Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement Raffarin ne s’occupe que d’une chose : lancer une attaque en règle contre le niveau de vie de la vaste majorité de la population française. Ses projets de réformes - ou, plutôt, de contre-réformes - n’épargnent personne. Lycéens, étudiants, immigrés, chômeurs, salariés du public et du privé, retraités : tous sont visés. Le gouvernement a fait de la réforme des retraites l’un des grands "chantiers" de sa législature. Un chantier d’ailleurs assez particulier, puisqu’il consiste à démolir à coups de bulldozer les murs du bâtiment !
Le système dit "par répartition" est un acquis qu’il faut défendre face aux pressions des assureurs privés, qui voit dans les retraites une marché potentiel immense. Mais le bâtiment visé par les bulldozers de Raffarin n’est pas pour autant la "maison du bonheur" que décrivent ses apologues. Ce n’est en fait qu’une variante du mode de fonctionnement général des budgets sociaux : l’Etat prélève une partie des richesses produites par l’ensemble des salariés pour l’affecter à des dépenses sociales - en l’occurrence, les retraites. Et comme tous les systèmes de ce type, il est incapable, dans le cadre du capitalisme, d’empêcher les profondes inégalités sociales de continuer à se creuser. D’une part, le mouvement de régression sociale qu’impose, de nous jours, le fonctionnement normal du capitalisme, sape tous les efforts de redistribution des richesses. D’autre part, l’Etat, étant pieds et mains liés aux intérêts de la classe dominante, fait tout pour réduire au minimum la part des richesses créées qui revient aux travailleurs, actifs ou retraités. Donner de l’argent à des gens qui ne travaillent pas est un "gâchis de ressources" du point de vue des capitalistes et de leurs représentants politiques. En fin de compte, chaque euro qu’on enlève aux salariés et aux retraités est un euro qui tombe dans les caisses de la classe dirigeante.
Fidèles à cette logique, le patronat et le gouvernement nous disent qu’ils sont pour le système par répartition. Mais, expliquent-ils, les gens ont ces jours-ci tendance à vivre un peu trop longtemps, et le nombre de retraités va devenir trop grand par rapport au nombre d’actifs. Par conséquent, pour "sauver" le système de répartition, il va falloir en revoir le fonctionnement. Etant donné que ni le gouvernement ni le MEDEF ne veulent mettre un sou de plus dans cette affaire, ils nous présentent trois "solutions" : l’allongement de la durée de cotisation pour toucher une retraire à taux plein, la révision à la baisse des modes de calcul des pensions, et l’ouverture au secteur privé de ce marché prometteur, via les différents types de fonds de pension.
Le sens de ce message est clair : la survie du système par répartition est utilisée par le patronat comme prétexte pour revoir à la baisse le niveau de nos retraites - ce qui ouvrirait un espace aux fonds de pension privés. A l’inverse, nous devons exiger que toute la facture revienne au patronat. C’est lui qui doit payer - et peu nous importe si ça doit ronger ses marges de profits ou alléger ses budgets militaire et "sécuritaire". Nous ne pouvons pas accepter que la montée du chômage - dont le capitalisme est responsable - serve de prétexte à la baisse de nos retraites, puisqu’en effet l’augmentation du nombre de chômeurs affaiblit d’autant le montant global des cotisations à "répartir". Quels que soient les mécanismes fiscaux qui serviront de base au versement de nos pensions, aucun euro ne doit sortir de la poche des retraités, qui pour toucher leur retraite à taux plein ne doivent pas avoir à travailler une heure de plus !
Secteur public et secteur privé
La loi Balladur de 1993 produit, chaque année, de nouveaux dégâts dans les retraites des salariés du privé. En plus d’allonger leur durée de cotisation de 37,5 à 40 annuités, cette loi fait progressivement passer la base de calcul des pensions des 10 aux 25 meilleures années de salaire, et annule l’indexation des pensions sur l’évolution des salaires au profit d’une indexation sur l’évolution des prix à la consommation. Autant de mécanismes bien réfléchis qui ont eu pour conséquence de faire chuter jusqu’à 20 % le niveau des retraites.
Aujourd’hui, fort de sa réputation de « gaulliste de gauche », Monsieur Fillon prépare une loi similaire pour les salariés du public. A l’appui du soi-disant "sauvetage" de nos retraites, le gouvernement avance l’argument suivant : au nom du bon vieux principe de l’égalité, il est intolérable que les salariés du public conservent leurs privilèges par rapport à ceux du privé. Il faut donc, dans le public, passer de 37,5 à 40 annuités de cotisation. Autrement dit, l’arme utilisée contre les retraites du privé n’a pas eu le temps de refroidir que, déjà, le gouvernement montre du doigt le salariés du public et les accuse de ne pas être solidaires de leurs camarades du privé ! C’est là un grossier tour de passe-passe. Mais il y a pire : au moment même où Monsieur Fillon essaye de monter les salariés du privé contre ceux du public, Antoine de Seillière, chef du MEDEF, grimpe sur les épaules du ministre et déclare qu’il est urgent... d’allonger encore de quelques années la durée de cotisation des salariés du privé ! Ce lamentable spectacle en dit long sur l’empressement du patronat à réaliser des économies sur le dos des retraités.
