Les conducteurs de bus de Keolis, à Montesson (Yvelines), ont récemment fait grève pour obtenir de meilleures conditions de travail et le rétablissement des primes d’intéressement qui leur ont été supprimées. La grève a commencé le 12 septembre pour finir cinq semaines plus tard, le 19 octobre. Une large majorité de la centaine de conducteurs de bus travaillant sur le site a participé au mouvement, qui s’est achevé sur une demi-victoire : les primes supprimées n’ont pas été rétablies, mais les grévistes ont obtenu des améliorations notables dans l’organisation de leurs journées de travail. Sacko et Arsène, deux conducteurs, reviennent avec nous sur cette lutte.
Est-ce que vous pouvez nous présenter vos conditions de travail à Keolis ?
Arsène : Je suis chauffeur de bus à Keolis Montesson. Nous sommes plus de 100 salariés. Chaque jour, nous avons un planning bien défini. Nous recevons notre fiche de service, donné par notre « assureur » (manager) et on nous explique alors quel service nous allons faire : « tu vas faire le service du bus A, qui fait la liaison avec la gare de Houilles », par exemple. Nous assurons les transports de bus de la ville de Chatou, du Vésinet, de Bougival, du Pecq, et de Sartrouville.
À partir de quand vos conditions de travail se sont détériorées ?
Arsène : Lorsque Keolis a obtenu le marché des transports de bus des Yvelines, ils ont réuni deux dépôts : celui d’Argenteuil, et le nôtre, celui de Montesson. Au départ, le dépôt appartenait à Veolia, puis Keolis a repris l’activité. Ils ont rallongé nos amplitudes horaires, qui atteignent parfois 13 heures contre 11 auparavant. Nous travaillons bien souvent 6 jours sur 7. Ils ont repris le dépôt avec le même matériel et n’ont absolument pas investi pour moderniser les bus. Ces derniers ne sont pas climatisés et les sièges ne sont pas adaptés à la conduite…
Sacko : Dans le même temps, la direction a aussi diminué les temps de parcours sur les lignes (pour augmenter la productivité), si bien qu’on retrouve des salariés très souvent en arrêt maladie à cause du stress et du mal de dos.
Arsène : Malgré cela, nous avons tout fait pour maintenir le bon fonctionnement du service pour nos usagers. Même lors de la crise du COVID, c’est nous qui avons transporté les malades dans les hôpitaux, alors que nous avions des protections largement insuffisantes ! Mais la direction de Keolis n’a aucune reconnaissance vis-à-vis des salariés qui font fonctionner l’entreprise.
Quand est-ce que votre lutte a commencé ?
Sacko : Nous avons décidé de faire grève, car on ne s’y retrouvait plus avec la hausse des prix et l’inflation. Nous n’avons pas reçu de prime annuelle, et comme mon collègue l’a dit, les conditions de travail se sont détériorées. Quand ils ont annoncé que nos primes (de 800 euros) allaient être supprimées, alors que les dirigeants, eux, conservent leur prime à 4 chiffres, nous nous sommes mis en grève.
Comment votre lutte s’est-elle déroulée ?
Arsène : On a fait d’abord deux jours de grève. La direction n’a pas écouté nos revendications, et nous a déclaré que notre lutte ne tiendrait pas longtemps… On est reparti en grève, et cela pendant plus d’un mois.
Sacko : Pendant plus d’un mois, nous avons tenu le piquet de grève, qui commençait dès 4h30 du matin devant le dépôt de bus, et qui se poursuivait durant la journée. Des militants, des syndicalistes, mais aussi des chauffeurs poids lourds ou des livreurs sont venus nous soutenir.
La grève était largement majoritaire, 85 % des chauffeurs étaient en grève. C’était notre première grève sur le site, donc nous avons appris à nous organiser. Nous avons constitué une caisse de grève. On a également mené des actions dans les mairies concernées par la grève, et auprès des usagers, qui nous ont soutenus. Nous nous sommes aussi rendus au siège du groupe à la Défense, pour faire pression sur la direction.
Comment la direction a réagi par rapport à votre détermination ?
Sacko : Principalement par la répression. Le directeur a engagé un huissier pour nous dissuader de faire un piquet de grève devant le dépôt. La direction a tout fait pour nous provoquer, et ainsi monter un dossier contre les grévistes. Ensuite, ils ont envoyé des assignations à huit d’entre nous. Le 12 octobre, nous avons été convoqués au tribunal de Versailles, qui a donné raison à Keolis… On sait de quel côté est le droit !
Qu’est-ce que vous retenez de cette lutte ?
Arsène : Cela nous a permis de connaître d’autres luttes, comme celle des travailleurs de la SNCF et de la RATP, des chauffeurs de bus de Charlebourg, Malakoff, ou encore de Montrouge, qui sont venus nous rencontrer.
Sacko : D’habitude, on a notre petit quotidien, on est chacun dans son coin. C’était notre première grève, et elle nous a permis d’envisager autre chose que le quotidien de notre travail. Sur les piquets de grève, nous avons discuté de plein de questions : la lutte pour l’inflation, la question du conflit palestinien, le problème de la répression… Nous avons pris conscience de notre force collective, en tant que salariés. Cela m’a donné envie de me battre pour un monde meilleur.