La RATP a entamé la première phase de sa privatisation : dès le 1er janvier 2025, les 15 000 chauffeurs de bus, mainteneurs et machinistes passeront sous l’égide d’une nouvelle filiale de la société, nommée « Cap Île-de-France ». Les réseaux de tramway, de métro et de RER y seront intégrés progressivement.
Nous avons interviewé Ahmed Berrahal, délégué CGT du dépôt de Flandre à Pantin (93). Il explique les conséquences de la privatisation de la RATP sur les travailleurs et les usagers. Il soutient la nécessité d’une grève reconductible dans un nombre croissant de secteurs de l’économie pour lutter contre Macron et sa politique. Enfin, Il pointe la responsabilité de la direction confédérale de la CGT dans l’organisation d’un tel mouvement.
Quelles sont les conséquences de l’ouverture du marché à la concurrence sur les conditions de travail des chauffeurs de bus ?
L’ouverture du réseau de bus en Île-de-France à la concurrence, à partir du 1er janvier 2025, entraîne des conséquences directes sur les conditions de travail de tous les salariés de l’entreprise. Dans notre nouveau contrat, on nous a déjà supprimé six jours de repos. C’est simple : la RATP, qui est maintenant en concurrence avec d’autres entreprises, fait tout pour obtenir le maximum de dépôts de bus.
Mais la direction a un problème : les chauffeurs de bus de la RATP coûtent « trop cher » par rapport aux concurrents comme Keolis ou Transdev. Ils ont donc profité de la mise en concurrence pour reprendre des droits que nous avions gagnés lors de nos précédentes luttes. En jouant sur la concurrence, les dirigeants des compagnies de bus nivellent nos conditions de travail vers le bas.
Résultat : on est dans l’inconnu ! Après plus de 20 ans à la RATP, je dois signer un contrat avec la filiale Cap Île-de-France, les yeux fermés, en ayant pour seule certitude que mes conditions de travail seront moins bonnes demain. On a parlé des vagues de licenciements chez Auchan ou Michelin, et maintenant la RATP s’ajoute à la longue liste des attaques contre les travailleurs de ce pays. À la RATP, on parle de plus de 15 000 salariés qui verront leurs conditions de travail se dégrader.
Et alors que les salaires des chauffeurs de bus oscillent globalement entre 1500 et 1900 euros, le patron de la RATP touche 450 000 euros par an… Il gagne en un an ce qu’un chauffeur de bus gagne en 20 ans.
La privatisation ne va pas seulement toucher nos conditions de travail ; elle va aussi détériorer le service rendu aux usagers. Mais ça, ce n’est pas leur problème ! On l’a bien vu en Grande-Bretagne avec la privatisation du rail. Le fait d’avoir une entreprise publique pour la région parisienne permettait une cohérence entre les différentes lignes de bus et une maintenance de qualité du matériel roulant. Aujourd’hui, tout cela est remis en cause, et les usagers seront les premiers à en subir les conséquences. Quand on lutte pour défendre nos conditions de travail, on se bat aussi pour eux !
Comment les dirigeants de la RATP essaient-ils de faire passer la privatisation progressive de l’entreprise ?
D’abord, en augmentant le recrutement d’intérimaires, de CDD et de saisonniers. La direction sait très bien que le personnel précaire peut plus difficilement entrer en grève. Ce sont donc les premiers mobilisés pour casser les grèves. Sur chaque dépôt de bus, il y a une trentaine d’intérimaires qu’ils peuvent mobiliser dans ce sens. Le problème, bien sûr, ce ne sont pas les intérimaires ! À la CGT RATP Flandre, on se bat pour l’embauche de tous les intérimaires en CDI, justement pour éviter qu’ils soient utilisés pour casser les grèves.
Ensuite, la direction a choisi une privatisation par étapes : ils vendent les dépôts de bus un par un, pour diviser la mobilisation sur chaque dépôt. Dans la même optique, ils ont commencé par le réseau de bus en 2024, puis ils s’attaqueront aux tramways, au métro et enfin au RER. Tout est fait pour que les salariés ne puissent pas se mobiliser en même temps et au même moment.
Comment vois-tu la convergence avec les travailleurs des autres compagnies, comme Keolis et Transdev ?
La coordination avec les chauffeurs de bus des autres compagnies sera un axe fondamental des prochaines luttes. Comme je l’ai dit, les patrons vont, comme toujours, essayer de diviser les chauffeurs de bus des différentes compagnies pour mieux dégrader nos conditions de travail. Nous devons répondre à cette stratégie par l’unité des travailleurs de tout le secteur.
Par exemple, les chauffeurs de Keolis à Cergy (95) mènent une lutte exemplaire depuis plus de six semaines. Ils ont totalement paralysé le réseau de bus de la ville, rappelant que sans eux, aucun bus ne circule. Mais pour faire reculer la direction, il faut que le mouvement s’étende. C’est précisément le rôle des directions syndicales d’unir les salariés dans la lutte autour de revendications offensives.
Que penses-tu du rôle des directions syndicales ? Que devrait faire la CGT, selon toi ?
La CGT devrait préparer et organiser une grève illimitée de tous les transports : bus, tramways, trains. En région parisienne, nous avons le pouvoir de bloquer la ville et l’économie de toute la région !
Les syndicalistes d’en haut, malheureusement, n’ont pas cette politique. Pour Sophie Binet, il faut « attendre ». Mais attendre quoi ? Nous devrions dès à présent préparer des caisses de grève, diffuser l’idée de la grève et ses objectifs dans tous les dépôts, et nous préparer au combat. Quand Sophie Binet explique que ce sont « les bases syndicales » qui doivent décider, c’est une façon de ne pas préparer sérieusement la grève.
Lancer un mouvement de grève commun avec la SNCF, se connecter avec les mobilisations de la jeunesse et des usagers, faire tomber le gouvernement : c’est possible. Mais cela dépend de la capacité des syndicats à préparer une lutte sérieuse. Il faut en finir avec les simples « journées d’action » qui se limitent à une manifestation d’une journée. Une grande partie des travailleurs n’y croient plus, et ils ont raison.
Contre la privatisation, notre parti revendique la nationalisation sous le contrôle des travailleurs. Qu’en penses-tu ?
Je pense que c’est possible. Quand je vois ma boss du lundi au vendredi sur son ordinateur, je lui dis : « Que ton ordinateur soit allumé ou pas, les bus roulent de la même manière ! » Le travail de la direction, c’est de nous contrôler. Nous n’avons pas besoin d’eux pour faire fonctionner correctement la RATP.