La SNCF de la région rouennaise possède la plus grande gare de triage de France, à Sotteville-Lès-Rouen. Elle peut acheminer les marchandises du complexe industrialo-portuaire haut-normand : beaucoup de céréales qui transitent par le port de Rouen (premier port céréalier de France), des produits pétroliers issus des industries pétrochimiques de la région ou des containers issus du port du Havre. Cette gare de triage a été créée en 1961 et informatisée dans les années 90, pendant lesquelles le trafic était à son point culminant : 2500 wagons y circulaient chaque jour.
Mais aujourd’hui l’activité de triage de la gare est pratiquement à l’arrêt, suite à une décision de la SNCF d’arrêter le fret par « wagon isolé », c’est-à-dire la mise à disposition de wagons aux entreprises. Conséquence : la circulation est tombée à moins de 20 wagons par jour. L’activité se concentre désormais sur la réparation et le démantèlement des locomotives, des wagons et des machines.
La directive de la SNCF sur la réduction du trafic fret n’est pas anodine : elle découle d’une pression des capitalistes qui exigent la « libre concurrence », c’est-à-dire qu’ils convoitent un marché jusqu’alors contrôlé par la SNCF.
Ce phénomène est parfaitement visible autour de la gare de triage : il y a une mutation de l’activité économique au profit du transport routier. La gare de triage est surnommée le « cimetière des locomotives », car 400 locomotives y sont stockées. Des infrastructures sont à l’abandon ; leur fonction est désormais d’accueillir les locomotives en fin de carrière, alors que certaines sont en parfait état de marche. Il s’agit d’un véritable gâchis du point de vue matériel, mais aussi social, car cette baisse d’activité engendre une réduction des effectifs salariaux, qui sont passés de 680 en 2007 à moins de 200 en 2013 sur le site de Sotteville-lès-Rouen. Et ce n’est pas tout. L’augmentation du trafic routier accentue la dégradation de l’environnement et des infrastructures routières, dont l’entretien dépend des collectivités. Enfin, la baisse de l’activité du fret par le rail a des répercussions sur le prix du billet de train des voyageurs, qui supportent de plus en plus l’entretien du réseau ferré.
C’est dans ce contexte que sous l’impulsion des cheminots, principalement de la CGT, a été créé en 2010 le « Comité de défense du triage de Sotteville », avec le soutien du Parti Communiste. Ce comité défend le maintien en bon état des infrastructures et des machines, ainsi que l’emploi lié à cette activité. Bien que la SNCF soit un service public, cette situation démontre la nécessité du contrôle des salariés sur leur outil de travail. Les effets de la crise ont bien évidemment des répercussions négatives sur l’activité industrielle. L’exemple de Pétroplus illustre parfaitement le dilemme qui se présente. La raffinerie de Petit-Couronne avant sa fermeture était un usager important de la gare de triage. La nécessité de nationaliser Pétroplus, pour maintenir l’activité de la raffinerie, va de pair avec l’activité du fret. Nous voyons ici la pertinence du contrôle de l’économie par les salariés pour maintenir l’emploi, gérer l’outil productif et ainsi jeter les bases d’une nouvelle organisation de la société.