A Alfortville, dans le Val-de-Marne, des dizaines de tentes longent les grilles de l’agence Chronopost. Elles sont le signe visible et permanent d’un mouvement de grèves de travailleurs sans-papiers exploités par cette entreprise. La grève a commencé le 11 juin dernier et mobilise des dizaines de sans-papiers. Ils réclament leur embauche en CDI et leur régularisation.
Le 18 septembre, nous sommes allés leur rendre visite. Sissoko, Mohamed et Fofana nous ont chaleureusement accueillis. A l’instar de leurs camarades de lutte, ils sont sans-papiers, ce dont Chronopost abuse effrontément. Pas de protection sociale et des boîtes d’intérim véreuses qui « placent » les sans-papiers : une aubaine pour la direction de Chronopost, qui profite ainsi d’une main d’œuvre archiprécaire.
Hypocrisie
A Chronopost, les journées peuvent commencer à 3 h du matin, nous explique Mohamed. Comme les travailleurs habitent parfois de l’autre côté de la région parisienne, ils doivent prendre des bus nocturnes. En manquer un revient à attendre une heure de plus, arriver en retard et risquer d’être renvoyé chez soi.
Une fois arrivés à Chronopost, Fofana nous explique que les sans-papiers ne peuvent pas franchir la grille. Il leur faut attendre – parfois une demi-heure, parfois une heure entière, qu’il vente, pleuve ou neige. En effet, pour entrer, il faut un badge que les employeurs ne donnent pas aux sans-papiers. Ils les font travailler sous « alias ». Leur donner un badge, ce serait reconnaître à la fois leurs véritables identités et le fait qu’ils travaillent bien ici dans des conditions inhumaines. Or la direction de Chronopost veut bien les traiter comme des esclaves, mais ne veut pas l’admettre officiellement.
Elle sait que ces salariés sans-papiers n’ont pas le choix. Elle profite donc jusqu’à la dernière goutte de leur sueur. Après tout, s’ils refusent de venir, l’entreprise sait pertinemment qu’elle pourra en exploiter d’autres.
La cadence des postiers sans-papiers est infernale. Ils effectuent en trois heures ce que leurs collègues régularisés réalisent en quatre. Ils s’abîment le dos sur des charges trop lourdes et réalisent des heures supplémentaires non payées. Leurs droits sont piétinés. Par exemple, au-delà de dix-huit mois de travail, ils devraient légalement obtenir un CDI. Et donc, nous explique Sissoko, l’entreprise ne les rappelle plus à partir du quinzième ou du seizième mois. Après cette interruption forcée de travail, Chronopost leur propose de repartir de zéro – et l’exploitation reprend de plus belle.
Portes closes
Le parcours de ces travailleurs sans-papiers, pour défendre leurs droits, s’est heurté à de nombreuses portes closes. Et d’abord celle de Chronopost, qui continue de nier les pratiques frauduleuses auxquelles elle s’adonne. L’entreprise a bien fait comprendre aux grévistes qu’elle ne reconnaîtrait pas leurs emplois. Elle se servira certainement des « alias » pour affirmer devant les Prud’hommes que les manifestants n’ont pas travaillé dans ces conditions répréhensibles.
Derichebourg, la maison mère de Mission Intérim qui a livré les travailleurs aux abus de Chronopost, fait également la sourde oreille. Enfin, les grévistes ont envoyé à l’inspection du travail un dossier constitué de vidéos et de photos, qui attestent de la réalité brutale de leurs conditions de travail. Mais à ce jour, et depuis le mois d’août, cette démarche est restée sans réponse.
Les revendications de ces travailleurs sont claires et légitimes : régularisation et titularisation. Ils méritent le soutien de l’ensemble du mouvement ouvrier. Leur lutte est emblématique du traitement que le capitalisme réserve aux travailleurs immigrés. D’un côté, les propagandistes de la bourgeoisie s’en prennent aux immigrés, les accable de toutes les tares, dans le but de diviser notre classe et de faire diversion. Mais d’un autre côté, les patrons exploitent brutalement cette main d’œuvre pour réaliser davantage de profits. Au-delà de ses revendications immédiates, c’est donc tout ce système inhumain et hypocrite que leur grève dénonce.