Le 7 juin dernier, les salariés du groupe Latécoère ont appris que sa direction voulait mettre en place un vaste plan de réorganisation. Ce plan prévoit la suppression de 400 postes, dont un tiers des effectifs du site historique de Toulouse et la fermeture du site de Tarbes. Mais en plus des licenciements, la direction de Latécoère veut transférer la quasi-totalité de ses activités industrielles vers une nouvelle usine en Bulgarie et vers les usines déjà existantes au Mexique, en Tunisie, au Maroc et à Prague. Au passage, elle veut vendre l’usine de Toulouse à des promoteurs immobiliers, ce qui revient à du pillage d’actifs. Elle veut aussi vendre sa filiale spécialisée en ingénierie, Latécoère Services, avec ses 850 salariés.
C’est un coup extrêmement dur pour les salariés de Latécoère, qui est un monument de l’histoire de l’aéronautique française. Ses avions ont fait connaitre deux pilotes célèbres de l’Aéropostale : Mermoz et Saint-Exupéry. Latécoère est aujourd’hui un sous-traitant majeur d’Airbus, mais aussi de Boeing, Bombardier, Embraer et Dassault.
Ces dernières années, le groupe Latécoère a connu une situation financière difficile, avec des dettes très importantes engagées par les anciennes directions. Il est sorti d’un cycle long d’investissements lourds, consommateurs de trésorerie, et est entré pleinement dans un cycle nouveau de retour sur investissements et de génération de trésorerie. Cette situation était le résultat des cycles économiques aéronautiques et du modèle dit « RSP » (Risk Sharing Partnership), qui veut que les sous-traitants majeurs d’Airbus participent aux investissements.
Une industrie en bonne santé
En avril 2015, de grands fonds américains, Apollo et Monarch, sont entrés au capital de la société en épongeant une grande partie de la dette. Sur les neuf premiers mois de 2015, Latécoère a enregistré une hausse de 9,3 % de son activité et un chiffre d’affaires de 522 millions d’euros. Les salariés, eux, ont subi un gel de leurs salaires pour la deuxième fois en cinq ans. Il n’y a plus eu de prime de participation et peu de promotions. Un ouvrier qualifié ayant 10 ans d’ancienneté gagne autour de 1400 euros nets.
Le plan de restructuration annoncé en juin n’est pas justifié par des problèmes industriels ou un manque d’activités : la société est en parfaite santé économique. Elle bénéficie d’un carnet de commandes pour les quatre années à venir, au minimum, et les résultats du groupe sont excellents. Au 30 juin 2016, la société a connu une importante augmentation de son chiffre d’affaires : 343 millions d’euros, contre 314 millions d’euros un an plus tôt. Le résultat opérationnel se montait, lui, à 21 millions d’euros, contre 14 millions d’euros l’an passé. Et la trésorerie est également très importante, avec 18 millions d’euros sur le seul 1er semestre 2016. Le bénéfice net se monte à 14 millions d’euros, hors provisions.
Aujourd’hui, la seule base juridique sur laquelle la direction fonde son plan de réorganisation est la « sauvegarde de la compétitivité ». Selon elle, ce plan est nécessaire pour que Latécoère soit compétitif quand les avionneurs lanceront de nouveaux programmes. Et pour que le groupe soit compétitif, pour qu’il ait la capacité d’investir, il doit générer de la trésorerie. Mais pour la CGT Latécoère, il n’y a pas besoin de ce plan de licenciement (PSE) pour que Latécoère génère du cash. En conséquence, la « sauvegarde de la compétitivité » n’est pas un motif solide. Ce PSE est irrégulier et illégal !
Un plan inacceptable
Pour la CGT, le groupe Latécoère est victime des fonds spéculatifs, Apollo et Monarch, qui ont racheté le groupe il y a un an à peine. La liquidation de Latécoère, industrie prospère, est inacceptable. On ne peut pas tolérer la dilapidation de ce morceau du patrimoine industriel. Consultés en réunion du Comité d’Entreprise le 11 octobre dernier, tous ses membres (CGT, FO, CGC) ont donné un avis négatif en votant contre l’ensemble du projet de réorganisation industrielle, économique et stratégique.
