Les conditions de travail à la Bibliothèque Nationale de France (BNF) se sont largement dégradées ces dernières décennies. Comme dans les autres services publics, la précarisation des agents et la diminution des effectifs (entre autres) font peser une forte pression sur les personnels. Il y a deux ans, un employé s’était même suicidé sur son lieu de travail.
Les employés de la BNF sont mobilisés depuis le 2 mai pour défendre leurs conditions de travail et, depuis la mi-mai, ils organisent des journées de grève régulières chaque semaine. Révolution a interviewé Christine Patureau, secrétaire générale adjointe de la CGT BNF.
Peux-tu expliquer brièvement quelles sont vos revendications ?
Nous sommes mobilisés, avec la FSU et SUD, depuis le 2 mai, lorsque la direction de la BNF a mis en place toute une série de mesures qui dégradent encore un peu plus les conditions de travail du personnel. Nous avons plusieurs revendications, mais on se concentre sur trois principales : la première concerne la consultation des ouvrages patrimoniaux dans les salles du rez-de-jardin, dont le fonctionnement a été changé le mois dernier. Auparavant, un chercheur pouvait commander l’ouvrage qui l’intéresse en consultant sur place le catalogue général et l’obtenir sous 40 minutes, il faut désormais s’y prendre bien plus longtemps en avance, et réserver les ouvrages avant de venir. Avec ce nouveau système, les magasiniers vont devoir travailler beaucoup plus sur certains créneaux en particulier, alors qu’auparavant le travail était mieux réparti sur toute la journée. Le prétexte avancé par la direction pour ce changement est que cela ferait économiser du travail en interne aux magasiniers, mais en réalité, c’est surtout une conséquence du manque d’effectifs, notamment parmi les magasiniers.
La deuxième revendication concerne justement les effectifs. La BNF a vécu une sorte de « purge », qui a diminué drastiquement les effectifs, notamment sur des emplois de magasinier. Ceux-ci sont la véritable cheville ouvrière de la bibliothèque : ce sont des agents de catégorie C qui travaillent dans les magasins, des locaux qui sont souvent sans fenêtres parce que les ouvrages patrimoniaux doivent être conservés à l’abri de la lumière et de l’humidité. D’autres corps subissent aussi des baisses d’effectifs, mais ce sont les magasiniers qui ont pris le plus cher, et ce n’est pas fini. Dans la prochaine période, 70 à 80 agents en CDD risquent par exemple de ne pas être renouvelés.
La troisième revendication principale concerne le statut des agents contractuels. En 2016, on avait bataillé pour qu’ils puissent être recrutés avec des CDI, au lieu de CDD d’un an, renouvelable une seule fois. C’était une amélioration non négligeable, même s’il s’agissait toujours de contrats de seulement 90 ou 100 heures par mois. Mais maintenant la direction fait marche arrière et revient à des CDD pour l’embauche des contractuels.
Malgré notre mobilisation, la direction campe sur ses positions. Nous allons donc continuer, non seulement parce que ces revendications sont trop importantes pour qu’on renonce, mais aussi parce que la mobilisation ne faiblit pas. Nos assemblées générales rassemblent toujours près d’une centaine d’agents, et ça donne du poids pour voter les jours de grève. C’est bien de voir qu’il y a autant de participation, malgré la fréquence importante des grèves.
Peux-tu nous parler aussi de votre mobilisation sur le site Richelieu (dans le deuxième arrondissement de Paris) ?
Richelieu est un site très ancien qui vient tout juste d’être rénové. L’ouverture au public est prévue pour septembre, mais, là aussi, il y a des problèmes : la direction veut augmenter les horaires d’ouverture de la bibliothèque, en ouvrant même le dimanche par exemple, et créer en plus une nouvelle salle de lecture, mais sans augmenter les effectifs sur place. C’est complètement impossible ! Notre mobilisation face à cette réouverture « pharaonique » a pu obtenir de petites satisfactions : la fermeture pendant les jours fériés et l’embauche de nouveaux agents, par exemple, même si ce sera en très petit nombre et uniquement sous un statut d’agent contractuel. Mais ces concessions ne suffiront pas à améliorer les conditions de travail des effectifs.
Vous êtes très soutenus par les usagers de la bibliothèque. Comment est-ce que le public pourrait vous aider ?
Oui, ce qui est super dans cette mobilisation, c’est que les usagers se sont très vite mobilisés contre le projet de la direction. Ils sont très actifs : beaucoup viennent à nos assemblées générales, prennent la parole, mettent en avant leurs propres revendications et certains ont même écrit des tribunes dans la presse, ce qui donne un écho médiatique à la mobilisation des salariés.
Ce que tout le monde peut faire, c’est aussi nous soutenir financièrement : on a mis en ligne une caisse de solidarité pour les grévistes. On en a besoin parce qu’on en est au 15e jour de grève, et ce n’est pas fini.
Est-ce que vous arrivez à rallier le soutien d’autres associations et peut-être aussi d’autres bibliothèques ?
Oui, nous avons le soutien des sociétés savantes, qui écrivent des communiqués et qui relaient notre mobilisation. Je pense notamment à l’Association des Bibliothécaires de France et aux travailleurs d’autres bibliothèques, dont la bibliothèque universitaire de Paris 8.
Lors de nos assemblées générales, on invite nos collègues externes à la bibliothèque à prendre la parole. Pour le moment, on n’a pas pensé à des actions communes, puisque nos revendications sont peut-être un peu trop spécifiques. Mais elles se rejoignent parfois, notamment pour tout ce qui concerne la revendication de l’augmentation des effectifs.