Au terme de cinq ans pendant lesquels les travailleurs, les jeunes et les retraités ont subi une offensive permanente de la part de Chirac, Raffarin et de Villepin, on pourrait penser que même les plus « modérés » des dirigeants syndicaux auraient compris qu’il n’y a rien à espérer d’un « dialogue » avec des rapaces pareils. Si la soi-disant « concertation » avec eux n’a rien donné, elle donnera moins encore avec Sarkozy. Ce dernier a dit très clairement qu’en plus de mener une politique de régression sociale particulièrement agressive, il prendrait des mesures pour limiter sérieusement le droit de grève.
Et pourtant, les déclarations et communiqués des centrales syndicales, entre les deux tours et depuis la victoire de Sarkozy, laissent penser que les dirigeants confédéraux de la CFDT et de FO – mais aussi de la CGT – vivent sur une autre planète que nous autres. Pour parler franchement, l’approche qu’ils ont adoptée face à l’implacable brutalité de Sarkozy, de l’UMP et du MEDEF, est exactement l’inverse de ce qui est nécessaire.
Les dirigeants des trois centrales syndicales semblent surtout s’inquiéter de laméthode du nouveau président et du nouveau gouvernement, et se permettent de leur donner des conseils sur l’approche qu’ils devraient adopter. Jean-Claude Mailly, François Chérèque et Bernard Thibault ont tous la même préoccupation : ils demandent qu’avant d’agir, le gouvernement négocie avec eux, les consulte. Surtout, ils disent redouter un « passage en force » peu compatible avec le « dialogue social ». Pour citer Bernard Thibault : « Les attentes sociales sont fortes, et naturellement les organisations syndicales sont aussi des interlocuteurs avec lesquels il faut prendre le temps du dialogue et de la négociation. J’attends que Nicolas Sarkozy précise les modalités par lesquelles il entend, au moins, mener une concertation et, au mieux, une négociation sur un certain nombre de sujets ». Pour François Chérèque, la méthode choisie pour mieux « impulser les réformes » sera déterminante.
Il y a tout de même quelque chose de surréaliste dans cette attitude. Premièrement, qui peut sérieusement croire que Nicolas Sarkozy a la moindre intention de répondre aux « attentes sociales » ? Dans un communiqué publié entre les deux tours, le 24 avril, le bureau confédéral de la CGT déclarait qu’il s’attendait à ce que les deux candidats encore en lice répondent aux exigences d’une « large majorité de citoyens » dans les domaines de l’emploi, du pouvoir d’achat, des conditions de travail, des retraites, de la santé, etc.
Qu’est-ce que c’est que cette fausse naïveté avec laquelle la CGT prétend – et c’est pareil, voire pire, chez les autres confédérations – qu’elle devra « juger sur pièce » l’action du gouvernement ? Ne sait-on pas déjà ce que Sarkozy veut faire ? Au lieu de feindre ne pas savoir ce qu’il nous prépare, au lieu de donner des conseils à l’ennemi sur la façon dont il devrait s’y prendre, la responsabilité d’une direction syndicale digne de ce nom est de faire clairement comprendre à tous les travailleurs ce qui les attend, de les mobiliser, de préparer la défense en mettant le mouvement syndical tout entier sur le pied de guerre, pour mieux résister aux attaques certaines et inévitables que les travailleurs subiront dans les mois à venir.
Dans le contexte actuel, toutes ces histoires de « concertation » ne sont qu’une mauvaise farce. Bien sûr, nous ne sommes pas opposés, par principe et en toutes circonstances, à la négociation. Si on peut obtenir des résultats positifs par le simple dialogue, pourquoi pas ? Mais face à Sarkozy, seul un fou pourrait croire qu’une négociation pourrait aboutir à quelque chose de mieuxque ce qui existe actuellement. L’objectif de Sarkozy et du MEDEF, c’est dedétruire les acquis sociaux, et non de nous en accorder de nouveaux. Alors que veut-on négocier, au juste – si ce n’est, à la limite, les modalités de la régression sociale ? Au lieu d’endormir les salariés, en « attendant de voir » ce qui se passe, il faut de toute urgence engager la préparation psychologique et organisationnelle des travailleurs. Il faut s’efforcer de les soulever contre Sarkozy et sa bande de réactionnaires. Ceux qui n’ont pas compris cela devraient se trouver une autre occupation que celle de haut responsable syndical. Les enjeux des batailles qui nous attendent sont trop importants pour qu’on en confie la direction à des gens qui ne rêvent que de « dialoguer » avec l’ennemi.