Interview de Jean-Marc Lacoste, président d'honneur de l’Union des jeunes avocats de Toulouse.
Pourquoi les avocats se mobilisent-ils contre la réforme des retraites ?
Jean-Marc Lacoste : Actuellement, les avocats ont une caisse de retraite autonome qui ne coûte rien à personne. Elle est même solidaire : elle reverse 100 millions d’euros aux autres régimes, chaque année. Elle garantit aussi à tous les avocats une retraite de base de 1400 euros, indépendamment de leur carrière.
Avec la réforme, c’en est fini de ce modèle. Selon nos simulations, le point de démarrage de nos pensions tomberait, au mieux, à 1000 euros. Par ailleurs, la réforme va conduire à un doublement de nos cotisations, de 14 % à 28 %. De petits cabinets d’avocats devront fermer, car ils ne pourront plus suivre économiquement.
Le gouvernement a annoncé que notre caisse allait rester autonome, mais l’augmentation de cotisation est toujours là. En réalité, notre caisse autonome ne va subsister que pour assurer, dans notre profession, une solidarité interne minimale au rabais. Par exemple, nous avons une ligne de cotisation qui est destinée aux avocats rencontrant des difficultés (maladie, etc.). C’est très accessoire, aujourd’hui, mais demain notre caisse autonome se réduira à cela. Pour le reste, elle sera bien fondue dans le nouveau régime universel.
Plus largement, je pense que cette réforme ne va profiter qu’à la finance. Le financement du système de retraites va reposer sur les revenus les plus modestes. Au-delà de l’impact sur notre profession, de nombreux avocats s’opposent à l’esprit de cette réforme dans son ensemble.
Les avocates seront-elles particulièrement touchées par la réforme ?
Oui. Comme profession libérale, nous n’avons aucune aide quand on s’arrête de travailler. Et pour les congés maternité, l’indemnité est très insuffisante.
Dans un certain nombre de gros barreaux, comme à Toulouse, on cotise tous (hommes et femmes) pour que les femmes aient à peu près les mêmes droits qu’une salariée, après un accouchement. Mais c’est loin d’être le cas partout. Alors, dans les structures modestes, les avocates qui veulent avoir des enfants risquent de devoir mettre la clef sous la porte, du fait de la hausse des cotisations. Les femmes seront les plus touchées par cette hausse.
Et bien sûr les avocates, comme les femmes d’autres professions, ont des revenus souvent inférieurs aux hommes. La réforme aggravera cette inégalité.
Quelles seront les conséquences de cette réforme pour les usagers ?
Dans la mesure où cette réforme va entraîner la fermeture de petites structures, on risque de se retrouver avec des déserts d’accès au droit, comme on a déjà des déserts médicaux. Il sera encore plus difficile de trouver des avocats pour être conseillé et défendu.
L’accès au droit est majoritairement assuré par les petites structures, qui font de l’aide juridictionnelle. Le coût de l’aide juridictionnelle va rester le même, mais les cotisations vont augmenter de 14 %. Or l’aide juridictionnelle n’est déjà pas très rémunératrice, donc de nombreux cabinets en feront moins qu’avant, voire n’en feront plus du tout. L’accès au droit des plus démunis en sera fortement impacté.
Ce qu’on défend, c’est notre indépendance économique. Elle est indispensable pour qu’un avocat exerce ses fonctions correctement et fasse de l’accès au droit l’une de ses priorités. Sinon, il ne va courir qu’après les dossiers rémunérateurs.
De manière générale, et indépendamment de cette réforme, on assiste à une paupérisation de la justice. Elle n’a plus les moyens de fonctionner normalement. Notre combat recoupe également celui pour une justice digne et pour des investissements dans le service public de la justice. La réforme de la justice de l’année dernière est une catastrophe. La situation de la justice est très préoccupante pour le justiciable. Prenons l’exemple du Conseil des prud’hommes : le formalisme de son fonctionnement a découragé bien des salariés de le saisir. Le système est tellement complexe que cela dissuade les gens d’avoir recours au juge et de faire valoir leurs droits.
Un mot de conclusion ?
Je suis un avocat du judiciaire : je plaide, je prends des dossiers. Je ne suis pas un avocat du juridique : je ne fais pas de conseil aux entreprises, par exemple. Je vois chaque jour l’état de misère du service public de la Justice. Ma première revendication, c’est qu’on nous permette d’exercer notre profession dans un système judiciaire doté des moyens adéquats pour rendre la justice.
Notre boulot, c’est de défendre les gens. Pour qu’un juge travaille correctement, il faut qu’un avocat ait pu travailler son dossier correctement, que le greffier ait pu gérer correctement la procédure, que le magistrat ait eu le temps d’étudier le dossier et qu’il dispose des moyens nécessaires pour le faire.
Aujourd’hui, on est à la limite de ne plus pouvoir rendre correctement la justice. Donc, plus largement, comme pour le service hospitalier, comme pour d’autres services publics, il est impératif de prendre conscience de la nécessité d’investir financièrement et humainement dans le système judiciaire.