Après de nombreuses mobilisations ces dernières années, les hôpitaux sont à nouveau traversés par un vent de colère. Les syndicats des internes [1] ont appelé à la grève depuis le 14 octobre, suite à l’annonce de la création d’une quatrième année d’internat obligatoire en médecine générale. Cette année de « formation » sur le terrain devra se faire prioritairement dans une zone dite de « désert médical ».
Cette annonce s’accompagnait de toute une série d’articles et d’amendements intégrés au projet de loi de finances 2023, dont une interdiction de l’« intérim médical » pour les jeunes diplômés et des restrictions d’installation pour les nouveaux médecins.
Problème réel, fausses solutions
Le gouvernement présente ces mesures comme une façon de régler le problème des déserts médicaux, tout en améliorant la qualité de la formation des internes. En réalité, cette réforme va pénaliser ces derniers – sans régler le moins du monde la crise de l’hôpital public et le problème de déserts médicaux.
Faute de personnels d’encadrement en nombre suffisant, la quatrième année d’internat s’effectuerait – la plupart du temps – sans contrôle effectif d’un médecin référent. Celui-ci pourrait parfois exercer à plusieurs dizaines de kilomètres de l’interne qu’il est supposé contrôler. Cette supervision est pourtant indispensable pour que les internes deviennent progressivement autonomes. Elle permet aussi de réduire les risques d’erreurs médicales.
En ne donnant aucun véritable contenu pédagogique à cette quatrième année d’internat obligatoire, le gouvernement révèle que cette mesure n’a aucun rapport avec la formation des internes. Elle vise uniquement à fournir une main d’œuvre contrainte et exploitable à merci. Avec 56 heures de travail par semaine, en moyenne, pour un salaire inférieur au Smic horaire, les internes sont surexploités. 67 % d’entre eux montrent des signes de burn out. Chez les internes, le taux de suicide est deux à trois fois supérieur à la moyenne nationale.
Par ailleurs, en interdisant l’intérim médical aux jeunes médecins, le gouvernement pénalisera surtout les hôpitaux et cabinets médicaux situés précisément dans les déserts médicaux. En effet, faute de budgets suffisants pour financer des postes pérennes, ces hôpitaux ont souvent recours à des médecins intérimaires pour faire tourner leurs services. La mesure d’interdiction ne règlera pas ce problème – mais l’aggravera, au contraire, et provoquera la fermeture de nouveaux services hospitaliers.
Le 14 octobre, des rassemblements ont eu lieu dans de nombreuses villes, dont Paris et Lyon. La grève semble avoir été assez suivie. Dans la foulée, le gouvernement a retiré ses projets de restrictions à l’installation, mais a maintenu la quatrième année d’internat et l’interdiction de l’intérim pour les jeunes diplômés. Les syndicats d’internes ont donc annoncé la prolongation de la grève jusqu’à la rentrée des internes, le 2 novembre. Des appels ont aussi été lancés par des collectifs d’internes pour prolonger le mouvement au-delà de cette date et l’étendre à l’ensemble des travailleurs des hôpitaux. Une nouvelle manifestation doit se tenir à Paris le 17 novembre.
Pénuries
Selon une idée souvent véhiculée par les médias, seules les campagnes profondes seraient touchées par un défaut d’accès aux soins médicaux. En réalité, 87 % du territoire national est aujourd’hui considéré comme « en tension », c’est-à-dire comme n’ayant pas une couverture médicale suffisante. La zone la plus touchée est d’ailleurs la petite couronne de Paris !
La source de ce problème n’est pas à chercher dans la mauvaise répartition des médecins, mais plutôt dans la pénurie de personnels médicaux et de ressources. Cela se manifeste très clairement dans les fermetures en série de services hospitaliers.
Le problème est si profond qu’il ne pourra pas être réglé par les diverses restrictions d’installation. Certaines professions médicales – comme les sages-femmes ou les dentistes – sont déjà soumises, depuis longtemps, à des restrictions d’installation, sans que cela n’ait eu d’effet notable.
Enfin, un médecin, même très bien formé, ne peut rien faire seul : il a besoin d’un centre d’imagerie médicale, d’un laboratoire d’analyse, d’une pharmacie de proximité, etc. En l’absence de telles ressources, le médecin est souvent contraint d’orienter ses patients vers les hôpitaux des grandes villes, dès qu’un suivi plus poussé est nécessaire.
Pour résoudre la crise du système hospitalier, il faudra des investissements massifs dans les services publics et des augmentations de salaire, de façon à garantir un cadre de vie décent pour les professionnels et leurs patients. Il faudra aussi former et recruter en grand nombre des personnels soignants, ainsi que des agents paramédicaux et administratifs, pour éviter que les internes ne servent de bouche-trous aux services hospitaliers. Enfin, il faudra créer un véritable monopole public de la médecine, qui soit placé sous le contrôle des travailleurs de la santé et de représentants des usagers. Seules ces mesures permettront de fournir une couverture médicale suffisante pour l’ensemble de la population.
[1] Les internes sont des étudiants qui, après leur sixième année de médecine, exercent à l’hôpital (le plus souvent) sous la responsabilité d’un médecin sénior.