La filière aéronautique a devant elle au moins 10 ans de charge de travail. Airbus a livré récemment son 10 000e avion. Le 20 000e devrait sortir des chaines en 2030, dans 14 ans. Selon la Fédération des Travailleurs de la Métallurgie CGT, il y aurait pour plus de 1000 milliards d’euros dans le carnet de commandes !
Le géant Airbus porte une lourde part de responsabilité dans la situation que traversent aujourd’hui Latécoère et la plupart des entreprises sous-traitantes. Le désengagement de l’Etat dans cette industrie, aujourd’hui cotée en bourse, l’a soumise à l’appétit des actionnaires et à l’exigence de rentabilité à court terme, qui ne tolère pas des investissements massifs à long terme dans la recherche et le développement. Surtout, Airbus a exigé des sous-traitants une diminution drastique des coûts, ces dernières années. Cela a conduit à une réduction du nombre de fournisseurs. C’est une pression énorme sur les sociétés sous-traitantes, qui ont un taux de dépendance de 85 % à l’égard d’Airbus. Plus généralement, Airbus étrangle ses sous-traitants par sa recherche de rentabilité à tout prix : enchères inversées, délocalisations imposées et surtout baisse unilatérale des prix. Pourtant, 80 % de la valeur ajoutée du produit est générée par la sous-traitance.
En lutte contre la casse industrielle
Pour défendre les salariés contre ce plan de suppression de postes, la CGT Latécoère a créé un comité de défense dont le but est de faire échec au dépeçage du groupe. Le comité appelle toutes les bonnes volontés à le rejoindre. Il a pour vocation d’être au service des salariés, d’être un outil de rassemblement, de lutte et de mobilisation, afin de sauver Latécoère du pillage qui le guette, mais aussi pour être aux côtés des salariés de la filière aéronautique qui subissent le même sort. Plusieurs rassemblements ont eu lieu et sont encore prévus devant l’usine Latécoère, rue de Périole, à Toulouse.
La lutte qui s’est engagée contre les rapaces de la finance est primordiale. Les salariés de Latécoère ont montré qu’ils étaient capables de se battre quand, en décembre 2015, ils se sont mis en grève illimitée après que les membres du Conseil d’administration du groupe ont augmenté leurs propres rémunérations et octroyé des actions gratuites au management, pendant qu’ils refusaient d’accorder 50 euros d’augmentation au personnel. Comme le dit Florent Coste, délégué CGT, « si on ne lutte pas, on est foutu ! »
Le comité de défense de Latécoère a également lancé une pétition en ligne sur Change.org : Latécoère, 100 ans d’histoire : non aux licenciements, non au démantèlement. Par cette pétition, chaque salarié, citoyen, organisation peut exprimer son refus des licenciements et du démantèlement de Latécoère. De nombreux syndicats et des personnalités politiques de gauche sont venus apporter leur soutien lors des différents rassemblements. Le mouvement doit s’amplifier.
Les salariés de l’aéronautique, qu’ils soient chez Airbus ou chez des sous-traitants, participent tous à l’élaboration d’un même produit. Mais les intérêts des actionnaires entrent en contradiction avec l’avenir industriel de la filière. Non seulement ils soumettent les salariés à une concurrence de plus en plus féroce, mais en plus ils menacent leurs emplois, comme cela arrive déjà dans la sous-traitance en ingénierie. Les différents actionnaires choisissent de saboter la pérennité de l’outil industriel pour réaliser des profits à court terme. Pour Révolution, la revendication que le mouvement syndical doit mettre à l’ordre du jour est la renationalisation de l’industrie aéronautique, y compris les sous-traitants, pour placer l’ensemble sous le contrôle et la gestion démocratiques des salariés. Et cette revendication doit être mise en haut de l’agenda politique.