Dans la fonction publique, il y a plus d’un million de précaires, le régime d’assurance chômage est particulièrement mauvais, les salaires stagnent depuis de nombreuses années et la flexibilité est quasiment devenue la norme. Difficile, dans ces conditions, de parler de « privilèges ». En ce qui concerne les retraites, les primes - ou, pour les profs, les heures supplémentaires - ne sont pas prises en compte dans le calcul des pensions, et les conditions de validation des périodes de temps partiel sont moins favorables que dans le privé. Mais tout cela, le gouvernement prend soin de l’exclure de son émouvant discours sur l’égalité. Pourtant, certes, des inégalités existent - mais ce ne sont pas celles auxquelles pense Monsieur Fillon. Par exemple, en terme d’espérance de vie : les salariés vivent en moyenne 6 ans de moins que les cadres supérieurs. De manière générale, le système des retraites ne fait que reproduire les inégalités sociales entre actifs : un salarié qui aura travaillé toute sa vie pour gagner un petit salaire devra la finir avec une petite retraite.
Les projets du gouvernement
Dans le public comme dans le privé, l’allongement la durée de cotisation vise autant à prolonger le temps de travail qu’à faire baisser le niveau des pensions des retraités. En effet, entre le temps passé à étudier et les périodes de chômage et de temps partiel, de moins en moins de salariés arriveront à 60 ans - âge légal du départ à la retraite - avec les 40 ou 42 annuités de cotisation. Ce qui signifie qu’ils devront soit travailler plus longtemps, soit partir avec une retraite incomplète. Le patronat réalise ainsi deux types d’économies : d’une part, une économie sur le montant des pensions versées, et, d’autre part, une économie sur la durée de versement de ces pensions : plus tard un salarié prend sa retraite, moins il lui reste d’années à vivre. Sur le long terme, cela représenterait quelque chose de l’ordre de 4 à 8 % du PIB : un beau pactole, qui donne toute sa mesure à la soi-disant urgence de la contre-réforme.
Le gouvernement ne dit pas clairement jusqu’où il veut pousser ses attaques, et notamment s’il se contentera de s’en prendre au secteur public. Sa stratégie comporte des éléments de bluff et de surenchère. Quoi d’étonnant ? Les capitalistes ne sont pas d’affables gentlemen, mais une classe sociale décidée à promouvoir ses intérêts au détriment de la classe des salariés. Il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils observent les règles de la stricte transparence. Au lieu de passer leur temps à demander au gouvernement de respecter ses « engagements » en matière de communication et de dialogue social, nos dirigeants syndicaux feraient mieux de démasquer ces louvoiements et d’en tirer les conclusions qui s’imposent : à l’indiscutable volonté du gouvernement de casser nos retraites, nous devons opposer une mobilisation massive de tout le salariat français. Et nous l’avons dit à plusieurs reprise : une grève générale de 24 heures des secteurs public et privé constituera une étape incontournable de cette mobilisation.
Dans la mesure où nous faisons face à une offensive du patronat, nous devons d’abord de rejeter en bloc le projet de contre-réforme. Aucune remise en cause des retraites du secteur public ne peut être négociée. Quand à la loi Balladur de 93, dont les effets négatifs sur les retraites du privé sont supposés se prolonger jusqu’en 2008, elle doit être purement et simplement abrogée. Aucun arrangement n’est tolérable : le potentiel de mobilisation est là, comme le prouve l’augmentation en flèche du nombre de journées de grèves depuis le magnifique mouvement de décembre 1995.
En même temps, nous ne pouvons pas accepter que les énormes richesses accumulées par les capitalistes français au cours de ces dernières années ne profitent pas aux retraités. Un certain nombre de métiers particulièrement éprouvants doivent être enfin reconnus comme tels et donner droit au départ à 55 ans (travailleurs du bâtiment, de la métallurgie, des transports, etc.). Par ailleurs, le seul moyen d’assurer une fin de vie décente aux salariés qui ont eu à subir le chômage et la précarité consiste à garantir pour tout le monde une retraite à 60 ans sur la base d’un minimum de 1000 € net par mois. Cela concernerait bien sûr en premier lieu les femmes, qui représentent aujourd’hui 80% des retraités touchant moins de 750 € par mois.
Enfin, nous devons nous préparer à en finir avec un système économique qui se trouve dans l’incapacité de maintenir des acquis sociaux aussi fondamentaux. N’est-il pas lamentable de s’entendre dire qu’il faut amputer nos retraites en prévision de la situation démographique des années 2040 ? Si c’est là toute l’ambition à long terme du capitalisme, nous ferions mieux de prendre nous-mêmes nos destinées en main. En socialisant nos grandes entreprises et en les plaçant sous le contrôle démocratique des salariés, nous pourrions faire profiter tout le monde des progrès de la technologie, notamment en diminuant le temps de travail.
Une fois qu’ils les ont convenablement exploités, les capitalistes se débarrassent des personnes âgées comme d’un inutile fardeau. Un grand nombre d’entre elles finissent leur vie dans l’ennui et la solitude. Le socialisme, à l’inverse, non seulement les dispensera de l’obligation de travailler, mais leur donnera en plus la possibilité de s’investir dans des projets collectifs et d’enrichir ainsi la société de leur expérience et de leur générosité. En d’autres termes, il permettra enfin aux hommes et aux femmes retraités de profiter de la vie autant qu’ils le méritent.