en assemblée générale, le 15 décembre, les salariés ont décidé de ne pas reconduire la grève. Mais ils continuent de se réunir régulièrement pour préparer la mobilisation en vue des négociations salariales de janvier 2016. Ils espèrent convaincre les autres collègues de se mobiliser à leur tour.

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