Il y a un an et demi à peine, Airbus et son A380, ce fleuron de technologie moderne, étaient les emblèmes d’une industrie en plein essor. Le géant de l’aéronautique passait pour un modèle. Dans leur campagne pour le « oui » au référendum sur la Constitution européenne, les médias en parlaient comme d’un exemple d’intégration capitaliste européenne réussie.
Aujourd’hui, la situation a radicalement changé. Depuis plusieurs mois, les feux de l’actualité sont braqués sur les déboires industriels du constructeur aéronautique et les scandales financiers impliquant ses plus hauts dirigeants. Un vent de panique s’est emparé des principaux actionnaires du groupe EADS, levant le voile sur les menaces qui pèsent sur sa pérennité, et donc sur les perspectives d’avenir des dizaines de milliers de salariés du secteur aéronautique. La fermeture de la SOGERMA l’a bien montré.
La situation d’un groupe de l’envergure d’EADS doit être analysée dans le contexte de la conjoncture mondiale, qui est caractérisée par une très grande instabilité économique. La croissance économique actuelle repose sur des fondements peu solides. Dans les pays capitalistes avancés, notamment aux Etats-Unis, l’endettement atteint des niveaux sans précédents.
Aujourd’hui, une grande partie de l’activité économique n’est pas productive, mais simplement spéculative, comme on le voit avec l’envolée des marchés boursiers, les fusions-acquisitions et la bulle immobilière. Dans un tel contexte, n’importe quel évènement pourrait provoquer une crise : un nouveau conflit militaire, un effondrement de l’économie chinoise, une brusque montée du prix du pétrole, une chute du dollar, un attentat terroriste, etc. Les capitalistes du secteur aéronautique en ont parfaitement conscience, et c’est ce qui explique leurs décisions à court terme, qui ne respirent pas la sérénité.
Délits d’initiés
Le comportement de Noël Forgeard, l’ancien co-président d’EADS - qui fut aussi le directeur de cabinet de Chirac - a bien illustré ce manque de confiance dans l’avenir de l’entreprise. Juste avant que les retards du programme A380 soient annoncés aux actionnaires, auxquels il avait promis 10% de rentabilité, Forgeard s’est empressé d’encaisser ses 3,75 millions d’euros de plus-values sur ses stocks options, les mettant ainsi à l’abri de la dégringolade de l’action EADS.
En l’espace de quelques jours, Forgeard est passé du rang de « grand dirigeant visionnaire » à celui de rapace égoïste, et qui plus est piètre gestionnaire. Sévèrement critiqué par ceux qui l’adoraient une semaine plus tôt, il a été désigné comme le responsable de touts les problèmes, y compris des retards prévus pour la livraison de l’A380.
Cependant, Forgeard n’est que l’arbre qui cache la forêt, et c’est bien la fonction qu’on lui a volontairement assignée. Car ce sont les gros actionnaires - les plus « initiés » - qui ont tiré les plus gros marrons du feu, à commencer par le Groupe Lagardère. En 1999, lors de la privatisation de l’Aérospatiale - qui devenait Aérospatiale-Matra, puis EADS et enfin Airbus Airbus -, le groupe Lagardère est rentré dans le capital d’Airbus avec 620 millions d’euros, soit 15% de la capitalisation boursière d’EADS (Airbus représente environ 2/3 d’EADS). Or, au moment du délit d’initié de Forgeard, Lagardère a vendu la moitié de ses parts, pour un montant de plus de 2 milliards d’euros, ce qui lui permettait de réaliser une belle plus-value sur le dos des salariés du secteur. Dans le même temps, le groupe britannique BAE System annonçait la revente de ses parts, soit 20% du capital d’Airbus, et le groupe allemand Daimler vendait ses 7,5% de parts d’EADS. Comparé au « délit » de ces gros actionnaires, celui de Forgeard n’est qu’un jeu d’enfant.
Changement de direction, changement de politique ?
Louis Gallois est donc le nouveau co-président d’EADS. Cet homme a été choisi parce qu’il serait un « patron social ». Pour le prouver, il a accepté de n’être payé « que » 15 000 euros par mois, soit plus de 10 fois moins que Forgeard, mais 10 fois plus que nombre de salariés du secteur.
Et c’est sur eux, n’en doutons pas, que vont reposer les milliards d’euros d’économie prévus. Selon les sources, EADS prévoit de réaliser entre 10 et 23 milliards d’euros d’économie, tout en corrigeant la copie de l’A350, en vendant à perte les premiers exemplaires de l’A380, en augmentant le budget de développement de l’A380, et en rachetant les 20 % du capital détenu par BAE (Le Canard enchaîné, 16 août 2006).
Louis Gallois aura la même mission que ses prédécesseurs : assurer la rentabilité aux actionnaires, au détriment de nos salaires et conditions de travail. Pour ceux qui auraient encore des illusions au sujet de Louis Gallois, n’oublions pas qu’il était membre du cabinet de Chevènement, dans les années 80, et qu’a ce titre il a participé au démantèlement des bassins sidérurgiques et miniers de l’Est de la France.
Les salariés vont trinquer
Au service de la rentabilité capitaliste à court terme, les dirigeants d’Airbus et d’EADS naviguent à vue, et s’enfuient avec le magot au moindre éternuement de l’économie mondiale. Ils ont entraîné l’industrie aéronautique dans une série de difficultés techniques : mauvaise coordination, responsabilités mal définies, retard dans les livraisons d’avions, erreur de stratégie sur l’A350, etc. Mais le plus grave, c’est la casse de l’emploi et l’accroissement de la précarité et de la sous-traitance. Déjà, au sein même d’Airbus, toutes les embauches viennent d’être gelées.
Depuis la création du groupe EADS, plusieurs sites ont été fermés, comme par exemple Douarnenez et Salbris. Aujourd’hui, c’est la SOGERMA - dont les 1050 salariés ont assuré une maintenance de qualité sur les avions - qui est sacrifiée. Le groupe EADS a décidé de fermer ce site. Selon la CGT de la région Aquitaine, ce seront en tout 5 000 emplois, sur les 32 000 de la filière, qui seront menacés dans la région. Pour les dirigeants d’EADS, la SOGERMA n’est pas assez rentable, et ils n’ont que faire du sort des salariés, ni de la pérennité de la maintenance, pourtant cruciale en matière de sécurité aérienne.
Il ne fait aucun doute que la caste parasitaire qui dirige EADS compte faire payer l’addition à tous les salariés du secteur aéronautique des régions Aquitaine et Midi-Pyrénées, à commencer par les plus précaires, comme ceux de la sous-traitance, considérés cyniquement par les dirigeants d’EADS comme des « fusibles ». L’agglomération toulousaine risque d’être durement touchée. Selon La Dépêche du Midi, il y a 88 000 personnes - 16 000 employées par Airbus et 72 000 sous-traitants - qui travaillent pour l’aéronautique dans la région toulousaine.
Tels sont les résultats de la course au profit. Pour sortir de cette impasse, l’ensemble de l’activité aéronautique devrait être re-nationalisée. Et à la différence de la précédente nationalisation, l’industrie devrait être placée sous le contrôle démocratique de l’ensemble des salariés du secteur, qui sont les vrais producteurs de richesses.