À l’heure où nous écrivons ces lignes (fin août), 8 des 23 femmes de chambre et gouvernantes de l’hôtel NH Collection, à Marseille, sont en grève depuis le 11 avril dernier, c’est-à-dire depuis 140 jours. Cet établissement – qui appartient à un groupe hôtelier espagnol – est un quatre étoiles situé dans le quartier haussmannien de la Joliette. Mais toutes les grévistes sont des salariées d’Elior Services, le prestataire auquel l’hôtel sous-traite le nettoyage.
Elles se battent pour de meilleures conditions de travail, une augmentation du salaire horaire brut de 30 centimes, une majoration de 50 % des heures le dimanche (au lieu de 20 %), un 13e mois et, enfin, la régularisation de toutes les heures supplémentaires qui n’ont pas été payées par Elior depuis qu’il a obtenu ce marché (décembre 2017).
Cadences infernales
Ces femmes ne se sont pas lancées à la légère dans une si longue grève. Elles se battent contre des conditions de travail très dures, les cadences infernales et une rémunération injuste.
Nombre d’entre elles se plaignent de fortes douleurs physiques liées à leur travail, mais aussi de pressions morales. L’une des grévistes explique : « J’ai 20 ans et j’ai déjà mal au dos à force de soulever ces énormes matelas des 4 étoiles. C’est un supplice, pour moi, de me plier et de me relever. » Elles sont obligées de ranger et nettoyer trois chambres par heure – alors que, selon la CGT, le rythme « normal » est de 25 à 30 minutes par chambre. A cela s’ajoutent les plannings qui changent d’une semaine sur l’autre, la remise en cause permanente des deux jours de congés hebdomadaires, mais aussi les chariots de ménage qui roulent mal, les restrictions sur les produits ménagers, les aspirateurs parfois défaillants…
Malgré les difficultés de la grève et la répression policière (deux femmes de chambre et deux syndicalistes de la CNT-SO – également juristes – ont été placées en garde à vue), les actions se multiplient pour faire entendre leurs revendications face à une direction impassible.
Une médiation préfectorale a été engagée, il y a deux mois, entre le groupe multinational Elior et les grévistes. Mais elle a échoué faute de propositions sérieuses de la part de l’employeur. Anna, du syndicat CNT-SO, explique que la direction d’Elior a proposé « 3 ou 4 centimes par heure en plus, 500 euros en une prime unique et des petites avancées qui n’étaient pas au cœur des revendications. Nous demandons la fin de la sous-traitance, que les salariées soient internalisées. »
Pourtant, il ne manque pas d’argent dans les caisses des messieurs-dames d’Elior, qui se gavent et légitiment l’esclavage moderne !
Une gréviste de 27 ans raconte : « Depuis l’arrivée d’Elior, nos conditions de travail sont une catastrophe. On n’a jamais touché plus de 1000 euros par mois. On nous parle mal, on doit nettoyer tant de chambres en si peu de temps que c’est impossible, on dépasse toujours, et les heures supplémentaires ne sont pas payées. »
Les précaires relèvent la tête
Ce combat est au cœur d’un mouvement social jalonné de multiples conflits dans la sous-traitance hôtelière, en France et ailleurs. Les grévistes marseillaises ont d’ailleurs fait la jonction avec des équipes syndicales en lutte, notamment de l’hôtel Ibis Batignolles (Paris 17e). Des délégations des deux mouvements se sont rencontrées à Toulouse.
« Le travail des femmes de chambre et des équipières est le cœur de métier de l’hôtellerie et remplit les caisses du groupe », souligne une gréviste. Toutes accusent le groupe Elior de pratiquer le dumping social. Partout en Europe, la précarisation du travail avance et la sous-traitance est massivement utilisée pour fragmenter les collectifs de travail et casser des droits des travailleurs. « Un phénomène que l’on retrouve utilisé par les mêmes grands opérateurs transnationaux », précise la CNT-SO, qui défend la nécessité de lier les initiatives locales et de faire front commun.
Cette lutte montre, une fois de plus, la disponibilité des travailleurs les plus précaires à défendre leurs droits à travers l’arme de la grève, mais surtout la radicalité et la ténacité des travailleuses dès lors qu’elles se mobilisent. Et il y en aura de plus en plus dans la période à venir.
Une fois de plus, un mouvement de grève très radical se développe dans un cadre syndical et de luttes fragmenté au niveau national. Le seul moyen d’unifier les luttes et leur donner une perspective de victoire à la hauteur des attentes des salariés, c’est la préparation d’une grève générale reconductible. La force et l’exemple des femmes de chambre de Marseille nous donnent envie de continuer à lutter !