Quelles sont les mesures de la loi Travail qui font le plus parler d’elles ? La facilitation des licenciements, l’allongement de la semaine de travail (jusqu’à 46 heures en moyenne), les heures supplémentaires sous-payées ou encore la réduction des congés pour raison personnelle (décès d’un parent, mariage...). Toutes ces mesures représentent de graves reculs. Mais en même temps, ne perdons pas de vue que dans les faits, elles sont déjà une réalité pour de nombreux salariés.
Quel salarié n’a pas été obligé de faire des heures supplémentaires non rémunérées ? Lequel n’a pas subi des pressions pour renoncer à un congé auquel il avait droit ? La pression du chômage de masse permet à de nombreux patrons d’imposer des conditions de travail dégradées aux salariés, malgré les lois existantes. Dès lors, même si c’est un objectif essentiel, le retrait de la loi El Khomri ne modifiera pas ce rapport de force défavorable, qui place chaque salarié à la merci du chantage à l’emploi.
Impunité patronale
Pour un salarié, faire valoir ses droits relève souvent du parcours du combattant. Les conseils de prud’hommes, qui jugent les litiges individuels entre un salarié et son employeur, sont totalement submergés depuis de nombreuses années. Un salarié qui veut contester son licenciement ou réclamer un arriéré de salaire doit attendre 13 mois, en moyenne, avant d’être rétabli dans ses droits (et jusqu’à 18 mois en région parisienne) [1]. Les délais s’allongent facilement à 25 mois en cas d’appel. Cela dissuade beaucoup de salariés. Lorsqu’ils sont licenciés, la plupart se concentrent sur l’objectif de retrouver rapidement un emploi, pour ne pas sombrer dans la misère. A peine 4 % des licenciements sont contestés devant les prud’hommes.
Les patrons français sont peu atteints par les sanctions pénales. Avec seulement 2200 inspecteurs et contrôleurs du travail pour plus de 18 millions de salariés, la plupart des entreprises ne sont presque jamais contrôlées et encore moins condamnées. Selon le ministère du Travail, 6374 procédures ont été dressées contre des employeurs en 2013 [2]. Cela représente 0,35 % des 1,8 million d’entreprises employeuses en France. Moins de la moitié des procédures de l’inspection du travail sont portées devant le juge par les procureurs (directement inféodés au gouvernement). Un quart de celles qui sont finalement jugées se terminent par une relaxe. Bilan : 0,13 % d’entreprises condamnées. En y ajoutant les procédures déclenchées par d’autres corps de contrôle, le taux de condamnation des patrons français avoisine donc les 0,3 % en 2013, contre environ 1,5 % pour l’ensemble de la population. Les patrons seraient donc en moyenne cinq fois plus honnêtes que les citoyens ordinaires ? C’est peu probable.
Avec des salariés qui, souvent, ne font pas valoir leurs droits, des agents de contrôle dépourvus de moyens, des procureurs peu enclins à poursuivre et des juges qui condamnent peu ou à des peines légères, on comprend que la loi Travail légalisera et développera des pratiques qui sont déjà à l’œuvre aujourd’hui – en toute illégalité, certes, mais en toute impunité.
Passer à l’offensive
Ceux qui, ces derniers mois, se sont mobilisés dans les manifestations, les grèves et les Nuits Debout ne s’y sont pas trompés. Partout, nombre d’entre eux ont très rapidement pointé le fait qu’il fallait aller au-delà du simple retrait de la loi Travail et lutter pour un nouveau modèle de société, plus protecteur pour les jeunes, les travailleurs et les retraités. Plus qu’un mouvement défensif, la lutte contre la loi Travail doit devenir un mouvement offensif pour des conditions de vie dignes, pour ne pas perdre sa vie à la gagner.
Le fait que de nouvelles couches de jeunes et de travailleurs se joignent à la lutte, notamment à travers les Nuits Debout, est un élément très positif. C’est une étape importante dans le renversement du rapport de force entre les classes, condition nécessaire d’une véritable transformation de l’ordre établi.