La Riposte : Tu es délégué syndical dans l’usine de plasturgie Nortène, dans le Nord. Pourrais-tu faire un rappel de ton parcours syndical dans cette entreprise ?
René Fleurie : Je suis délégué syndical depuis 1988. Mais quand je suis arrivé dans l’entreprise, il n’y avait pas d’organisation syndicale. Il y avait des candidats « autonomes ». A l’époque, je ne connaissais pas trop le syndicalisme. Mais je ne voulais pas me laisser faire. Je me suis donc engagé comme candidat autonome. Je me suis aperçu que ça n’avançait à rien, et donc j’ai pris un mandat à la CGT, qui me semblait mieux représenter les intérêts des salariés. Et c’est là que les pressions ont démarré.
Suite à mon engagement syndical, j’ai fait l’objet des menaces à l’intérieur de l’entreprise. On a même placé un couteau dans mon armoire du vestiaire, pour faire croire que je voulais tuer le directeur ! Plein de choses de ce genre se sont passées, lettres recommandées à l’appui. Mais j’ai toujours tenu tête, sachant qu’il y avait des salariés qui me soutenaient.
En 1998, il y a eu le projet de délocalisation de l’entreprise. Bien avant le projet, on a senti que quelque chose était en train de se passer. On a mis en place un « droit d’alerte » sur la situation économique de l’entreprise, et une grande réunion avec tous les salariés de l’entreprise a été organisée à l’union locale de Lille. Les salariés se sont lancés dans la lutte contre cette délocalisation. C’était juste après la délocalisation de l’entreprise Levis, à La Bassée. Les salariés se sont battus pendant quatre mois et demi. Finalement, la direction a abandonné son projet de délocalisation. Elle a vendu l’entreprise à un groupe concurrent. Il y a eu des vagues de licenciements, par groupe de 7 ou 8 salariés, pour éviter de présenter un plan social.
La Riposte : Quelle est ta situation, en ce moment ?
René Fleurie : J’ai été attaqué en justice pour insulte et menace de mort à l’encontre d’une responsable de production. Depuis, cette personne n’a cessé de grimper dans la hiérarchie de l’entreprise. Devant la juge, lors de la comparution, mon avocat a demandé à la personne qui m’accusait si véritablement elle s’était sentie menacée, et menacée de mort. Elle a répondu que non. Mais la juge m’a quand même mis en examen. Celle qui m’accusait est revenue sur ses positions, mais je dois quand même passer en correctionnelle !
La Riposte : Qu’est ce que tu risques en correctionnelle ?
René Fleurie : Amende et emprisonnement. Or, cette histoire a été montée de toutes pièces par la direction, sur la base de témoignages complètement fallacieux. Ils ont recueilli des témoignages de personnes qui n’étaient pas présentes et n’ont rien vu. Le seul témoin sérieux qui existe conforte ma position, à savoir qu’il n’y a jamais eu de menace de mort. C’est un dossier assez lourd, mais je pense quand même pouvoir sortir de cette affaire.
Il s’agit d’attaquer un syndicaliste ayant réussi à mettre en mouvement des salariés pour la défense de leur emploi. A l’époque, certains travailleurs me disaient que j’étais « en train de foutre en l’air la moitié des salariés ». Parce que de son coté, la direction travaillait : elle organisait des réunions, le samedi, dans des hôtels de standing, et certains salariés revenaient de ces réunions remontés contre les grévistes. Il a fallu se battre pour que les salariés poursuivent la lutte dans l’union.
La mise en examen ne fait que me renforcer dans mes convictions. Il n’y a que la lutte collective qui paye, et dès lors que tous les travailleurs restent unis, les patrons ont du mal à les vaincre.
Un autre exemple de harcèlement que je peux citer concerne l’entreprise Mainetti. La première fois que j’y suis allé, j’ai vu une salariée qui en sortait pour aller manger. Une BMW s’est arrêtée à sa hauteur, et quelques instants plus tard, la jeune femme est tombée en syncope. Je suis allé trouver les délégués CGT pour qu’ils appellent les pompiers. Ils m’ont dit que cette femme s’évanouissait assez souvent. Par la suite, elle m’a expliqué le harcèlement dont elle était victime.
Par exemple, le directeur à la BMW, qui travaille juste en face d’elle, lui demandait de venir pour prendre sa paire de ciseaux et la lui mettre dans la main. Il lui demandait également de porter ses vêtements au pressing, de laver les rideaux de son bureau, ou encore d’envoyer du courrier à ses enfants pour leur anniversaire, alors qu’elle était secrétaire de direction. Au cours d’une réunion syndicale, j’ai évoqué l’affaire et des procédures vont être mises en place.
Il y a aussi les camarades de Lever Coventry (Pascal, Hugues et d’autres encore), qui ont été emmenés par la police à 6 heures du matin, les menottes aux poignets, sous les yeux de leurs femmes et enfants, parce que des photocopieuses avaient soi-disant disparu. Or, il n’y avait plus rien dans l’entreprise. Les deux patrons successifs sont partis avec 10 millions d’euros, mais aujourd’hui, ce sont les salariés et les syndiqués qu’on incrimine. Au total, il y a eu une vingtaine d’arrestations.
Enfin, il y a le cas du camarade Dominique Vandevelde. A 6 heures du matin, ils ont bloqué tout le périmètre autour de chez lui, avec des CRS partout, comme s’il allait se sauver. Ensuite, devant ses enfants, il a été menotté et embarqué. On l’accusait d’avoir mis à sac la deuxième entreprise de son patron. En fait, il y avait été pour manifester devant l’entrée de l’usine, alors que l’usine où il travaillait, sur le site d’Armentières, avait été complètement détruite par ce même patron, à coup de Bulldozer. Et maintenant, ces salariés se retrouvent devant les tribunaux avec des peines, des amendes, etc. Cela arrive souvent dans notre région. On est constamment sous pression.
Propos recueillis par Hubert Prévaud, CGT
Depuis que nous avons réalisé cette interview, René Fleurie a reçu du tribunal de Grande Instance de Lille une ordonnance de non-lieu, sans même devoir comparaître devant la Chambre Correctionnelle. Cette affaire, datant de 2001, l’accusait de menace de mort. La juge d’instruction s’est ralliée à l’avis du Procureur de la République.