Le 10 décembre, les « futurs » médecins ont commencé une grève illimitée pour sauver l’hôpital public et exiger de meilleures conditions de travail et de formation. Des taux de grévistes inédits ont été atteints à Marseille, Brest, Paris ou encore Nice. Le 10 décembre, ils étaient près de 16 000 (environ 60 % des effectifs) à tenir les piquets de grève, partout en France. Dans le sillon du mouvement des urgentistes, cette mobilisation des internes marque un tournant dans la lutte contre les politiques d’austérité qui frappent le secteur de la santé.
Une grève « dure »
Décidée en Assemblée Générale, la grève illimitée des internes est dite « dure » parce qu’elle impacte la permanence des soins et perturbe la direction hospitalière. En effet, l’activité de soin des internes est essentielle au fonctionnement des CHU (Centre Hospitalo-Universitaire). Le droit de grève est donc utilisé de façon ciblée et stratégique : surtout les nuits, les week-ends ou lors de grandes journées de mobilisations avec l’ensemble des soignants (comme le 17 décembre dernier).
En réalité, la permanence des soins est garantie a minima par des assignations ou des réquisitions, selon un ordre bien défini : en premier lieu les médecins séniors, puis les internes non grévistes, et en dernier recours les internes grévistes. Pour être valable, toute assignation doit être remise en main propre par le directeur d’établissement ou reçue par lettre recommandée, avec accusé de réception.
Cependant, une pression scandaleuse pèse sur les épaules des internes. L’ISNI, le principal syndicat national des internes, a révélé plus d’une centaine d’assignations abusives depuis le début du mouvement. Par exemple, un chef de service a appelé un interne gréviste, un jour de mobilisation, pour exiger de lui qu’il prenne sa garde à l’hôpital le soir même. A la Pitié-Salpêtrière, des internes ont été sommés d’arrêter leur grève par un simple coup de fil ou par mail. Ces démarches illégales visent clairement à décourager les internes, voire à leur faire peur.
Les revendications
Les revendications des internes se déclinent sur deux axes. Premièrement, ils ont des revendications catégorielles ou locales, qui touchent au statut de l’interne, à sa formation, au respect du repos de garde ou encore au décompte du temps de travail. Depuis des années, les politiques d’austérité impactent négativement les conditions de vie des internes (formation, rémunération, etc.), tout en mettant en danger les patients, qui sont moins bien soignés.
Par exemple, la rémunération actuelle d’un interne atteint à peine 7 euros de l’heure, en moyenne, avec un temps de travail qui monte à plus de 55 heures par semaine. Les grévistes réclament donc des conditions plus dignes, une revalorisation du salaire à hauteur du SMIC, ainsi que le paiement des heures supplémentaires (au-delà de 48 heures).
Deuxièmement, les internes formulent des revendications plus générales. Ils s’opposent à toutes les attaques récentes contre la santé publique (Sécurité sociale, hôpitaux, etc.). Ils reprennent largement les revendications des collectifs de soignants en lutte (Collectif Inter-Urgences, Collectif Inter-Hôpitaux), de l’AMUF (Association des Médecins Urgentistes de France) et de l’intersyndicale (Sud, CGT, CFDT et UNSA) : une revalorisation salariale, des réouvertures de lits et l’augmentation des effectifs.
Comme l’explique Léonard Corti, le secrétaire général de l’ISNI : « sans un investissement massif des pouvoirs publics dans l’hôpital, la situation des internes va de facto se dégrader […] Les internes le savent, c’est pourquoi ils sont très attachés au service public, et tolèrent très mal qu’on arrête d’investir dedans ».
Perspectives
La ministre de la Santé, Agnès Buzin, n’a donné aucune réponse aux revendications des internes. L’ISNI n’a même pas été invitée à s’assoir « à la table des négociations ». Il en était de même lors de la réforme de la formation des internes (réforme du troisième cycle), il y a deux ans. Et la détermination du gouvernement Macron à servir les patrons de la FHP (Fédération de l’Hospitalisation Privée), en privatisant le secteur de la santé, ne peut qu’ajouter de l’huile sur le feu.
Tous les manifestants mobilisés, depuis le 5 décembre, soutiennent les revendications pour un puissant service public de la santé. Les sondages soulignent que la grande majorité de la population soutient les soignants et les internes grévistes. A ce titre, le secteur de la santé (y compris les salariés des cliniques privées) aura un rôle déterminant à jouer dans la lutte générale contre les politiques d’austérité du gouvernement Macron.
Les internes sont appelés à descendre massivement dans la rue le 20 janvier prochain. Comme d’autres secteurs du salariat engagés dans des grèves reconductibles, ils seront en première ligne contre le gouvernement des riches.