À l'heure où nous écrivons ces lignes, le rectorat de Créteil compte 13% de grévistes dans le premier degré et 9% dans le second degré pour la journée de grève du 22 avril. Les syndicats revendiquent un taux de 30% de grévistes. Globalement, la dernière journée marque un reflux du mouvement, ce qui est logique, après deux mois de lutte sans perspective claire donnée par les directions syndicales.
Depuis le 26 février, les établissements, principalement de la Seine-Saint-Denis (93), luttent en défense de l’école publique et contre les attaques répétées du gouvernement Macron-Attal : personnels, mais aussi élèves et parents, se sont mobilisés dans des actions communes.
Les parents d’élèves se mobilisent aussi
Dans plusieurs établissements du 93, la grève était majoritaire avec plus de 70% de participation sur certaines journées. Avec cette dynamique, le mouvement de grève a été reconduit plusieurs fois, après discussion en Assemblée générale des personnels.
La solidarité des parents d'élèves n'a pas tardé à se manifester, et les journées de grèves et de manifestations se sont alternées avec les journées dites "collèges déserts". L'initiative, lancée par la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) en Seine-Saint-Denis, à Paris, à Bordeaux et dans d’autres villes, avait pour objectif d'inciter les parents à ne pas envoyer leurs enfants au collège en soutien de la mobilisation des enseignants.
Un plan d’urgence face à des conditions de travail révoltantes
« Évidemment qu’on n’a pas de plafond », dénoncent les lycéens de Blaise-Cendrars de Sevran dans une vidéo publiée le 6 mars sur TikTok. Les élèves et les enseignants de cet établissement mettent en lumière la précarité de leurs conditions d'étude et de travail : des murs envahis de moisissures, des toilettes sans plafond ni savon, des classes dépourvues de bureaux, des chaises cassées ou manquantes. Cette vidéo qui a dépassé rapidement les deux millions de vues souligne l'élan de soutien que suscite la lutte des écoles du 93.
De leur côté, les directions syndicales réclament un plan de soutien : création de 5 200 postes d'enseignants, 2 000 postes pour les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), 175 postes de Conseillers Principaux d'Éducation (CPE) et 650 postes d'assistants d'éducation, ainsi que de nouveaux recrutements pour les infirmières scolaires et les assistants sociaux. L'ensemble de ces mesures représente un investissement financier total évalué à 358 millions d'euros.
Inégalités exacerbées par le projet de réforme
En réponse à la mobilisation, le gouvernement n’a rien trouvé de mieux qu’une nouvelle contre-réforme. Cette dernière va accentuer les inégalités sur tout le territoire - particulièrement dans les territoires les plus pauvres, comme la Seine-Saint-Denis.
Ce projet de contre-réforme dit “choc des savoirs” prévoit la mise en place de “groupes de niveau”. Les élèves d’une même classe suivraient la majorité des cours ensemble, mais seraient séparés par “groupes de niveau” pour les cours de français et de mathématiques, qui représentent un tiers de leur enseignement. Ainsi, pour ces heures, le principal critère de composition des groupes serait celui de "l’homogénéité".
Même d’un point de vue pédagogique, la constitution de groupes homogènes est très contestable. Cela va à l'encontre de la majorité des études et des recherches menées dans le domaine de l'éducation au cours des 30 dernières années, qui insistent précisément sur la nécessité d’un environnement hétérogène pour favoriser les apprentissages. Surtout, ces mesures ne règlent en rien le vrai problème de l’éducation nationale, celui du manque d’enseignants et des classes surchargées.
Les classes françaises sont parmi les plus surchargées d'Europe, en particulier au collège, avec une moyenne de 25,6 élèves par classe - là où la moyenne européenne est de 20.9. Dans de nombreux cas, elles dépassent 30 élèves. Dans ces conditions, la soi-disant solution miracle de la “différenciation pédagogique”, tant vantée par les différents ministres qui se sont succédé, est tout simplement irréalisable. Comment serait-il possible en effet que les enseignants, déjà surchargés, puissent dispenser des enseignements qualitatifs différenciés selon les “niveaux”, sans même parler d'être physiquement présents aux côtés de ces multiples groupes ? Le Ministère ne donne pas de réponse claire et, au nom de la “souplesse”, laisse les établissements scolaires gérer comme ils le peuvent l’application pratique de cette réforme.
Le “choc des savoirs” a en réalité un double but: il s’agit d’une part d’une opération de propagande réactionnaire sur le thème de “l’école, c’était mieux avant”; et d'autre part, en proposant une soi-disant “méthode miracle” qui ne coûte presque rien à l’Etat, il permet de justifier les coupes profondes qui se sont enchaînées dans les budgets de l’éducation nationale ces dernières années - et même d’en préparer d’autres.
Le mouvement a besoin d’une stratégie et d’un programme offensif
La Seine-Saint-Denis a une longue tradition de luttes en défense de l'école publique. Elle a mené une lutte exemplaire en 1998, qui a permis le recrutement de 3000 personnes. Mais aujourd’hui, la situation économique et politique est bien différente : les comptes publics sont dans le rouge et la classe dirigeante française doit absolument réaliser des économies pour réduire ses déficits. Le gouvernement est donc déterminé à mettre en place ces contre-réformes.
Dans ce contexte, seule une grève générale et reconductible dans l’ensemble du pays pouvait faire reculer le gouvernement : les “journées d'action”, même massives, ne vont pas faire plier Macron. Or, cette vérité n’est jamais expliquée par les dirigeants syndicaux. Pire, ces derniers nourrissent l’illusion que la lutte des enseignants peut gagner dans le seul département de la Seine-Saint-Denis et dans le seul secteur de l'Éducation nationale… C'est impossible !
Nous l'avons déjà écrit et nous l'avons répété dans les assemblées auxquelles nous avons participé durant la mobilisation : 1) un plan d'urgence pour sauver les écoles publiques est nécessaire non seulement dans le 93, mais dans tous les départements. 2) La défense de l'éducation nationale est une lutte qui s'inscrit dans un combat plus large contre le gouvernement Macron-Attal. Ce combat doit être mené par l'ensemble du mouvement ouvrier.
Les coupes budgétaires du gouvernement, les attaques contre les conditions de vie et de travail des jeunes et des salariés vont se poursuivre. La volonté de lutter est là, mais elle doit être organisée et coordonnée au niveau national pour porter un coup décisif au patronat et à son gouvernement. C'est pourquoi le mot d'ordre de la grève générale reconductible reste le seul valable !