Chaque jour, des milliers de personnes déferlent dans les rames du métro toulousain. Chaque jour, ces milliers d’hommes et de femmes côtoient, le plus souvent sans s’en rendre compte, la précarité et l’exploitation de quelques-uns... Voici le premier volet d’une enquête sur leurs conditions de travail.
7H30. Il fait encore nuit quand j’arrive au métro. Comme tous les matins, je prends machinalement le « 20 mn » que me tend un type frigorifié. Ces soi-disant journaux sont gratuits, et pour cause : il arrive bien souvent qu’une publicité couvre entièrement la « une ».
Un « merci » lâché du bout des lèvres et je m’engouffre dans la station. Je passe le tourniquet sous l’œil des caméras qui espionnent tout le réseau. Mais Tisséo, la régie des transports en commun toulousains, a dû estimer qu’elles ne suffisaient pas. Pour s’assurer que tous le monde paye ses 1,40 euros de trajet, elle a lancé un appel d’offres pour sous-traiter la « sécurité » du métro toulousain. Dans ce genre d’opération, les seuls critères pris en compte sont financiers, et le choix de Tisséo se fait surtout sur le moins-disant... La sous-traitance n’existe que pour baisser les coûts, pour faire pression sur le niveau de rémunération et des conditions de travail des salariés.
C’est la Brink’s qui a remporté le marché : avec 50 000 employés dans le monde et près de 3 milliards de dollars de chiffre d’affaires (435 millions pour la branche française), elle a pu avancer l’offre la plus attrayante. C’est cette entreprise qui s’occupe du ramassage de fonds et qui embauche les vigiles. D’habitude, il y en a toujours un posté au coin. Mais hier, non. Ils étaient en grève.
Ces « agents d’accueil » [1], comme on dit dans les milieux officiels, ont commencé leur grève le 24 décembre, la veille de Noël. Quand on se penche un peu sur leurs conditions de travail, on comprend pourquoi.
Le calcul de leurs heures supplémentaire se fait sur le mois, et non sur la semaine. 140 heures de travail par mois, c’est le minimum. Au dessus, c’est les heures sup. Résultat ? Kader, le vigile de l’entrée, a cette fois-ci une semaine de 48 heures. 9h30 de travail les lundi, mardi, mercredi, jeudi, et 10 heures le vendredi. Et ses heures supplémentaires – qu’on lui impose – ne sont pas payées à la fin du mois, mais en différé, par cycle de 2 ou 3 mois. Du coup, par expérience, ils ont pris le réflexe de vérifier systématiquement leurs fiches de paye : leurs heures supplémentaires ne sont jamais totalement réglées. Et ils se sont battus pour qu’elles soient non seulement payées, mais qu’elles le soient à la fin de chaque mois.
Ils réclamaient également le 13e mois, comme les cadres de leur entreprise. Des tickets resto aussi, même s’ils savent que les jours où ils n’ont qu’une demi-heure de pause, comme Kader cette semaine, ils ne s’en serviront probablement pas : une demi-heure, c’est trop court pour un vrai repas.
Si chacun d’eux se doit d’arborer fièrement l’uniforme de la Brink’s, il doit être nickel. Or, le nettoyage était à leur frais. Chaque semaine, c’était 15 à 20 euros minimum qui partait dans le pressing. Ils ont donc réclamé que la Brink’s prenne en charge le nettoyage de leurs tenues.
Mais le comble, c’est qu’ils ne sont pas considérés comme des vigiles en tant que tels, et n’ont donc ni la prime de risque, ni même le droit à une assistance juridique de la part de la Brink’s en cas d’agression ! Et pourtant, cela arrive régulièrement...
Le taux de gréviste a été de 87%. Et quand on sait que les non-grévistes étaient soit des CDD sur le début ou sur la fin, soit des étudiants en galère, on n’a pas de mal à y croire. Et on se dit que la grève avait bien le soutien de 100% des salariés !
Au bout de 12 jours, la grève a été suspendue. Ils ont obtenu le payement des heures de grève. Pour les heures supplémentaires, la direction botte en touche. En attendant, elle leur a accordé 100 euros d’acompte sur les heures non payées.
Ils ont également obtenu la carte pressing et la suppression des heures supplémentaires imposées. La direction a également promis une assistance juridique, mais les salariés savent que, de leur part, les promesses n’engagent à rien.
Célestin Matulu, leur délégué syndical CGT, va commencer dans les prochains jours à rassembler le nombre d’heures supplémentaires non payées. Il prépare un dossier pour attaquer la Brink’s devant les Prud’hommes. On voit bien avec quel mépris la direction de la Brink’s traite les salariés et crache sur leurs acquis sociaux : la convention collective est censée assurer le 13e mois, la prime de risque et, bien évidemment, le payement des heures sup.
En février 2007, ces salariés ont créé un syndicat CGT. Lors des élections professionnelles la CGT a remporté tous les sièges au Comité d’Entreprise. Puis ils se sont battus. En cela, ils sont déjà un exemple. Mais ils devront continuer. Leur combat ne fait que commencer...
Le métro s’arrête une fois de plus et je m’arrache à mes pensées. C’est ma station. Je descends tous les matins au même endroit : Palais de Justice. Et tous les matins je passe devant les mêmes SDF qui occupent, tous les jours, la sortie de la station. Triste ironie de la société, non ? D’une côté ce tribunal flambant neuf, ce temple, nous assure-t-on, garant de la « République » et de la « Démocratie », avec cette pancarte : « ici depuis mille ans la Justice est rendue à Toulouse. » Elle s’est rendue : c’est ça qu’ils ont dû vouloir écrire. De l’autre côté, il y a ces SDF, qui pour palais n’ont que cette bouche de métro qui donne sur une fontaine. Quant à la justice, ils la croisent tous les jours : elle porte l’uniforme et sort du commissariat qui côtoie la station. Mais de l’autre côté, il y a aussi ces gars de la Brink’s. Il y a aussi ces distributeurs de pseudo-journaux et ces travailleurs de Véolia Propreté qui ne vont pas tarder à arriver. Et autant prévenir le Prince et sa cour : aucun d’entre eux n’a l’intention d’attendre mille ans.
Je tiens à remercier Kader et Célestin pour leur précieux témoignage.
[1] Les « agents d’accueil » du métro ne reçoivent aucune formation initiale. Ils ne sont pas non plus intégrés dans des plans de formation interne pour les familiariser avec le fonctionnement de la régie Tisséo.